« Les Tribulations du Trésor de Rennes #3 » : Bain forcé dans les eaux boueuses de la Seine

Au chapitre précèdent, nous vous avons conté comment la patère de Rennes a gagné à tout jamais les collections royales puis nationales, qu’elle ne quittera plus… Sauf que ce n’est pas totalement vrai. En effet, cachée dans un sac en cuir, on lui fera prendre un bain forcé dans la Seine. Oui, oui, dans la Seine, près du Pont Marie, là même où « l’vieux clochard de la Mano Negra hurle seul la nuit. » Cela semble totalement farfelu mais lisez plutôt.

Exposition « Rennes les vies d’une ville »

Dans la nuit du 5 au 6 novembre 1831, après avoir grimpé le long des gouttières jusqu’au toit du deuxième corps de logis de la « Trésorerie », des malfaiteurs réussissent à pénétrer dans les bâtiments de la Bibliothèque Nationale de France, situés à l’angle de la rue de Richelieu et de Neuve-des-Petits-Champs.

Sur la pointe des pieds qu’ils n’ont pas nickelés et à la seule lueur d’une lanterne sourde (lanterne dont certaines parois sont opaques, de telle façon que celui qui la porte puisse voir sans être vu et masquer complètement la lumière en cas de besoin, NDLR), ils s’introduisent discrètement dans le cabinet des médailles, après avoir découpé un des panneaux de la porte de chêne qui y donnait accès à l’aide d’un vilebrequin et d’une scie au mordant extraordinaire.

Dans le silence de la nuit où seule une sentinelle surveille l’entrée principale, les brigands ne font pas dans le détail. Ils ouvrent les tiroirs, les présentoirs, les vitrines. Leurs gestes sont précis. Rapides. Ils trient, et raflent tout ce qui est en or. L’affaire est vite entendue. Ce sont des « pros » qui ont minutieusement préparé leur coup. A l’aide d’une corde, les voleurs font descendre les objets aux complices positionnés dans la rue Richelieu. Quelques minutes plus tard, les malfrats se volatilisent comme par enchantement dans les ruelles sombres de Paris lourdement chargés.

Le butin donne le vertige. D’une valeur scientifique inestimable, il s’élève au total à plus de 260.000 Francs source au prix de l’or de l’époque. Impossible d’en faire une liste exhaustive mais on déplore la disparition de 2000 médailles d’or, des bibelots rares de l’époque mérovingienne découverts pour la plupart dans les tombeaux des rois, tels que le vase de Noyon, la coupe de Charlemagne et les « abeilles d’or », symboles de l’ordre et du pouvoir qui ornaient le harnachement du cheval de Childéric, père de Clovis. Hélas, la patère de Rennes fait également partie du lot.

Ce n’est qu’à l’aube vers 4 heures du matin, quand la rosée devient arroseur, que les gardiens de la Bibliothèque Nationale, alertés par des passants étonnés de voir une corde fixée à l’aide d’un fort crochet en fer à la boiserie d’une fenêtre source, découvrent l’ampleur des dégâts. « Ma cassette, ma cassette, on a volé ma cassette. » s’est écrié en son for intérieur Raoul Rochette, le conservateur du lieu, lorsque, à son tour, il apprit la triste nouvelle.

L’information se diffuse rapidement et déjà, on réclame un coupable. Raoul Rochette qui a beaucoup d’ennemis en ville n’en mène pas large, il est sur la sellette. En fait, on veut sa tête… et à cette époque, ce n’était pas qu’une banale expression : la guillotine tournait à plein. « Responsable mais pas coupable », tempère le président du Conseil (équivalent du premier ministre, NDLR), Casimir Perier, pour le sauver et désigne pour résoudre l’affaire deux policiers : François Vidocq, le célèbre brigand, bagnard, poucave devenu chef d’une police parallèle (sans existence légale et financée sur les fonds secrets, NDLR) et son acolyte Coco Lacour.

Pour ces fins limiers habitués aux énigmes alambiquées, la plus infime trace laissée involontairement par les cambrioleurs constitue un précieux indice. Et la scie abandonnée en est un. Ce mode opératoire ne peut être l’œuvre que d’une seule personne, celle d’Etienne Fossard, dit « Bonnet Rouge », chef autoproclamé du gang des « Grands Fanandels », fine fleur de la haute pègre. A 52 ans, cet ancien ébéniste, forçat évadé trois fois du bagne est le seul aujourd’hui à pouvoir réaliser un tel exploit. A dire vrai, il est devenu expert en caroube, c’est-à-dire la fabrication de clés pour ouvrir portes et coffres. S’il existait un diplôme pour cette compétence, il aurait été agrégé avec mention Très bien ! Comme quoi, la perfection peut être un vilain défaut puisqu’il eut mieux valu faire quelques maladresses afin de brouiller les pistes. « Soyez fiers d’être des amateurs. », disait encore Macron. Diable, avait-il raison ?

Le lendemain et par un heureux hasard, Coco Lacour, déguisé en petit-bourgeois ventru, les yeux aux aguets derrière de fines lunettes d’or, reconnait Etienne Fossard source au loin qui se promène le long du boulevard Poissonnière avec Joseph Drouillet dit « le voyageur source », un compagnon d’infortune. Malgré son attirail vestimentaire, redingote vert foncé, cravate et chapeau noir, la démarche clopin-clopant de l’ex-taulard est typique des anciens bagnards. Traîner sa chaîne pendant 16 ans, ça marque un homme.

Ni une ni deux, les deux énergumènes sont arrêtés au niveau du quai de la ferraille. Mais, aucun des objets volés n’est retrouvé sur eux, sinon une somme de 8000 francs en billets de banque et un poignard. Pas assez pour les inculper mais suffisamment pour les soupçonner.

Pendant des jours, les policiers vont les garder et tenter de leur tirer les vers du nez mais en vain. « Pourquoi nierais-je puisque je suis déjà condamné à perpétuité ? » répond avec aplomb et sang-froid Frossard source. A bout, le préfet Gisquet finit par proposer un marché source : des aveux en échange d’une remise de peine et 150 000 francs. Mais évidemment, la technique est grossière et Etienne Fossard ne tombe pas dans le panneau. Il reste muet. L’enquête est au point mort.

Vidocq, acculé, décide de renvoyer Etienne Fossard en zonzon à Bicètre, établissement utilisé à l’époque comme zone de transit pour le bagne. Un avant-goût des centres de rétention, en somme. Anecdotes cocasses, c’est là que le tapissier Guilleret a inventé la camisole de force en 1770 et c’est aussi là qu’a été effectué, le 17 avril 1792, le premier essai de la guillotine… sur des moutons vivants. Mais il suffit ! Revenons aux nôtres, de moutons.

A gauche, Dionysos, couché dans son char tiré par 2 panthères Léopard, suit Héraclès en flexion, complètement ivre. Patère de Rennes, @laBnF

Par une malicieuse initiative au risque mesuré, Drouillet est remis en liberté. Enfin libre, c’est vite dit, car le préfet s’empresse de le placer sous une étroite surveillance policière, un peu comme avec des Gilets Jaunes qui manifesteraient sur les Champs Élysées. Mais sans lacrymo, ni LBD. Drouillet, dans l’obligation de ne pas quitter la capitale, ira loger chez son ami Drouhin, un serrurier habitant rue des Mauvais Garçons (cela ne s’invente pas !, NDLR) dans le Marais.

Après plusieurs filatures, perquisitions et retournements de situation dignes d’un scénario imaginé par des cerveaux hollywoodiens cramés à la coke et aux amphéts’, Vidocq est enfin capable de remonter le fil de cette histoire rocambolesque. « Bon sang, mais c’est bien sûr ! »

Dans la nuit du 6 novembre, Etienne Fossard, toujours accompagné de Drouillet, est venu cacher chez son frère horloger les objets volés. A la bonne heure ! Mais constatant que les flics avancent rapidement dans leur enquête et que l’étau se resserre autour de son frangin, Jacques Fossard est pris de panique. Précipitamment, il va jeter dans la Seine près du pont de la Tournelle et avec l’aide de son fils, des sacs en cuir remplis avec la plus grande partie des reliques historiques qu’il estimait, non sans raison, invendables. Mais ayant croisé quelques patrouilles en alerte, il préfère se faire discret et fondre le reste chez lui.

Une fois ses aveux obtenus, on retrouve effectivement chez lui mais aussi dans la cave d’un autre complice dénommé Drouhin, sinon du vin de piètre qualité, près de 75 lingots d’or. Des recherches sont organisées au cours de l’été 1832 et à l’aide de cloches à plongeurs, des hommes repêchent miraculeusement, le bouclier d’Annibal, le sceau de Louis XII, quelques-uns des bijoux du trésor de Childéric et, c’est ce qui nous intéresse ici, la patère de Rennes. Sauvée des eaux ! Au total, 77 des 80 kg de pièces d’orfèvrerie et de médailles furent récupérées source. Le fleuve conserve encore quelques-unes des plus belles médailles de la collection nationale. Dommage qu’il soit encore trop pollué pour piquer une tête et, qui sait, par chance, en remonter quelques-unes.

EPILOGUE

La chambre du conseil va renvoyer Etienne Fossard, et Joseph Drouillet devant la cour d’assises de la Seine pour vol. Jacques Fossard et Charles Drouin le seront pour recel. Le procès s’ouvre le 14 janvier 1833 dans une ambiance survoltée où le tout-Paris est venu apercevoir le « prince des voleurs », comme on le surnomme au cours des débats.

Etienne Fossard et Joseph Drouillet sont condamnés à respectivement 40 et 20 ans de travaux forcés. Jacques Fossard à dix ans de prison. Drouin, lui, de son côté, sera acquitté. A l’annonce du verdict, Etienne Fossard s’agite et s’écrie : « La mort plutôt que les galères ! source» Il mourra au bagne de Brest deux ans après cette condamnation.

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Les sources pour écrire cette petite histoire un chouille romancée mais à peine :

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