Des parloirs sauvages pour amener un peu d’humanité à l’intérieur du CRA de Rennes

L’enfermement tue, l’enfermement mutile et cela se passe sous nos yeux…
Début février, un homme a tenté de mettre fin à ses jours par pendaison, une semaine après son arrivée au centre de rétention de Rennes. Une dizaine de jours plus tard, le Collectif de Soutien aux personnes Sans-Papiers (CSP35) a organisé un parloir sauvage afin de discuter avec les personnes retenues, choquées après ce nouveau drame. Retour sur cette action militante avec G., membre du CSP35.


[Alter1fo] : Bonjour G. , peux-tu nous expliquer ce qu’est un « parloir sauvage » ?

[G.] : Dans le « jargon » du collectif CSP35, un parloir sauvage est un moment d’échanges avec les personnes enfermées au CRA de Rennes. Concrètement, une fois sur place, nous faisons le tour du bâtiment pour nous diriger au plus près des baraquements, là où dorment les personnes retenu·es. On leur explique notre venue, on leur montre notre soutien et on leur propose d’évoquer avec nous leurs conditions de détention, leurs problèmes, leurs difficultés quotidiennes, etc.

Comment l’idée vous est venue d’utiliser ce mode d’action ?

Quand le centre de rétention a ouvert en 2007, le collectif s’est rapidement demandé comment créer du lien avec les personnes enfermées, sans être dans une relation inter-individuelle qui est parfois compliquée et qui, politiquement, peut poser question. Nous avions déjà les exemples de parloirs sauvages organisés près des prisons. Nous avons donc appliqué la même méthode. D’après la CIMADE, le CSP35 serait le seul en France à pouvoir mener ce genre d’action…

…et vous savez pourquoi ?

Sans doute parce que nous l’avons toujours fait et que, de manière très pratique, il n’existe aucune grille autour du CRA nous empêchant d’aller suffisamment près des gens pour engager une conversation. (Depuis que l’administration a fixé une bâche sur les hauts grillages du centre, le collectif doit s’équiper de petites échelles et d’escabeaux, NDLR.) 

Note 1 : Les CRA sont sous la responsabilité de la police aux frontières. Ce sont eux qui assurent la sécurité et la surveillance du CRA et les escortes. Le transfert à la DCPAF de la gestion des CRA n’est pas sans poser des problèmes : difficultés d’identification des effectifs et des moyens antérieurement affectés par la sécurité publique à la gestion des CRA transférés, problèmes de formation des personnels et nécessité d’accroître les effectifs de la DCPAF.

Ces parloirs sauvages s’organisent de manière régulière, mais pas forcément à intervalles réguliers. Pourquoi l’avoir organisé ce samedi 13 février ?

Tout simplement parce qu’une personne retenue à l’intérieur de CRA a appelé le collectif. Il a décrit une situation extrêmement tendue qui fait suite à la tentative de suicide d’un homme de nationalité tunisienne enfermé depuis une semaine. Sans rentrer dans les détails, ce sont les camarades retenus qui l’ont découvert et secouru en premier. Ces derniers ont tous été très choqués et pourtant rien n’a été mis en place. Aucun d’eux n’a pu rencontrer un médecin ni parler à un psychologue.

En plus de cette grande détresse exprimée, qu’est-ce que les personnes vous ont dit ?

Il y a toujours ces mêmes paroles qui reviennent à chaque parloir : « On est enfermés comme des animaux » et « Nous ne sommes pas des délinquants, on n’a rien fait ! » Et c’est vrai ! Ces personnes n’ont commis aucun délit. Pour le seul motif de ne pas avoir de papiers en règle, elles sont pourtant condamnées, enfermées et privées de liberté.

Note 2 : Le 2 janvier 2019, la durée maximale d’enfermement en rétention des personnes étrangères a doublé. L’administration a désormais 90 jours, contre 45 auparavant, pour expulser du territoire les personnes privées de liberté dans les centres de rétention administrative (CRA). Cette disposition de la loi Asile et Immigration, très controversée jusqu’au sein des rangs de la majorité présidentielle, marque un tournant répressif sans précédent.

Les personnes retenues nous ont aussi parlé des conditions matérielles déplorables. La nourriture n’est pas bonne, parfois périmée ou insuffisante. Il y a un manque de considération des régimes alimentaires de chacun·e. Dernièrement, il y a eu une panne de chauffage. Avec la baisse des températures de ces derniers jours, cela a engendré de vraies difficultés. Enfin, l’ennui est prégnant. Les personnes se plaignent qu’elles n’ont rien à faire. A tel point qu’une personne ayant vécu l’enfermement en détention nous racontait que la prison était un moindre mal comparé à ici puisque là-bas, des activités sont proposées.

Quel est l’impact du COVID sur le CRA ?

Lors du premier confinement, les centres de rétention ont tous été fermés et l’intégralité des retenus du CRA de Rennes avait pu quitter le centre. En toute logique d’ailleurs puisqu’un CRA, c’est finalement un « sas » dans lequel les personnes attendent d’être expulsées. Mais avec la fermeture des frontières, c’est forcément plus compliqué… Aujourd’hui, seules les expulsions vers les pays européens ont repris. Mais la grande majorité des personnes vues ce samedi sont originaires de pays où leur renvoi est impossible.

Note 3 : Après trois mois de suspension de son activité en raison de l’épidémie du Covid-19, crise sanitaire ayant entraîné la fermeture des frontières, le centre de rétention administrative de Rennes a réouvert le 29 juin 2020. L’enfermement pour une longue durée d’un grand nombre de personnes dans un environnement clos impliquant une proximité importante reste une source de risque évidente.

On prive donc de liberté des personnes que l’on sait inexpulsable ?

Exactement, cela montre bien l’absurdité de la situation. Mais le pire est qu’à l’intérieur du CRA, on nous dit qu’il n’y a pas de masques, pas de gel hydroalcoolique et que les mesures de distanciations sociales sont difficiles à mettre en place…

Note 4 : On peut lire dans l’article du Télégramme publié fin décembre 2020 que « la distanciation y est mission impossible mais que les juges des libertés et de la détention, qui avaient libéré à tours de bras pendant le premier confinement, estiment désormais que la baisse des effectifs du centre suffit à maintenir la sécurité sanitaire. »

Par contre, il est imposé avant chaque expulsion de se soumettre à un test COVID. Un refus équivaut à une peine de prison, la justice française considère cela comme une entrave à la procédure d’expulsion. C’est assez ironique. Quand il faut protéger les retenus, il n’y a rien de fait. Par contre, pour les expulser, les tests sont toujours réalisés. (Depuis le début de l’épidémie, au moins 8 retenus rennais ont refusé de s’y soumettre pour ne pas être expulsés. Début septembre, selon Ouest-France, un Tunisien a écopé de deux mois de prison avec sursis pour ce motif, considéré comme une obstruction à une mesure d’éloignement, NDLR)

Certaines personnes vous disent également accepter de revenir dans leur pays afin de pouvoir quitter le CRA. Finalement, l’acharnement des services administratifs porte ses fruits…

C’est effectivement quelque chose de nouveau et que personnellement je n’avais jamais entendu auparavant. Quand on voit ce qu’il se passe en méditerranée, au Sahel pendant la traversée du désert du Niger, et tout ce que les gens ont dû endurer pour quitter leur pays, on peut penser qu’il y a de très bonnes raisons et une forme de désespoir. Et s’ils nous disent vouloir y retourner, ce n’est pas par gaîté de cœur. Après, c’est tout à fait la volonté de la France que de maltraiter les gens pour les dissuader de rester ou de revenir… et oui, ça marche donc bien.

Merci !

Note 5 : Depuis la semaine dernière, le CRA de Rennes a été mis en « septaine » suite à une suspicion de cas parmi les retenus. Certains ont refusé de se faire tester par crainte de faciliter leur expulsion si le résultat se révélait négatif. La septaine a été levée récemment.

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