« Occident » @ l’Aire Libre : « La haine comme maux d’amour… »


« Le choc théâtral de la rentrée », « un spectacle évènement » : c’est ainsi que l’Aire Libre annonce la pièce de théâtre « Occident » de Rémi de Vos, mise en scène par Dag Jeanneret qui se jouera le 24 et 25 Janvier. Et pour cause !

« Occident » est une pièce noire racontant la longue et lente agonie d’un couple qui se déchire, se livrant une bataille verbale d’une violence froide, dans « l’absolue nécessité de triompher de l’autre ». Les insultes cruelles, pathétiques, castratrices ont remplacé les maux mots d’amour. Et pourtant, paradoxalement, ce couple n’arrive pas à se séparer : ils se détruisent alors, mutuellement comme si c’était la seule chose qui les retenait vivants.

« Lui » s’enfonce un peu plus tous les jours dans l’alcool et dans un racisme aussi primaire que nauséabond. « Elle » devient, tour à tour, victime et manipulatrice comme voulant mener ce jeu de dupe où personne ne sortira vainqueur, sinon la haine de l’autre…

Rares sont les pièces d’une énergie aussi haletante, servie par un texte d’une précision faisant mouche à chaque réplique.  On reconnait là toute l’intelligence dans l’écriture de Rémi De Vos mais aussi grâce à la présence d’une force comique car oui, malgré des thèmes abordés comme le racisme et la violence, le rire doit fonctionner comme une soupape de sécurité.

« Occident » est tout simplement d’une justesse effroyable et porte un regard sans pitié sur notre société occidentale actuelle, qui, elle aussi, montre parfois quelques signes de fatigue…

A découvrir absolument.

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C’est avec plaisir que nous avons pu discuter avec Dag Jeanneret – metteur en scène – et ainsi revenir sur cette pièce, sa manière de travailler etc…

INTERVIEW

Alter1fo : bonjour, pouvez-vous nous raconter rapidement ce que nous allons découvrir vendredi 24 et samedi 25 à l’Aire Libre à travers la pièce « Occident »

Dag : « Occident » est une longue bataille verbale entre deux êtres : « Lui » et « Elle ». Ils n’ont pas de nom dans la pièce. Ces deux personnages sont fatigués l’un de l’autre et pourtant ils n’arrivent pas à se quitter. Cet affrontement leur permet paradoxalement de continuer à vivre ensemble.  La pièce dure une heure, et il y a 7 séquences, sept nuits différentes où « lui » revient de ses deux bars préférés qu’il fréquente abondamment :  le Flandre et le Palace et raconte ce qu’il a vécu dans la soirée à sa compagne.

Cette violence peut faire « peur » au premier abord mais le public rit beaucoup bizarrement…

Oui, cet affrontement verbal « à la vie, à la mort » produit paradoxalement chez le spectateur beaucoup d’effroi mais également  beaucoup de rire parce que Rémi De Vos est un dialoguiste magnifique, très efficace et très fin. Avec très peu de mots, grâce aux répétitions et à un  vocabulaire volontairement peu élaboré,  Rémi De Vos arrive à écrire des répliques et à inventer des situations et des malentendus qui font rire le spectateur.

Cet affrontement entre ce couple cache aussi un regard aiguisé et sans concession sur notre société actuelle…

Ce couple semble comme abandonné, perdu…ils le sont peut-être parce qu’ils vivent effectivement dans une société dite « occidentale » un peu épuisée, un peu dépressive où l’essentiel des relations humaines a de plus en plus de mal à se délivrer et à se transmettre.

De Vos parle également en creux mais de manière très claire d’une dérive raciste de la part du personnage masculin. L’alcool aidant, c’est un facteur important et aggravant car il libère une parole ignoble, « Lui » se met  à régurgiter des lieux communs, des propos de comptoirs, des propos insupportables et fascisants. Au fil de ces 7 tableaux, sa haine de l’autre et son manque d’amour font qu’il adopte la langue du « raciste français » : les noirs, les arabes et les yougoslaves deviennent des dangers dans sa bouche.

Mais à mon avis, De Vos parle aussi du problème ancien, plus profond qui date de la guerre d’Algérie…d’un certain refoulé…

…comme si nous n’avions pas su digérer notre histoire ou du fait de l’avoir trop occultée ?

…voilà, de tout ce refoulé « anti-arabe » qui traverse une partie de la société française depuis 50 ans et  qui s’est peut être encore plus ravivé ces dernières années. L’air de rien, par quelles petites annotations et lieux communs, on entend très bien ce qui n’a pas été digéré (ndlr : à savoir la perte de l’Algérie. A noté que « Occident » est également un groupuscule d’extrême droite des années 60)

Encore une fois, le personnage n’est ni un idéologue, ni un secrétaire au Front National. C’est malheureusement une personne lambda à la dérive et c’est en cela que cela résonne encore plus chez le spectateur. Sa détresse humaine, à un moment donné, le fait basculer et va lui faire épouser des idées de haine.

Occident -® Marie Clauzade 7 (bis)

Comment avez-vous découvert cette pièce et eu envie de la mettre en scène ?

J’avais lu cette pièce comme le font les metteurs en scène pour se tenir au courant de ce qu’il s’écrit en espérant avoir un coups de cœur. Je l’avais trouvée pas mal mais pas au point de vouloir la mettre en scène. Par chance, une année après, on m’a demandé de faire un petit travail à la chartreuse de Villeneuve Lez Avignon, lieu dédié aux écritures contemporaines. Il y avait un petit colloque de traducteur de pays de l’est et il fallait lire des extraits d’une pièce de théâtre choisie parmi une  douzaine de pièces : Occident en faisait partie. J’avais engagé une comédienne pour lire des extraits de cette pièce avec moi et j’avais été extrêmement frappé  par le fait que les gens riaient beaucoup durant notre lecture alors que nous ne l’avions pas énormément travaillée. Et surtout au-delà du rire, les traducteurs venus d’horizons divers ne parlaient que de cette pièce-là, un peu comme un « joyau » alors qu’ils avaient entendu également onze autres pièces.

J’ai finalement compris à ce moment-là toute la puissance de la pièce grâce au « parler à haute voix » . C’est une très bonne leçon : c’est par la parole que l’on se met à distinguer les choses.

La pièce m’intéressait aussi car dans le répertoire contemporain il n’y en a pas énormément qui soient bonnes et drôles en même temps. Non pas que je cherche absolument à faire rire, pas du tout, mais rares sont les pièces avec une vraie profondeur, une rythmique très précise et qui arrivent à faire rire avec un sujet grave.

Le texte étant tellement bien écrit, tellement puissant, avez-vous pris le parti d’une mise en scène sobre et minimaliste pour laisser la place aux mots, aux dialogues ?

Oui puisque c’est aussi ma manière de travailler habituelle : le texte et les comédiens priment !

Au-delà de ça, le danger était de tomber dans une illustration presque clichée d’un couple français, franchouillard, sans doute prolétarien comme l’image véhiculée par les journaux : « le méchant ouvrier qui tombe dans les extrêmes… » J’ai voulu essayer de rendre l’espace et le sentiment du spectacle le plus pur possible pour le spectateur avec le moins de signes racontant l’extraction sociale de ces deux personnages. Et on sait que l’extraction sociale se raconte au théâtre à travers le décor. D’ailleurs Remi Devos lui-même ne dit pas où cela se passe : dans une cuisine ? un salon ? il ne parle pas de tout ça. Donc nous avons inventé un espace avec la scénographe, volontairement abstrait, qui peut même plus s’apparenter à un ring de boxe qu’à un intérieur de maison.

La force est là justement entre le texte et cette mise en scène : ce côté neutre laisse la place au spectateur de recevoir la pièce avec son imaginaire et se confronter ainsi à lui-même, en lui renvoyant peut être ses propres émotions ?

Cette neutralité, et encore, ce n’est pas le bon mot car c’est une neutralité « travaillée » permet quand cela se passe bien une identification même provisoire ou minime mais le permet plus facilement, effectivement.

Quels ont été les autres axes de votre travail ?

J’avais donné comme  consigne  que les deux personnages n’allaient jamais se toucher parce que leur combat de mots est tellement violent que tomber dans l’affrontement corporel ne serait pas conforme à la pièce. Mais également, on tomberait dans quelque chose que l’on connaît tous, un peu trop « télévisuel » et qui n’est pas toujours le plus intéressant.

J’avais demandé également qu’ils ne puissent pas s’asseoir : s’il s’assied, ils s’assoient par terre. Il n’y aurait pas de mobilier qui pourrait raconter tel ou tel intérieur. J’ai malgré tout fait une concession, il y a deux chaises et une table au fond de l’espace scénique.

Au final, les personnages sont comme deux corps qui bougent , comme deux animaux qui se cherchent, qui se trouvent et qui s’attendent et tout le reste est comme effacé, derrière eux.

La pièce a été jouée depuis 2008 : avez-vous ressenti une évolution dans la réaction du public face à cette pièce ?

Non, je n’ai pas ressenti comme cela de différence. Par contre, d’une représentation à une autre, on peut avoir des réactions diverses liées principalement de la sociologie de la salle et souvent au nombre de femmes présentes. Cette pièce fait violence à la Femme. Je connais des femmes spectatrices qui n’ont pas réussi une seconde à en rire, elles trouvaient cela bouleversant mais n’arrivaient pas comme d’autres à en rire, avec ce rire disons de « soupape », comme un rire « libérateur », presque « gêné ».  C’est intéressant pour nous car nous ne savons pas à l’avance comment sera la réaction du public.

Comme vous le disiez précédemment, tout est basé sur le texte et les acteurs : comment avez-vous décidé de travailler avec les deux acteurs principaux ?

Stéphanie Marc est une comédienne que je connaissais très bien. J’ai déjà travaillé avec elle sur trois ou quatre spectacles. C’est une actrice d’une très grande valeur qui a la capacité, et ce n’est pas l’apanage de toutes les comédiennes évidemment,  de passer du tragique au comique avec beaucoup de dextérité et de sensibilité.

Le personnage masculin était joué jusqu’au mois d’octobre dernier par Philippe Hottier. Malheureusement, ce dernier a eu un problème de santé conséquent qui l’empêche d’assurer les représentations de cette nouvelle saison. Pour en dire un mot, Philippe  était un acteur qui a été longtemps au Théâtre du Soleil (ndlr : dans le cycle Shakespeare). Je n’avais jamais travaillé avec lui et je dois dire que cela s’est très bien passé, et il s’est très bien entendu avec Stéphanie. Les spectacles réussis découlent souvent grâce à l’alchimie entre les acteurs, surtout quand ils ne sont que deux ou trois.

Pour remplacer Philippe Hottier, j’ai choisi Christian Mazzuchini : un acteur que le public de l’Aire Libre connaît sans doute car il y a beaucoup joué entre autre son auteur, compagnon et ami, Serge Valletti . Je le connaissais depuis 14 ans, j’avais envie de travailler avec lui depuis un moment déjà, étant très admiratif de sa manière de s’amuser, de sa poétique, de sa faculté à être très drôle et bouleversant à la fois. Christian connaissait et appréciait également très bien Stéphanie, ce qui a facilité les choses.

Ce changement d’acteur a-t-il bouleversé la lecture de la pièce ou le texte étant tellement précis que finalement, vous n’avez pas vu de différence ?

Les deux mon général (rires…)  C’est une vraie bonne question car il y a des moments dans la pièce où j’ai été très surpris. Sans que je lui dise l’intonation à employer, Christian réussi à reproduire presque musicalement la même note que le faisait Christian parce que ce sont deux très bons acteurs et que le texte ressemble à une partition musicale.

A d’autres endroits, j’ai décelé de la nouveauté : et heureusement, parce que sinon cela voudrait dire que les acteurs sont interchangeables or  le théâtre est bien là pour prouver le contraire en racontant du « vivant » à « des vivants ». Christian a donc amené un peu moins de violence, j’ai entendu des choses plus tragiques à travers lui qui m’ont beaucoup ému. Moi qui connais par cœur la pièce, je me suis donc surpris à me laisser surprendre.

►  La pièce soulève des thèmes forts comme celui du racisme, de la haine, « l’enfer, c’est les autres » … et se confronte à l’actualité,  avez-vous une réflexion au sujet des évènements précédents qui ont entouré Dieudonné ?

C’est une imbécilité d’avoir censuré Dieudonné par les moyens employés. Cela a été une magnifique manœuvre de diversion du gouvernement. Je pense que la puissance étatique doit arriver à faire exécuter les amendes et les peines pour lesquelles que ce type a été condamnées. Je ne pense pas que la censure soit la bonne solution. La campagne publicitaire, l’ouragan médiatique a fait une publicité à ce type : il faudrait cesser de parler de lui, et moi-même, j’en parle déjà trop …

A la fin de la pièce, d’ailleurs, un espace de discussion sera ouvert entre le public, entre vous et le MRAP : est ce l’Aire Libre qui a proposé cette idée ?

Oui, c’est quelque chose que l’on pensait déjà faire, les comédiens et moi. On a dû jouer la pièce dans une cinquantaine de ville en France depuis 6 ans mais on nous l’avait jamais encore demandé. Ce sera donc une première, je suis assez curieux de voir comment cela va se passer d’ailleurs…La toute petite difficulté est qu’il faut bien rappeler que cela n’est pas une pièce contre le front national. Le mot « front » est certes employé par Rémi De Vos dans la pièce, il n’y a aucun doute, « Elle » lui demande même « tu as pris ta carte au Front»  mais il est très clair que ce personnage n’est pas un idéologue qui pense tout ce qu’il dit  : c’est la violence de la situation qui le fait dériver vers cet extrême-là.

On ne peut pas faire de cette pièce un porte étendard de la lutte éventuelle contre le FN, ce serait faux et une hérésie. Par contre, une chose intéressante à faire est d’essayer d’analyser comment des gens en perdition, en plein moment de crise dérapent peu à peu, oublient les fondamentaux et se mettent à cultiver la haine parce que c’est ce qui arrive à ce type.

Merci beaucoup.

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« OCCIDENT » à l’Aire Libre : toutes les infos ici

A L’ISSUE DES REPRÉSENTATIONS D’OCCIDENT : En collaboration avec le Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), l’Aire Libre vous propose un espace de débats et autour de l’exclusion et la peur de l’autre, thèmes abordés dans l’oeuvre de Rémi De Vos en présence de Dag Jeanneret – metteur en scène du spectacle.

© Crédits Photos : Marie Clauzade

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