Objectif développement : quels regards sur le Sud?

A Rennes, coup de projecteur sur les enjeux du développement des Pays « du Sud ».

A l’occasion de l’anniversaire de l’Agence Française de Développement, une exposition photo est organisée du 14 au 19 juin place de l’hôtel de ville à Rennes pour illustrer les enjeux du développement des pays dits « du Sud ». Tout un programme pour célébrer l’action de l’AfD qui, 70 printemps durant, s’est battue pour des projets qui « améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète ». Derrière cette définition un peu racoleuse se cachent des projets de développement qui obéissent aux règles de la coopération Nord-Sud. L’aide au développement est un concept souvent trop idéalisé, qui peut trouver sa dynamique dans des préoccupations éthiques. Parce qu’il n’est pas « juste » que des populations ne bénéficient pas de conditions de vie décentes, il est de « notre devoir » d’apporter notre aide au développement de ces pays. Des considérations plus pratiques ensuite. Le secteur du développement représente une manne financière non négligeable dont profitent pour la majorité les grandes entreprises qui voient s’ouvrir devant elles de nouveaux marchés et de nouvelles opportunités d’investissement.

La grande famille du développement et de la coopération internationale.

Depuis les premières institutions financières internationales (IFI) nées de Bretton Woods, comme la Banque Mondiale ou le FMI, la famille du développement et de la coopération internationale s’est élargie. D’autres bailleurs de fond capables de financer les projets de développement ont pointé le bout de leur nez : des banques régionales comme par exemple la Banque Africaine de Développement, ou encore des agences de coopération bilatérale chargées de financer des projets entre deux Etats comme l’AfD. On voit également apparaître des fondations, des collectivités locales au travers de la coopération décentralisée, mais aussi des ONG et associations de solidarité internationale du type Action contre la Faim ou Unicef. La multiplication des acteurs permet d’assurer un financement à différents niveaux. Que ce soit le secteur privé ou public, entre Etats ou entre collectivités, chacun peut trouver un partenaire de jeu pour mener un projet de développement.

Dans les coulisses d’un projet de développement : l’exemple d’un projet financé par la Banque Mondiale au Costa Rica.

Profitant d’être infiltré dans un projet de coopération, voici quelques pistes de réflexion sur le monde du développement : prenons l’exemple du projet Limon Ciudad Puerto, dont les objectifs principaux sont la revitalisation urbaine et le développement économique local de la région caribéenne de Limon, au Costa Rica. Le projet est financé à hauteur de 72,5 millions de dollars par la Banque Mondiale et de 7,5 millions par le gouvernement du Costa Rica, un accord conclu par un prêt en 2008. La région de Limon est en effet l’une des plus pauvres du pays, une culture particulière par son aspect multi-ethnique et par l’influence d’une population afro-caribéenne importante, mais trop souvent réduite à son taux de délinquance et de criminalité élevé. C’est dans la promesse d’un monde meilleur que le projet Limon Ciudad Puerto s’est ainsi développé : donner un souffle nouveau à la ville de Limon.

  • Un décalage entre les objectifs fixés, les moyens et la réalité du terrain.

Des calculs approximatifs, des études préliminaires qui ne collent plus à la réalité du terrain, la non prise en compte de l‘inflation dans le montage des budgets… autant de petits détails fatals au bon déroulement du projet et qui laissent peu de marges de manœuvre. Les mauvaises surprises s’accumulant, les organismes en charge de réaliser les différentes composantes du projet doivent se plier à l’intransigeance de la Banque Mondiale. Impossible alors de réévaluer le prêt et le budget alloué, ce qui implique de revoir à la baisse les objectifs fixés. Outre les ambitions qui se réduisent comme peau de chagrin, les sujets les plus sensibles comme les déplacements de population engendrés par le projet sont traités à la marge, comme une patate chaude radioactive que personne n’ose toucher.

  • Trop de projets tue le projet.

Pour être attractif, un projet doit être « beau », clinquant comme un sapin de Noël pour pouvoir attirer les investisseurs. C’est le cas du projet Limon Ciudad Puerto qui vaut bien ses 80 millions de dollars aux vues de toutes ses composantes. Construction de voies piétonnes, restauration d’immeubles, développement d’espaces récréatifs, la ville se paye une seconde jeunesse pour accueillir les touristes. Mais pas seulement, il s’agit aussi d’améliorer les conditions de vie des populations vivant dans les quartiers périphériques par l’extension du réseau d’assainissement, ou encore le contrôle des inondations. Tous ses sous-projets se superposent, sans être intégrés les uns aux autres. Ils impliquent treize institutions dont la municipalité, des entreprises publiques, le ministère des transports, le ministère de la culture… Malgré la création d’une unité de coordination de projets, la multiplicité des acteurs et leurs différents degrés d’implication peuvent remettre en cause l’efficacité du projet, plus souvent considéré comme un maquillage de la misère du coin qui ne suffira pas à lui seul à reconstruire l’image de la région.

  • Une population sur la touche.

Des campagnes d’information et de communication sont organisées auprès de la population, mais très peu de réunions de consultation. Une réunion avait déjà été organisée en 2003 pour tenter d’évaluer les attentes et les besoins de la population. Une étude a ensuite été réalisée en 2004 en vue d’un projet de développement. Il a fallu attendre 2008 pour que la Banque Mondiale et le Costa Rica signent un accord de prêt, et aujourd’hui, 2011, les travaux n’ont pas encore débuté. Les promesses du projet contrastent avec la fatigue et la désillusion de la population. L’impression que l’argent du prêt part dans d’interminables tergiversations est partagée. Tout le monde attend de « voir pour y croire », alors qu’ils nourrissent eux-mêmes des idées et propositions pour le développement de leur propre communauté, sans pouvoir les partager et les intégrer dans ce projet.

  • A qui profitera réellement le projet ?

Une fois les composantes développées par les organismes et approuvées par la Banque Mondiale, des appels d’offre vont être lancés pour savoir quelle entreprise pourra réaliser les travaux. Les plus offrants sont en général des multinationales qui disposent du matériel et des compétences requises, sachant que leur intervention est facilitée par la politique de la Banque Mondiale. Un projet venu d’en haut qui sera probablement réalisé par des étrangers, affaire à suivre. Ces mécanismes posent la question de la légitimité de l’intervention étrangère dans les pays du Sud, des personnes extérieures qui vont apporter avec elles leurs schèmes et leurs propres modèles de développement, parfois au détriment de l’implication des acteurs locaux.

Des préoccupations plus financières et politiques qu’éthiques?

Les institutions financières internationales fonctionnent pour la plupart comme des banques, qui octroient des prêts et qui doivent se couvrir en cas de risque. Dov Zerah, l’actuel président de l’AfD, a ainsi exercé dans plusieurs postes dans la réglementation bancaire et dans le financement des entreprises avant de se spécialiser dans la coopération. Sa nomination à la tête de l’AfD en 2010 par Nicolas Sarkozy est surtout éminemment politique. Conseiller municipal UMP de Neuilly-sur-Seine, sa nomination a été perçue comme un choix stratégique pour placer un homme de confiance à la tête de l’institution qui marque la présence française dans les pays « du Sud ». Car il s’agit aussi pour les pays de placer leurs billes, les détracteurs de l’aide publique au développement y voient une forme de néo-colonialisme qui établit une dépendance des pays dit « du Sud » avec les pays « du Nord ». Dans cette perspective, la traditionnelle nomination d’un américain à la tête de la Banque Mondiale laisse penser certains que sa politique d’aide au développement est par conséquent dirigée par les intérêts des Etats Unis. Les autres acteurs du développement comme les fondations et les ONG ne sont pas pour autant épargnés par les critiques, entre crise de légitimité et crise d’efficacité.

« La solidarité internationale, et vous ? »

Cette semaine sera l’occasion pour les rennais de découvrir la coopération décentralisée menée dans leur ville. De moindre envergure que les financements par les IFI, ce genre de coopération a le mérite d’offrir un appui et un encadrement plus personnalisé aux projets de développement, renforçant les liens tissés entre les collectivités locales. Afin de réfléchir sur les enjeux du développement mis en image par l’association Magnum Photo pour l’exposition du 14 au 19 juin, une table ronde est organisée aujourd’hui mardi 14 juin de 17h30 à 19h au centre d’information sur l’urbanisme, 17 rue le Bastard. Cette rencontre tentera d’aborder un autre volet de la coopération internationale pour le développement, à savoir l’engagement dans des associations de solidarité internationale. L‘occasion de débattre sur leur rôle réel dans les pays « du Sud », leur mode de fonctionnement, le contact avec le terrain, et plus largement sur les formes d’engagement de chacun.


3 commentaires sur “Objectif développement : quels regards sur le Sud?

  1. Alexis

    Très bon article, montrant la réalité de l’aide au développement au-delà des beaux discours. Les projets répondent plus souvent aux objectifs des agences de développement qu’aux besoins et aux demandes des populations et des collectivités locales. Souvent, beaucoup d’argent est gaspillé pour pas grand-chose, alors que tous pleins de petits projets locaux qui ne payent pas de mine manquent cruellement de fonds, alors qu’ils font bien plus avancer les choses avec peu de moyens.

  2. abittan

    Bonjour et merci pour le relais des événements organisés à Rennes en ce moment !
    Pour rappel, l’AFD travaille avec les collectivités locales comme Rennes et soutient également leurs projets de développement. La ville de Rennes est d’ailleurs invitée cette semaine sur le blog Objectif Développement et sur son compte Twitter.
    Par ailleurs, le but de l’exposition est de montrer les bénéfices concrets que tirent les populations des projets que finance l’agence. L’agence Magnum, connue pour son engagement et pour la qualité de son travail documentaire, a participé avec enthousiasme à ce projet et a suivi les bénéficiaires sur le terrain : populations, petites et moyennes entreprises et partenaires accompagnés pour des avancées concrètes sur les défis vitaux du développement… Le métrocable de Medelin, le suivi des grossesses en Mauritanie et la riziculture irriguée en Guinée n’en sont que quelques exemples.
    Vous pouvez en découvrir d’autres sur le site dédié à l’exposition : http://www.objectif-developpement.fr/index.php
    Pour répondre plus précisément à votre article, c’est justement toute la difficulté et le travail de l’AFD qui consiste à conjuguer bien-être des populations et viabilité des projets…

  3. Muri

    Merci pour ces informations!
    Et oui, c’est là toute la difficulté de l’AFD. Ce n’est pas tellement la bonne volonté de l’AFD que je remets en cause, mais plutôt le fonctionnement de l’aide au développement. Après, je pense qu’il ne faut pas nier que l’AFD est une banque, je ne dis pas que les personnes qui y travaillent sont dénuées d’éthique, pour en avoir rencontré plusieurs au contraire leurs motivations sont louables. Mais c’est important de connaitre la nature de l’AFD pour comprendre aussi son fonctionnement. Par contre, une critique sur le suivi des projets de développement. Je vous invite à y répondre.
    Cette opinion plus générale sur l’aide au développement des grosses IFI n’engage que moi, mais les faits sont là : les projets sont lents, les populations ne sont pas systématiquement intégrées (malgré les bonnes paroles), l’argent fond littéralement dans des consultations au tarif exorbitant, et j’en passe. Pour bien fonctionner, à mon humble avis, les projets de développement doivent se dérouler dans un contexte « parfait » : bonne communication entre institutions, transparence, intérêt de la population, contexte politique et économique stable… Mais ce n’est JAMAIS le cas. Alors oui les institutions se protègent du risque pays et tout le blabla, très bien. Mais au lieu de dire « on essaye de faire en sorte que ça colle », faudrait peut être explorer d’autres voies. Ces projets concernent des vraies personnes, qui sont confrontées à des vrais problèmes (comme dans le cas de ce projet au Costa Rica avec les inondations et la criminalité). Je voulais juste illustrer avec un projet mais sans non plus faire de généralité. En tous les cas pour celui-ci, les populations voient défiler des consultants, des « chargés de projet et autres développeurs », sans voir un seul résultat. Ils ont l’impression d’être pris pour des cons, et des fois je me demande si ils ont pas raison.

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