Mardi Noir : « Un terrain vague possède une esthétique intéressante… »

Pochoirs, graffs, peinture, vidéo… Arzhel Prioul  est un artiste touche-à-tout, pluridisciplinaire et accompli. Bien connu pour ses collages pixelisés, version XXL, il est souvent là où on ne l’attend pas. Entre art contemporain, art poétique et culture urbaine, l’artiste aime se jouer des lieux en détournant les objets qu’il trouve sur place. Adaptation, réinterprétation, détournement, Mardi Noir fait de l’existant la matière première de son travail comme un metteur en scène de l’éphémère.

L’année dernière, nous avons été nombreu⋅ses⋅x à être interpellé⋅e⋅s par son projet Confusion. Si, si, souvenez-vous… Durant la période un poil tendue de contestation contre cette foutue loi travail et alors que de nombreuses boutiques du centre-ville se barricadaient derrière d’immenses panneaux en bois, MARDI NOIR s’est amusé à reproduire en grand format les logos de plusieurs banques puis à les recoller sur celles des autres concurrents !

« Le collage sur les palissades offrait une visibilité maximale. Cela a fait un petit buzz local pour lequel je n’étais absolument pas préparé. Pourtant, je n’en ai collé que quatre !  Ce projet était là pour accentuer cette perte de repère que nous avions durant la période de mobilisation contre la loi travail. De nombreuses devantures de magasins étaient barricadées, nous ne savions alors plus quelles enseignes se cachaient derrière… Je pensais que les banques allaient les faire enlever rapidement ou que les manifestant⋅e⋅s allaient les arracher mais finalement, les collages sont restés assez longtemps. Les gens ont compris le décalage et le trait d’humour…  »

Aujourd’hui, c’est son travail du coté de Saint-Jacques de la Lande qui nous a donné envie de le rencontrer et d’en savoir un peu plus. A la frontière du quartier de la Courrouze où poussent comme des champignons sur d’anciens terrains militaires pollués(1) des immeubles « aux couleurs camouflages, avec leurs nuances de verts, marrons et de beiges », Arzhel Prioul explore et expérimente. Intervenir in-situ, en extérieur, exige de composer avec certaines contraintes et ce côté Do-It-Yoursef, ben… ça nous plaît.

« Ici, c’est un peu le terrain vague idéal, coincé entre la rocade, la voie de chemin de fer et, au loin,  cet horizon d’immeubles qui se construisent. Cela reste encore une soupape dans la ville même si on est à la limite de Rennes. Je traîne dans ce quartier depuis longtemps et j’aime voir ses mutations (NDLR : pour en savoir plus). Si j’interviens ici, c’est parce qu’à la base, je trouve  à cet endroit une esthétique intéressante.  »

[Exemple 1] – Projet « Black Rock / La roche noire »

© Mardi Noir – Black stretch film on the rock, Saint-Jaques-de-la-Lande.

« Il faut penser cette roche emmitouflée de film étirable noir comme un objet hybride entre le plastique et la pierre. J’imaginais cette grosse pierre comme une sorte de miniature de toutes ces buttes de terre qui trônent sur ce terrain. Et puis, ces roches poussent un peu partout aux abords des terrains vagues. Elles empêchent les caravanes, les camions de s’y installer. Je me rappelle qu’en face de l’Elabo, une rangée de pierres de la sorte avait remplacé les caravanes. Mais il n’y pas qu’à Rennes que l’on observe ce phénomène. Même à Paris, sous les ponts, on en trouve ! » (NDLR : pour rappel, la mairie de Paris a placé des rochers sous un pont où s’abritaient des migrants près du centre humanitaire de la Chapelle)

Cette pierre n’est pourtant pas restée longtemps intacte : « Cela m’amuse beaucoup d’imaginer quelqu’un ait pu faire une entaille  avec son trousseau de clés et vérifier qu’il y avait bien une pierre en dessous et non pas un trésor… »

[Exemple 2] – Projet « SOFT TECHNIQUE / AMÉNAGEMENT LÉGER »

« Au départ, c’était une immense butte de terre qui a été sculptée par les coups de pelleteuse. Elle s’est transformée en une falaise, haute d’une petite dizaine de mètre avec cette mare d’eau au milieu. Avec la végétation qui a repris le dessus, elle amène un coté bucolique et contraste avec ce paysage de terrain vague. Un jour, j’ai aperçu des gamins qui jouaient en haut et j’ai eu l’idée de créer un aménagement en reprenant les matériaux et les outils utilisés dans les travaux publics pour les terrassements : des piquets en bois, de la rubalise   (NDLR : ruban de balisage). J’ai donc crée un petit parcours comme pour protéger la falaise. Pour ce genre d’intervention, on peut même se demander si elle a été commanditée tellement elle s’intègre bien dans l’environnement. Je voulais vraiment créer un aménagement léger – terme qui se retrouve d’ailleurs dans le cadre de la loi littoral – comme des ganivelles sur le bord des dunes ou  proche des côtes. »

[Exemple 3] – Projet « REPLANT/ POST PLANTATION »

© Mardi Noir – Christmas trees replanted on mounds, Saint-Jacques-de-la-Lande

Dernier exemple du processus d’adaptation in-situ : le replantage de plusieurs sapins de Noël délaissés aux abords du terrain vague. Passer devant ces buttes où trônent ces conifères morts sans épine interpelle forcément. Comme une nature morte ou désertique à ciel ouvert.

« Ce n’est pas la première fois que j’interviens avec des sapins abandonnés. Je m’étais amusé à en peindre certains à la bombe. J’en ai d’ailleurs même bricolé un sur roulette dans le cadre d’une expo. L’idée est de leur donner une seconde vie. Une fois abandonnés dans la rue, ils deviennent aussi une matière première. Dans ce cas précis, je les ai trouvés sur place et regroupés sur les buttes de terre. Cette intervention fait office de test et pourrait être réactivée à plus grande échelle avec beaucoup plus de sapins replantés. Comme pour l’aménagement léger ou la pyramide de brique (NDLR : voir ici) sur laquelle nous nous sommes assis, il y a une volonté d’aménager le territoire comme pourrait le faire un paysagiste mais avec les moyens du bord et en tenant compte des caractéristiques du terrain vague et de ce qu’on peut y trouver parmi les ordures… Bien sûr, à travers le sapin, on peut y voir l’objet de consommation que l’on jette comme une denrée périssable »

Nouveau réalisme urbain ?

Une forêt artificielle pour dénoncer notre société de consommation, l’utilisation de ruban de balisage pour nous rappeler à la préservation de notre patrimoine naturel, une pyramide de briques, la filiation au « nouveau réalisme » des années 60 est ici flagrante. A partir d’un terrain vague comme il en existe des milliers, l’artiste nous propose la définition même d’un « recyclage poétique du réel urbain[2] ». Avantage précieux, il ne suffit pas d’attendre les premiers dimanches du mois pour y aller et jeter un œil gratuitement ! On ne vous donnera pas précisément l’endroit exact mais un indice : il est coincé entre le Boulevard Mermoz et la rue Pilate.

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Post-scriptum : A noter que le musée des Abattoirs de Toulouse propose une riche exposition sur le mouvement du Nouveau Réalisme, fondé par le peintre Yves Klein, dont un buste bleu est présenté. De nombreuses œuvres, prêtées notamment par le Centre Pompidou qui fête son 40ième anniversaire , sont à découvrir pour comprendre ce mouvement artistique.

[1] : « Nous avons découvert, après le début de la construction, une pollution aux solvants chlorés des nappes d’eau se trouvant sous le chantier » précise Marc Dartigalongue, chef de projet de la Courrouze pour Territoire, l’aménageur pour la ville de Rennes. ième anniversaire , sont à découvrir pour comprendre ce mouvement artistique.

[2] : Pierre Restany réunit, à la faveur d’une déclaration constitutive, des artistes qui ont en commun de proposer un « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire ». Les artistes du Nouveau Réalisme répondent dans leurs œuvres à l’émergence d’une société marquée par l’industrialisation et l’apparition d’une consommation à grande échelle.


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