Maintenant 2019 [report] – Pandora Live, expérience hallucinée la tête sous la lampe avec Molecule

Une lampe qui modifie notre état de conscience, un grand barbu dans le noir, un musicien qui revient du Groënland avec des sons de neige et de glace et des spectateur.trice.s allongé.e.s la tête sous une lampe. L’Expérience 7 proposée par le festival Maintenant au CCNRB ce vendredi 11 octobre était résolument étrange. Hors norme. On vous raconte. La tête sous la lampe.

Pas si courant de signer une décharge avant d’entrer dans une salle de spectacle. Pourtant ce vendredi, ça travaille du stylo de part et d’autre du vestibule du CCNRB de Rennes. La faute à l’expérience éminemment étrange qu’on s’apprête à vivre couché dans le noir complet, la tête glissée sous une lampe hallucinante (dans tous les sens du terme) : la performance Pandora live au son de la musique improvisée de Molecule.

On se souvient de Physical Mind de Teun Vonk l’an dernier à l’Opéra de Rennes, où le festival nous avait invité.e.s à une étonnante expérience, à la croisée des sciences, du design et des arts : on y était allongé, le corps pressé entre deux énormes coussins lumineux, pris en sandwich dans cette installation participative conçue pour nous amener à retrouver la complète perception de toutes nos sensations mais également pensée à la fois comme rempart à et source de l’état de stress. Avec Pandora Live, on revient à cette expérience physique, d’immersion totale dans l’œuvre, à la frontière de l’artistique et quasi du thérapeutique.

Molecule-Pandora@Maintenant2019-alter1fo (5)

Explorateur dans tous les sens du terme, Romain Delahaye, alias Molecule, nous propose en effet cette expérience en étroite collaboration avec Alexandre Quaranta, spécialiste des lampes Pandora, souhaitant explorer cette fois-ci les mondes intérieurs plutôt que les ailleurs lointains. Le garçon avait en effet enregistré son album 60° 43’ Nord (2015) sur un chalutier en haute mer avec des fuites partout dans sa cabine, dans l’idée de réaliser un long format imprégné des sons d’un environnement extrême. Avant de remettre ça  avec –22.7°C (2018), album un rien givré, réalisé dans un village perdu du Groenland, dans des conditions pour le moins éprouvantes. Bref, Molecule est un fondu d’expériences et d’expérimentations inattendues et nous propose de vivre avec son comparse un voyage musical éminemment personnel et une expérience intime plutôt stupéfiante.

Molecule-Pandora@Maintenant2019-alter1fo (8)

On a donc quitté les Champs Libres à regrets tant on aime la clarinette basse époustouflante de classe de Ben Bertrand qui jouait aux quasi même horaires pour l’Expérience 6 du festival pour aller vivre cet étonnant voyage musical avec Molecule. Après avoir patienté dans un corridor, on entre dans une grande salle quasi plongée dans le noir. On nous invite à prendre place par îlots de 5 personnes, allongé sur des tapis en mousse, la tête sur un coussin. Au-dessus de nos visages, une étrange lampe bleue est suspendue. C’est la lampe Pandora, autrement dit une lampe neuro-stimulante qui fonctionne par effets stroboscopiques. Mais qui est pour le moment en mode veille, le temps que tout le monde s’installe. Un grand homme barbu qu’on croirait sorti d’un film commence alors à nous expliquer ce qu’il va se passer : 15 minutes de live musical à vivre les yeux fermés pour éprouver la synesthésie (le fait d’associer deux sens à un même stimulus : ici la vue et l’ouïe), le visage éclairé par les lumières stroboscopiques de la lampe Pandora. Des masques sont à notre disposition si l’intensité lumineuse est trop forte, et on doit se sentir libre de se mettre la main sur les yeux si la lampe nous indispose, comme de nous lever si on ne vit pas bien l’expérience. Dans quoi diable s’est on embarqué ? se demande-t-on de concert avec nos camarades de coussins. Mais Alexandre Quaranta (puisque dans le noir, on suppose que c’est bien de lui qu’il s’agit) nous rassure à demi « pour la grande majorité, la plupart d’entre vous vivra bien l’expérience ». Soit. Espérons-le.

Molecule-Pandora@Maintenant2019-alter1fo (9)

Car la lampe Pandora, si l’on en croit les explications données, agit sur notre glande pinéale et modifie notre état de conscience. Notre perception de la musique est alors totalement différente, et notre expérience d’écoute se trouve modifiée. Si on a tout compris, cette étrange lampe diffuse en effet un flux de lumière avec différentes ondes vibratoires (de 0.1 à 200 Htz correspondant aux ondes cérébrales Delta à Gamma) stimulant la glande pinéale (responsable de la régulation des cycles circadiens veille/sommeil) et induit chez celui qui s’y abandonne des états de conscience modifiés, et donc influe sur sa réception du live qu’il est en train de vivre.

On s’excuse donc, notre compte-rendu du moment ne sera que personnel. Car les yeux fermés sous la lampe, on n’aura absolument pas pu voir comment nos compagnons allongés auront vécu l’expérience de leur côté. Qui aura mis la main sur les yeux, qui se sera levé. Ou si tout le monde sera resté immobile. Et on aura encore moins d’idées des effets visuels que nos camarades auront vu projetés sur leurs cornées.

Molecule-Pandora@Maintenant2019-alter1fo (3)

On ferme donc les yeux et  on attend le cœur battant que ça commence, ne sachant pas trop à quoi nous attendre au final. On est d’abord surpris par l’intensité lumineuse importante dégagée par les lampes. On sent nos globes oculaires remuer au creux de nos orbites sans qu’on puisse influer le moins du monde sur leurs mouvements. Des couleurs éclatantes, extrêmement lumineuses, mouvantes apparaissent dans notre tête. C’est immédiat. On croyait que les effets seraient progressifs, mais on est en réalité immédiatement plongé dans l’expérience.

Molecule-Pandora@Maintenant2019-alter1fo (6)Le cœur encore légèrement palpitant, on décide finalement de se laisser porter par ce qui nous arrive. Des taches lumineuses extrêmement colorées s’étendent, rapetissent, grandissent, se modifient, semblent se courir les unes après les autres puis partir dans d’autres directions. On est même perplexe : un problème oculaire nous empêche habituellement de voir en 3 dimensions et on reconstruit la profondeur péniblement: hors là, il semble que plusieurs plans se mélangent sous nos yeux fermés, que les couleurs jouent à se mélanger sur des plans différents. Et que ponctuellement chacun de ces plans correspond à une piste de la musique que Molecule joue en live. Certains défilés de couleurs se calent sur le rythme de tel sample, d’autres apparaissent, disparaissent, selon que la sonorité s’amplifie ou s’amuït. Les couleurs changent constamment : certaines fois ce ne sont que des couleurs chaudes, d’autres fois des blancs, des bleus et des oranges qui se mêlent. Des violets arrivent. Des formes géométriques côtoient des taches qui grossissent, rapetissent. Les formes plus ou moins géométriques, dansent, d’un sens, dans l’autre, se modifient.

On est complètement stupéfait par les gammes de couleurs qui semblent infiniment renouvelées tout au long de la performance, tout comme par la diversité étonnante des formes qu’elles prennent. C’est comme si on ne revivait jamais la même chose. On se dit que c’est sûrement la lampe qui change de couleurs et qui modifie celles-ci dans nos yeux. Mais après avoir vu quelques images de la performance, la lumière qui semble émaner de la lampe semble être quasi toujours blanche ou jaune. Ce serait donc notre cerveau qui a créé toutes ces couleurs ? On a également l’impression de plusieurs temps distincts, de séquences de couleurs et de formes qui s’enchaînent. Hors : vues de l’extérieur, les lumières stroboscopiques semblent toujours aller à la même vitesse. On doit avouer qu’on est assez perplexe. Mais malgré ce bouillonnement visuel, on n’a jamais le sentiment de perdre pied. On a même l’impression à un moment de pénétrer l’intérieur d’un glacier. Les sons craquent, profonds, et le bleu étincelant de blanc rayonne dans nos pupilles.

Molecule-Pandora@Maintenant2019-alter1fo (2)

 

La seule chose qu’on perd seulement vraiment finalement, c’est la notion du temps puisque lorsque les 15 minutes de la performance s’achèvent, on a l’impression que cela ne fait que quelques minutes à peine que ça a commencé.

On peine tout de même un peu à émerger rapidement. On ouvre les yeux mais on reste quelques instants sur le tapis pour prendre le temps de se réhabituer. On aurait souhaité avoir davantage de temps pour reprendre pied, mais les spectateur.trice.s de la session suivante attendent déjà. On se méfie tout de même de notre équilibre en se mettant debout, mais non, on retrouve la verticalité sans vertige.

Molecule-Pandora@Maintenant2019-alter1fo (7)

 

Une expérience troublante. Que d’aucuns nous diront avoir trouvé relaxante, d’autres remuante. Nous on n’aura pas compris grand chose, mais on aura vécu un moment à part. Un peu à l’image de ce festival, qui année après année, nous fait vivre des choses surprenantes, incongrues, étonnantes. Au fil des années, l’association Electroni[k], responsable du festival, a ainsi complètement réussi à nous alpaguer avec ces propositions éclectiques, souvent décalées. A cause de cette bourricote d’équipe, on a par exemple dormi dans un dojo plein d’inconnus et écouté un concert en pyjama, on a entendu des légumes faire de la musique, on s’est caillé les miches dans la piscine St Georges pour une diffusion subaquatique qui nous a fait frissonner au sens propre et figuré, on a écouté un quatuor à vents en forme de cornes de brume. On a aussi regardé une tapisserie devenir vivante, fait des bulles en forme de montgolfières, et même allumé un nuage sur la place Hoche : bref, un paquet de trucs qu’on n’aurait jamais imaginé vivre. Et cette expérience étonnante s’ajoute à cette longue liste (non exhaustive). Maintenant on pourra juste aussi désormais dire qu’on suit les propositions du festival les yeux fermés.

Photos sans psychotrope : le toujours hallucinant Mr B.

Maintenant 2019 - Expérience 7 - Pandora et Molécule

[Aucune drogue n’a été utilisée durant la rédaction de ce report.]


Maintenant a lieu du 4 au 13 octobre à Rennes.

Plus d’1fos


 

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires