Maintenant 2019 – [Report] Mémorable Nuit électronique @ l’Antipode MJC

Belle claque sonore et formidable suée sur le dancefloor durant cette Nuit Électronique à l’Antipode MJC dans le cadre du festival Maintenant grâce à une programmation des plus audacieuses qui s’est révélée aussi diablement efficace que passionnante de bout en bout. Des nuits comme ça, on aimerait en danser plus souvent.

Pour ses soirées clubbing, Maintenant, ici en coproduction avec l’Antipode MJC, aime concocter des programmations exigeantes, alliant talents en devenir, têtes chercheuses et efficacité sur le dancefloor avec des artistes emblématiques d’une recherche actuelle, qui parlent tout autant à la tête qu’aux jambes, histoire de danser toute la nuit sur un futur en train de s’écrire… Avec quatre projets, résolument hors-normes qui explorent les musiques électroniques dans des directions différentes mais avec autant de réussite que de passion, la programmation de cette soirée s’est révélée d’une richesse et d’une efficacité aussi folles que redoutables.

A.N.I. : transes poly-rythmiques dans le noir

 Alter1fo ANI@Antipode-Maintenant2019-alter1fo

On arrive juste à temps pour entendre les premières notes du récent projet A.N.I. Collaboration inédite entre le Vénézuelien installé en Belgique Ernesto González (Bear Bones, Lay Low) dont on a retrouvé le psychédélisme électronique aux boucles tournantes et hallucinées lors de Belgiëque au printemps à l’Antipode MJC, et ce après un passage fascinant et hypnotique au Vieux St Étienne pour l’édition 2018 du festival (le musicien y avait envoûté les festivaliers avec ses boucles lancinantes, invitant progressivement la foule en une communion immersive assez hallucinante), Florian Meyer (Don’t DJ) en sweat-shirt et baggy et Maxime Primault (d’abord connu avec High Wolf son projet drone électro aux influences hybrides panafricaines ou orientales -et on en passe- le garçon habite également l’entité Black Zone Myth Chant, où le tribalisme occulte côtoie d’hypnotiques beats hip-hop), le projet donne ce soir l’un de ses premiers concerts (après deux dates en France et une en Croatie cet été) et invite à une expérience immersive, fortement marquée par les musiques poly-rythmiques et l’improvisation à partir de parties semi-écrites.

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Placés au centre de la salle, au milieu du public qui arrive progressivement, à la même hauteur que nous, les trois garçons manipulent tout un dispositif d’instruments analogiques déconstruits, bricolés. Des fils, des MPC, des potards, tout un bric à brac hétéroclite, et même des platines vinyles qui tournent en boucle avec on ne sait quoi dessus si ce n’est qu’un drôle d’élastique tendu les surmonte. Il fait quasi nuit. Seules trois lampes diffractent quelques lumières au-dessus des têtes. Sur la scène en contrehaut, derrière les trois sorciers qui se font face, des smileys tout aussi déconstruits et tordus sourient dans le noir. Le set commence par des sons qu’on croirait sortis d’une forêt tropicale peuplée d’insectes hybrides, des bruits luxuriants, chauds, qui plongent l’oreille dans une moiteur boisée. Des sons aquatiques chelous étirés s’agrègent à des rythmiques de chamanes sous acides, qui s’entremêlent progressivement les unes aux autres pour former un canevas rythmique aussi étonnamment complexe qu’immédiatement hypnotique.

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En quelques minutes, le public qui grossit doucement au fur et à mesure des arrivées, s’agrège autour des trois gredins, danse d’un pied sur l’autre, sur un rythme lent, profond, intime, quasi inné. On ne sait plus trop si on est au milieu de l’Antipode ou dans une forêt tropicale amérindienne ou africaine. Et comme tout un chacun, on se laisse prendre, on cahote d’un temps fort à un autre les pieds s’ancrant au sol, l’oreille joyeusement chahutée par les polyrythmies qui se tissent. Le rythme ralentit encore, porté par un pas de pachyderme plein de grains et un son analogique merveilleusement chaleureux. On ne s’ennuie pas une seconde, toujours porté plus avant par un nouveau son, une nouvelle idée. A mi-performance, les trois ont beau s’arrêter aussitôt salués par les applaudissements, l’hypnose se poursuit et le voyage progressif continue à gagner en intensité. Les corps se rapprochent, les rangs se serrent de plus en plus, les bras s’agitent. Derrière leur bazar énigmatique hérissé de fils, la bande des trois sautille, entraînant encore davantage le public de plus en plus nombreux dans sa danse. La foule devient un seul corps agité par les mêmes lents et profonds soubresauts. Le public, les musiciens, tou.te.s respirent d’un même mouvement et la transe gagne. A.N.I. n’aura joué qu’une heure mais aura su démontrer une déjà grande maîtrise après seulement une poignée de lives, de fort belle augure pour la suite du projet. Tout comme d’une capacité à transporter la foule. Loin à l’extérieur. Loin à l’intérieur. Une excellente entrée en matière, parfaite rampe de lancement pour l’électro abstraite et métissée de Slikback

Slikback

Slikback@Antipode-Maintenant2019-alter1fo (6)

Co-fondateur de Hakuna Kulala (label issu de la maison Nyege Nyege Tapes avec Sapienz et Zilla), et dans la mouvance du festival ougandais Nyege Nyege qui fait bouger les lignes de la musique électronique africaine, le jeune producteur Fredrick Mwaura Njau aka Slikback commence son set dans les lumières, mais le visage caché derrière un masque, renouant avec l’anonymat cher aux pionniers de la techno. A la différence près que le tissu qui dissimule son visage représente un ourson tout mignon (on mettra tout le set à s’en rendre compte). Avec deux eps (Tomo, paru le 1er février précédé par Lasakaneku – juin 2018) à l’avant-garde de la bouillonnante scène musicale d’Afrique de l’Est, Slikback associe l’héritage rythmique local à une électronique abstraite. Bass Music au tempo ralenti, puissante, sombre et rêche, les productions du Kenyan mélangent footwork, trap et grime à une house percussive africaine des plus efficaces.

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Ça commence sur un rythme lent, profond, avec des basses coupées, relancées qui percutent la piste par à coups, essorant les corps qui se mettent aussitôt à bouger à un rythme étonnamment rapide, eux aussi par à coups, passant d’une onde lente et profonde à des soubresauts exaltés qui partent dans tous les sens devant la scène. C’est assez fascinant à voir, à vivre, de passer de cette lente ondulation, notamment sur des breaks venus de l’espace (là une nappe de souffles électriques, ici un sample vocal tout en percussions, ici encore des synthés éthérés en modes cordes synthétiques d’outer space) à ce déchaînement soudain des corps, d’un coup boostés par la lame de fond rythmique (pourtant très lente) que Slikback fait grossir. « Trop expérimental », hurle notre voisine, qui ne sait plus sur quel pied danser, lâchée au milieu de chaque déferlement rythmique dans un break désarçonnant, à l’inverse des danseur.se.s devant la scène, complètement happé.e.s par ce set détonnant, en même temps disloqué, massif et cohérent.

Tomo, paru le 1er février dernier précédé par son premier opus Lasakaneku (juin 2018)C’est le moment que choisit son pote, kangourou bondissant depuis dix minutes autour de nous, pour nous vomir dessus soudainement. Fort heureusement sans compter sur la force de frappe du prodige kenyan, qui (après nettoyage), ne tarde pas à nous basculer à nouveau dans son monde aussi in-ouï que fascinant (on soupçonne que le garçon ne joue ce soir que ses propres productions). Hors norme, Slikback (qui a commencé la musique il y a quelques années à peine) déconstruit les frontières des genres, les pétrit à sa sauce singulière. Comme on est vieux, on pense à Autechre, mais un Autechre balancé au milieu des cultures africaines ancestrales, soudainement hérissé de noise radioactive, plongé par intermittence la tête sous l’eau d’un hip hop déviant, d’une trap asphyxiante en même temps illuminé d’une house urbaine et futuriste. Exit les accélérations de tempo : Slikbak malaxe la piste avec une électro dark à souhait, toute en tension, abstraite et épaisse, qui assomme et écrase autant qu’elle libère. Une électro hors-piste qui invite à s’abandonner à la nuit. Le futur, on en est sûr, passera par là. Ardu, mais fascinant.

Errorsmith

Errorsmith@Antipode-Maintenant2019-alter1fo

On est ravi que Slikback partage le plateau avec Errorsmith qu’il admire immensément et qu’à la jeunesse prometteuse du Kenyan réponde l’expérience de l’Allemand. Dans le genre endurant, Errosmith se pose en effet là puisque Erik Wiegand hante les bacs de Hardwax et les pistes des clubs depuis 1996 tout en se tenant à l’abri de tout exercice promo et de toute mise en lumière (seule la sortie de son dernier album en date a été un poil médiatisée). Que ce soit sous le nom d’Errosmith qu’il a repris en 2015 pour son travail avec Mark Fell sur le EP Protogravity, après deux albums solos en 2002 et 2004, ou avec ses collaborations emblématiques MMM (avec Fiedel du Berghain) et Smith N Hack (avec Soundstream, alias Soundhack), le Berlinois célèbre le club autant qu’il le pervertit, bousculant les codes avec autant d’intelligence que de jubilation. Car le garçon aime soulever les capots et plonger les mains dans les câbles plutôt que dans le cambouis et construit ses propres instruments à l’aide de Reaktor, un logiciel de synthétiseur modulaire, notamment en 2011 le synthétiseur Razor (développé par Native instruments), qu’il utilise pour mieux corrompre les codes de l’électro. Pour preuve, Superlative Fatigue, son dernier album en date (Pan, 2017), ovni de débauche électro totalement délirant où les vocaux sont le fruit de synthèse vocale, liens étranges entre l’homme et la machine, qui tissent des rythmiques bizarres étonnamment rafraîchissantes.

Errorsmith@Antipode-Maintenant2019-alter1foEt ça se confirme en live, où le garçon, casquette sur la tête lance les hostilités avec un son résolument hors-norme, totalement à part, mais qui se révèle d’une efficacité impressionnante. Aussitôt, la foule devient masse ondulante, ravie de retrouver un tant soit peu de linéarité dans la danse, le phare four on the floor réconfortant agrégeant aussitôt les danseur.se.s. dans un même mouvement. Mais ne nous y trompons pas, si Errorsmith garde les cadres rassurants et partagés de l’électro (mesures marquées, régulières, break aux basses coupées, relancées dans les cris et les bras qui se lèvent…), il les dynamite en tapinois de l’intérieur. Gardant la foule dans ses rets en lui donnant ce qu’elle attend, Errorsmith  corrompt totalement les sonorités clubbing, partant dans des constructions sonores délirantes. Sur scène, il utilise en effet les outils digitaux qu’il a élaborés pour improviser des beats exubérants, en même temps puissants et hilarants. Sonorités cheloues toutes en synthèse vocale étirée, triturée, ramassée, qu’il accompagne de mouvements de tête glissés totalement habité par les sons qu’il crée, sonorités qui deviennent même parfois curieuses rythmiques, à la fois bizarres et extravagantes : la musique de l’Allemand est définitivement autre.

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Mais damned, ça fonctionne et malgré ses sonorités à la fois truculentes et insolites, la piste reste constamment en mouvement. Le live d’Errorsmith est en même temps plein d’humour et de machines, de jovialité jubilatoire et d’une redoutable efficacité. Pour preuve encore My party, final étourdissant, où le musicien s’équipe d’un casque avec micro-intégré et s’entoure le cou d’une bande électronique qui semble capter ses mouvements vocaux, morceau hallucinant et halluciné, construit autour des borborygmes vocaux de son auteur, à la logorrhée délirante et hautement perchée. Ce bavardage électronique frénétique et incongru, aussi hilarant qu’hallucinant concluant un set surprenant de bout en bout. En même temps au cœur de la recherche expérimentale et complètement tourné vers les clubbers auxquels il a proposé une expérience immédiatement accessible mais renouvelée en profondeur, Errorsmith aura offert un live aussi inattendu que radical dans ses intentions. Bluffant.

Cera Khin

CeraKhin@Antipode-Maintenant2019-alter1fo

Après ces trois projets aussi différents que fascinants, qui mettent déjà cette Nuit Électronique haut parmi les étoiles par la qualité époustouflante de sa programmation (qu’on adhère ou pas aux différentes esthétiques proposées, la richesse et l’éclectisme des propositions sont un régal pour les corps, les oreilles et la tête), on remercie les programmateurs d’avoir choisi de finir la nuit avec la désormais berlinoise Cera Khin, infatigable globetrotteuse des dancefloors de la planète clubbing, pour un dj set libérateur et rentre-dedans. Responsable d’une émission mensuelle sur la radio de Bristol Noods, tête chercheuse et pensante de son propre label Lazy Tapes, véritable trapéziste des platines, la tuniso-berlinoise voltige en effet habilement de genres en genres, proposant des sélections superbement racées de l’early rave au dancehall, de l’électro à l’indus, d’Eliane Radigue à l’aciid, de l’Ethiopian à la jungle…  Mais choisit ce soir de cogner fort et dru. Et de nous en mettre plein la tête.

CeraKhin@Antipode-Maintenant2019-alter1fo

Ça percute les corps à pleine puissance, ça décolle les pieds du sol, tout en les y ancrant avec force. Cera Khin choisit la méthode lancée, à 140/150 bpm, rave on, guys, et dégomme les esgourdes avec une techno uppercut des plus efficaces. Pas de déviance, ici, pas de circonvolutions, c’est direct, bam dans ta face. Basses puissantes assénées en coups de boutoir, aigus coupés, arrivée de charley obsédante, Cera Khin n’y va pas par quatre chemins et nous plonge les corps les premiers dans des nappes et des basses cradingues, punche les organismes fatigués qui lèvent les bras reconnaissants. Dans ce déluge sonore, après tant d’autres ce soir, un gars nous attrape, nous serre les mains, nous rappelant que la convivialité de la nuit se libère sur ces beats partagés. On est loin, on est bien. Pris dans cette pulsation profonde et enthousiasmante qu’on pourrait suivre jusqu’aux profonds méandres de la nuit (il est déjà si tard, si tôt ; on n’a rien vu passer), on s’arrache de la piste avant la fin du set à regrets. Mais encore toujours plus certain que comme ce soir, la nuit d’abord se partage.

Photos dans le noir et compagnon de sage débauche : Mr B.

Maintenant 2019 - Nuit Electronique @ Antipode MJC, Rennes


Maintenant a lieu du 4 au 13 octobre à Rennes.

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