Maintenant 2019 – Focus #1 : concert pour ananas, symphonie pour arbres et sculpture lumineuse mouvante

L’un des seuls trucs qui nous console vraiment de la rentrée c’est de savoir que Maintenant approche. Car le festival organisé par les doux et dingues trublions de l’association Electroni[k] nous réserve chaque année d’étonnantes et merveilleuses propositions artistiques à découvrir aux prémisses de l’automne (du 4 au 13 octobre exactement). On commence donc fiévreusement à feuilleter sa programmation et cette année ne faillit pas à la règle. Jugez plutôt : symphonie électronique pour ananas, conférence musicale d’arbres et sculpture lumineuse en mouvement au programme de ce premier focus sur les propositions du festival.

Maintenant, c’est quoi ?

L’association Electroni[k] propose différentes manifestations à Rennes, notamment pendant le temps fort Cultures Electroni[k], renommé Maintenant depuis 2013 (à ce propos, lire ici), autour des arts, de la musique et des technologies au travers de spectacles ou installations variés et souvent atypiques, mais toujours d’une réelle qualité artistique. Cette année Maintenant aura lieu du 4 au 13 octobre 2019.

Au fil des années, l’association Electroni[k] a ainsi complètement réussi à nous alpaguer avec ces propositions éclectiques, souvent décalées, à l’incongruité jouissive. A cause de cette bourricote d’équipe, on a dormi dans un dojo plein d’inconnus et écouté un concert en pyjama, on a entendu des légumes faire de la musique (mais on n’a pas mangé la soupe, faut pas exagérer!), on s’est caillé les miches dans la piscine St Georges pour une diffusion subaquatique qui nous a fait frissonner au sens propre et figuré, on a écouté un quatuor à vents en forme de cornes de brume. On a aussi regardé une tapisserie devenir vivante, fait des bulles en forme de montgolfières, et même allumé un nuage sur la place Hoche : bref, on a fait un paquet de trucs qu’on n’aurait jamais imaginé vivre.

En plus des offres plus classiques, Electroni[k] s’attache ainsi à constamment expérimenter de nouvelles formes d’accueil et d’interaction avec le public : des lieux apparemment incongrus (une piscine, un dojo, une maison de retraite…), des formats étonnants (des concerts sous l’eau, des installations qui s’écoutent sur des lits suspendus, des performances qui se découvrent au cœur de dispositifs sonores englobants ou de visuels hallucinants, des concerts au casque…). Et surtout, une volonté de s’adresser à tous les publics. Alors oui, chaque année, on attend octobre comme Noël avant l’heure, persuadés que l’équipe d’Electroni[k] aura caché mille surprises dans sa programmation.

 

Un visuel qui mêle arts, musiques… et technologies

D’une bienvenue parenté avec les rondes créatures aux visages aussi paisibles qu’intrigants et l’univers doux rêveur créé pour le visuel du festival l’an dernier par Plasticbionic, les personnages inventés et animés par Laurie Rowan pour l’identité visuelle de cette nouvelle édition promettent de découvrir des univers artistiques aussi hybrides que foisonnants, avec toujours le même émerveillement.

Pour cette année, le festival consacré aux arts, aux musiques et aux technologies franchit pour la première fois (et avec réussite) le cap du visuel animé en invitant Laurie Rowan à donner vie à ses drôles de créatures (ainsi qu’il l’avait fait, tout aussi brillamment pour mettre en évidence l’espace du Fact de Liverpool ou de façon hallucinante avec son totem hologramme interactif à la Silent Green Kuppelhalle de Berlin –jetez un coup d’œil ici). Avec ses personnages aussi doux qu’hétéroclites et merveilleusement expressifs, l’artiste britannique donne un visage accueillant et attrayant à la création artistique bouillonnante mise en avant par un festival aussi pointu que familial. Et on a hâte.

[A noter du 20 septembre au 18 octobre, une exposition sera consacrée au fascinant bestiaire de Laurie Rowan à l’Antipode MJC. A voir. -entrée libre-]

Symphonie électronique pour ananas : 16 Pineapples par Playtronica

Vous en avez ras la cacahouète des musiciens électro qui délivrent leurs lives planqués derrière leur laptops ? Alors vous risquez fort d’apprécier la performance de Playtronica le 9 octobre au 4 Bis, puisque ces drôles de zébulons qui se partagent entre Paris, Moscou et Berlin ont choisi de jouer leur musique sur 16 ananas !

On se souvient du concert survitaminé du Vienna Vegetable Orchestra sur l’édition du festival de 2010 où ces formidables frappadingues autrichien.ne.s jouaient de flûtes-carottes, d’autoroutes KraftweRkiennes avec des aubergines et accordaient leurs instruments (que des légumes, vous l’avez compris) aux couteaux (avant d’inviter tout le monde à la soupe après le concert). Mais si nos Autrichien.ne.s jouaient de la musique avec des légumes sculptés et amplifiés, c’est un poil différent avec le collectif Playtronica. Rassemblant musicien.ne.s, ingénieur.e.s et designers, le studio Playtronica crée des installations interactives autour de la musique et des sens. Et privilégie le toucher comme mode d’interaction.

Avec ces joyeux drilles et quelques pinces crocodiles, tout peut devenir instrument : des plantes, des dessins, les objets quotidiens tel le savon de votre colocataire, la surface de l’eau de votre verre, ou même la peau de votre voisin.e ! Playtronica semble pouvoir transformer n’importe quel objet ou personne en capteur tactile pour produire un son, autrement dit en instrument de musique par le toucher. L’idée étant de favoriser un rapport plus organique avec le son, inspirer la créativité et l’esprit DIY dans la production musicale.

Utilisant le principe de conductivité de l’électricité par le corps humain et des objets organiques, un contrôleur midi associé à 16 leds et notes différentes et des synthés en ligne, la performance est tout aussi musicale que visuelle, et un tantinet décalée. Ce 9 octobre au 4 Bis, ce ne sont donc pas moins de 16 ananas qui seront équipés de capteurs interactifs permettant au trio présent à Rennes de fermer les circuits électriques simplement par contacts avec leurs doigts et de créer des symphonies électroniques forcément vitaminées ! Choisis pour leur stabilité voire leur robustesse (notamment quand on souhaite développer une rythmique -imaginez avoir choisi une tomate) et leur exotisme un rien cliché, les 16 ananas produisent chacun des sons différents, et à chaque contact, les lumières se trouvent également déclenchées et synchronisées avec la musique. Bref, amat.rice.eur.s des 5 fruits et légumes par jour et/ou féru.e.s d’éléctro malicieuse, ces 16 Pineapples risquent bien de réussir à vous sustenter.

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Conference of Trees par Pantha du Prince : l’esprit de la forêt

On n’a pas vraiment de recul avec le producteur allemand Hendrick Weber, aka Pantha du Prince, dont on suit chaque sortie discographique avec un plaisir toujours renouvelé depuis ses tout débuts sur le label de Lawrence, Dial. Depuis, donc, les sorties de Diamond Daze (Dial, 2004) et This Bliss (Dial, 2007), merveilles d’électro house cristalline et de techno ambient irrisée. Toujours, ensuite, avec le tout aussi excellent Black Noise sortant cette fois-ci de façon plutôt inattendue chez les Anglais de Rough Trade. Avec ce troisième long format enregistré dans les Alpes suisses, Pantha du Prince s’est inspiré du bruit noir, ce son imperceptible pour l’oreille humaine, qui résonne juste avant les catastrophes naturelles (tsunami, tremblement de terre…) et de l’angoisse qui en découle.

C’est d’ailleurs près des ruines d’un village englouti il y a deux cents ans par un glissement de terrain qu’Hendrick Weber a mis en forme ce troisième album si l’on en croit la légende. D’une cohérence et d’une richesse majestueuse, ce diamant brut mélange sons organiques enregistrés dans la nature et textures synthétiques modulées avec un talent d’orfèvre (avec Panda Bear d’Animal Collective le temps d’un envoûtant et imparable Stick to my side). On a ensuite retrouvé Pantha du Prince pour une collaboration expérimentale sur Elements Of Light (Rough Trade, 2013), étonnant album réalisé  avec le collectif de percussionnistes fondus de cloches et de tout ce qui tinte The Bell Laboratory, avant un retour en trio en 2016 (avec son vieil ami Scott Mou et le batteur et compositeur norvégien Bendik Hovik Kjeldsberg) pour former Pantha du Prince feat The Triad, collectif à l’univers visuel psychédélique minimaliste et dont l’électronique shoegaze aux voix vaporeuses mixées en arrière fond était toujours autant destinée au dancefloor qu’à l’écoute solitaire.

Pantha Du Prince – Conference of Trees – Crédits Photo : Peter Hönnemann

Pour Maintenant, Pantha du Prince viendra présenter une nouvelle création, une performance pluridisciplinaire mêlant musique, arts visuels et costumes assez déments au TNB le 9 octobre encore. Intitulée Conference of Trees, en référence à l’un des poèmes masnavis les plus connus de l’œuvre de Farid al-Din Attar (12ème siècle), celle-ci a également été inspirée par la lecture de La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben et le rapport ténu qu’Hendrick Weber entretient depuis longtemps avec les arbres et la forêt. On se souvient d’ailleurs qu’à la sortie de Black Noise, celui-ci comparaît le club à une forêt pour citadins, comme une forme de rituel où l’on partait en expédition, parfois avec un peu de crainte, mais toujours avec cette beauté de se sentir plongé au cœur d’un organisme vivant.

Avec Conference of Trees, Pantha du Prince entend, du moins l’espère-t-il, à la fois représenter la complexité du langage des arbres et sensibiliser à la préservation des forêts. Pour cela, lui et ses comparses (Håkon Stene et Bendik Hovik Kjeldsberg -déjà avec The Bell Laboratory-, Manuel Chittka -Messer- et Friedrich Paravicini) utilisent des sonorités acoustiques, des instruments organiques, certains issus du folklore traditionnel, d’autres qu’ils ont fabriqué de toutes pièces à partir de morceaux de bois récupérés dans une ancienne usine. Chaque arbre a une essence, un son différent, explique le musicien-menuisier, et sur scène, il s’agit de donner à entendre les différents types de communication des arbres, leurs interactions (on vous renvoie à Wohlleben).

Ajoutés aux sonorités boisés, des sons de pierre et de métal cristallins aux hautes et basses fréquences transcrivent l’immatériel en vibrations audibles et parfois visibles, permettant en même temps de se reconnecter avec la matière, mais aussi d’atteindre l’intangible. De la même manière, les masques et les costumes, a priori inspirés par les recherches d’une amie roumaine sur les masques traditionnels, incarnent les arbres sur scène sous formes d’esprits, voire de fantômes pour un résultat des plus étonnants. On est donc sacrément impatient de découvrir ce nouveau projet de l’Allemand sur scène, et d’entendre bruisser la forêt au cœur du béton du TNB.

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SpaceTime Helix par Michela Pelusio

On risque également d’en prendre plein les mirettes avec l’impressionnant SpaceTime Helix présenté par l’artiste italienne installée en Grèce, Michela Pelusio (accompagnée par le dispositif Shape) le dimanche 6 octobre aux Champs Libres. En soi, rien de particulièrement dingue : juste une immense corde blanche tendue à la verticale entre sol et plafond, et une artiste derrière ses machines qui lui imprime un mouvement rotatif. Mais voilà, Michaela Pelusio est une fondue de l’exploration de la perception humaine (entre autres) et se promet de troubler notre rapport à la réalité. A l’aide de l’obscurité, de quelques leds et d’un plateau faisant tournoyer la corde, l’artiste et performeuse donne quasiment vie à une onde lumineuse infinie qu’elle modifie en direct. Devenue sculpture lumineuse cinétique, étonnamment malléable, cette SpaceTime Helix hypnotise la rétine et les sens, dansant quasi devant les spectat.rice.eur.s. pour un rendu assez hallucinant.

SpaceTime Helix – Michela Pelusio – Crédits photo : Margaux Martin

Les fréquences lumineuses, les couleurs et les sons sont contrôlés manuellement en direct avec une console créée par l’artiste. Des sortes de vagues géantes, quasi immatérielles, ondulent, s’élèvent, disparaissent, toujours mouvantes dans les lumières changeantes. Les sons acoustiques de la corde se trouvent également amplifiés directement avec des microphones. Les impulsions lumineuses, la fréquence, la rotation, la vitesse et l’électromagnétisme de l’hélice sont amplifiés et rendus sonores à l’aide de différents capteurs de lumière analogiques notamment. Totalement immersive, la sculpture en mouvement de Michela Pelusio joue autant sur les sons que le visuel et stimule l’observation et la perception des spectat.rice.eur.s à l’aide de ces symétries hélicoïdales inouïes, altérant tout en même temps notre perception de la matière, de l’espace et du temps.

Inspirée par les théories scientifiques autour des cordes et de leurs vibrations, de Pythagore (qui a inventé l’échelle musicale des fréquences) aux théories de la physique quantique, passionnée de sciences, Michela Pelusio souhaite créer des œuvres artistiques pour donner à voir et tenter de faire comprendre les théories et phénomènes scientifiques, notamment tout ce travail autour des ondes stationnaires et des vibrations des cordes, essentielles à notre compréhension du monde et de l’univers pour ces scientifiques. « Pour moi, explique Michela Peluisio, cette oeuvre est une métaphore du retour à la racine des choses, de la simplicité et de la complexité du macro et du microcosme, de l’espace interne et externe, de l’architecture de l’esprit et de l’architecture de la nature. Un phénomène naturel qui est presque un miracle devant vos yeux. » Les plus rétifs aux sciences que nous sommes risquent bien pour une fois, de courir écouter la bonne parole et de se faire cueillir par la beauté hypnotique de cette étrange sculpture mouvante.

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En 2019, Maintenant aura lieu du 4 au 13 octobre à Rennes.

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