Maintenant 2015 – Modern Eleven & Nils Völker : Poésie suspendue et beats massifs au Vieux St Étienne

Modern Eleven - Maintenant 2015 - Photo : alter1fo

Oubliez les raves dans les hangars désaffectés et/ou les boules à facettes : l’équipe de Maintenant a prouvé ce vendredi 17 octobre qu’une vieille église et des coussins suspendus pouvaient avec la même réussite se transformer en dancefloor. Pendant l’Expérience 4, la performance sonore de Modern Eleven et l’installation Seventeen de Nils Völker ont ravi 450 personnes. Et nous avec. Compte-rendu.

Quand on arrive sur la petite place animée du Vieux St Étienne, de sourdes nappes atonales emplissent l’espace. On entre avec à peine quelques minutes de retard sur l’horaire annoncé mais le set de Modern Eleven a déjà commencé. On se souvient du premier projet qui nous a fait découvrir Matthieu Ruben il y a fort longtemps, la release party au Chantier de son premier maxi Midnight Requiem sous le nom de Kogura Mustache. C’était au printemps 2011 et déjà, le garçon nous avait surpris par ses qualités de producteur.

Depuis, bien sûr, les exigences musicales du jeune homme se sont affirmées et affinées, notamment révélées par un changement de nom totalement raccord avec le son que le musicien développe désormais : Coldgeist. Le talent du jeune producteur s’est particulièrement illustré sur plusieurs maxis sortis sur Correspondant (le label de Jennifer Cardini), Children of Tomorrow ou Weekend Circuit (sur lequel on retrouve aussi des tracks de Sleeparchive, excusez du peu), mais également sur son propre label, Ritual Process. On relèvera également deux sorties digitales du meilleur aloi Ce qui est en haut d’abord en février 2015, puis son opposé Ce qui est en bas en septembre dernier. Avec Modern Eleven, nouveau side project du garçon désormais exilé à Berlin, Matthieu Ruben entend explorer une dimension encore plus ambient et expérimentale. Maintenant lui offrira ce soir  un parfait écrin pour la présenter au public avec cette Expérience 4.

Seventeen - Nils Völker - Maintenant 2015 - Photo : Alter1fo

Étonnamment, les spectateurs se sont positionnés face à l’installation de Nils Völker, Seventeen, suspendue à la voûte de la vieille église. Un peu à la manière de l’artiste suisse Zimoun (dont plusieurs créations avaient été présentées lors de l’édition 2013 de Maintenant) dont les installations utilisaient des matériaux simples (cartons, petits moteurs préparés,  balles de coton, de liège, sacs en plastique, ventilateurs) afin de créer des architectures sonores minimalistes (on se souvient ainsi d’une mer de cartons frémissant au plafond de la salle Anita Conti des Champs Libres) l’artiste allemand  Nils Völker utilise des matériaux ordinaires tels des sacs en plastique ou en papier qui se gonflent ou se dégonflent à un rythme précis. Travaillant également sur le rythme et le flux sonore, Nils Völker parvient à évoquer des sons issus de la nature (respiration, souffle du vent, ressac des vagues…) par le biais des mouvements d’air et le bruit des matériaux qui se gonflent et se dégonflent. L’artiste souhaite néanmoins rester du côté de l’abstraction (les titres de ses œuvres se réduisent le plus souvent au nombre d’objets utilisés, comme seventeen qui correspond aux 17 oreillers suspendus au Vieux St Étienne), préférant évoquer que souligner, et laisser une part d’interaction au spectateur.

Seventeen - Nils Völker - Maintenant 2015Ce soir, on n’entend cependant pas le moindre frémissement émanant de chacun des 17 coussins suspendus fabriqués à partir de Tyvek (matériau synthétique non tissé qui si on a tout compris, a la résistance du plastique mais la douceur du papier au toucher) tant l’air s’emplit de vrombissements sourds et sombres lancés par Modern Eleven. Pourtant même privée de sa dimension sonore initiale, l’installation de Nils Völker reste hypnotique. Et on observe longuement les mouvements de l’air, combinés à un subtil dispositif lumineux intégré, complètement fasciné. La respiration poétique de ces 17 oreillers trouvant un écrin parfait dans les murs du Vieux St Étienne plongé dans une relative obscurité.

Étonnamment, donc, le public s’est installé en majorité dos au producteur, face à l’installation, ou tout autour (mais personne en dessous) et lorsqu’on arrive, tout le monde a les yeux et le corps tournés vers les coussins qui se gonflent et se dégonflent, la lumière et l’obscurité circulant de l’un à l’autre. Tout se passe finalement comme si l’installation de l’artiste allemand et la prestation de Modern Eleven étaient pensées comme une seule et même œuvre pour le public, comme deux éléments d’une seule et même performance (alors qu’il n’en est rien, les deux œuvres « pré-existent » l’une sans l’autre). Mais plutôt que deux œuvres concomitantes, on est surpris de voir que les deux performance/installation dialoguent de fait au cœur du public.

Le set commence par une ambient dense de drones vrombissants qui trouvent un espace de résonance conséquent entre les hautes voûtes de l’ancienne église et invitent à l’immersion sonore progressive. D’ailleurs nombreux sont ceux qui se sont assis à même le sol, observant sans discontinuer les flux aériens et lumineux des coussins de Nils Völker. Certains s’allongent même pour se fondre encore davantage dans les nappes sonores et suivre les lentes digressions des textures bourdonnantes. A côté de nous, allongé sur son sac à dos, un garçon dessine, manifestement inspiré par l’expérience sensorielle développée par cette expérience.

Modern Eleven - Maintenant - Expérience 4 @Vieux St Etienne

Puis petit à petit, après cette entrée en matière qui nous amène à nous fondre aussi bien dans l’espace que dans la matière sonore (rarement lieu, performance et installation auront aussi bien fonctionné ensemble), des circonvolutions tournoyantes à la Sleeparchive amènent progressivement davantage de rythmes et de mélodies. Le four on the floor marqué par un pied profond trouve alors un bel écho sous les arches du Vieux St Étienne. Et tout aussi doucement que l’on s’était immergé dans les drones du début du set, quelques danseurs transforment progressivement la nef du Vieux St Etienne en dancefloor, les coussins de Nils Völker remplaçant étonnamment les boules à facettes.

Tout en retenue et relance, le set de Modern Eleven s’articule désormais entre notes aiguës tourbillonnantes, nappes aériennes qui montent progressivement pour relancer basses et pied profond puis amuïssement des basses avant leur retour libératoire. Les nappes brumeuses se trouvent chacune leur tour vrillées par les basses implacables : les danseurs, pris par le set, évoluent lentement, habités par le rythme. La transformation progressive du lieu par la performance est impressionnante : une grande partie du public s’est désormais levée et sans réellement danser, se laisse gagner par le mouvement. C’est manifeste, ce soir quelque chose fonctionne bel et bien.

Modern Eleven -Maintenant 2015 - Photo : alter1fo.com

Pour peu qu’on écoute attentivement, l’onde sonore se trouve perpétuellement densifiée : nappes, cliquetis, stridences légères, masses sonores profondes et tournoyantes, pied qui s’absente le temps d’une montée. Alors certes, on attend du garçon dans le futur encore davantage d’épaisseur dans la matière sonore (oui, on pense à Sleeparchive, Vladislav Delay, Monolake/Robert Henke…), mais au vu de la progression du jeune producteur en quelques années, le musicien a toute notre confiance. Le projet est certes en devenir et encore dans la recherche de son propre équilibre, mais le potentiel pour quelque chose d’encore meilleur est là, et bien là. Et ce soir déjà, le public semble totalement gagné par le set, particulièrement ravi même, si l’on en croit la salve d’applaudissements et de cris qui marquent la fin de la performance.

Sur un final tout en bleeps tournoyants, nappes sonores vrombissantes ou plus aériennes, on croit même voir Seventeen respirer, comme si l’installation prenait encore davantage vie, les masses d’air gonflant et dégonflant les coussins semblant désormais remplacées par les masses sonores. On le répète, rarement lieu, public, performance et installation auront aussi bien fonctionné ensemble. Une chouette réussite.

Modern Eleven - Maintenant - Expérience 4 @Vieux St Etienne

 

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