Littérature jeunesse : les jeunes filles et leur corps

 

Voilà deux livres faits pour se rencontrer… l’un, documentaire mais aussi agréablement métaphorique, et l’autre, roman initiatique et en partie informatif, offrent chacun à leur manière un point de vue positif sur le devenir femme des jeunes filles.

 

© Favre éditions

 

Intéressons-nous d’abord au premier, écrit par la Dr Elisabeth Raith-Paula. Cette femme (femme avant d’être doctoresse) pense que ce que l’on connaît est plus facile à préserver et plus simple à aimer. Son propre corps, pour une jeune fille qui rentre doucement ou avec fracas dans l’adolescence, est un grand mystère et il n’est pas toujours évident de démêler le vrai du faux, ce qu’on a besoin ou envie de savoir, le bien-dit et les non-dits dans les discussions avec les copines, les cours de sciences au collège et les échanges (quand ils existent) avec les parents. Avoir un outil sympathique à consulter tout au long de la puberté et même au-delà devrait faire partie des indispensables à ces âges-là.

 

Que se passe-t-il dans mon corps ?, comme son nom l’indique, explique scientifiquement avec le vocabulaire juste et par une métaphore spectaculaire comment tous les acteurs organiques se préparent, se mettent en place et jouent sur la « scène de la vie » à chaque « cycloshow » tout au long de la vie d’une femme. 11 parties et un glossaire émaillés de quelques témoignages, d’un exemple de journal de cycle, de schémas, photos et illustrations en couleur font de cet ouvrage un accompagnement positif de la puberté au féminin*.

 

Si les photos sont pour la plupart un peu trop lisses et formatées (et déplorablement uniquement caucasiennes pour un événement qui a lieu dans tous les corps de toutes les femmes du monde), les illustrations prennent un parti amusant et allègent les messages parfois très scientifiques. Le véritable vocabulaire (follicule, corps jaune, hormone lutéinisante, etc…) est nécessaire, et c’est là que la métaphore intervient pour en faciliter la compréhension et surtout permettre de faire le lien facilement entre les différentes étapes. Les « copines Œstrogènes » préparent la scène pour la « Reine Ovule » entre autres grâce à la « Potion magique », sympathique petit nom donné à la glaire cervicale…

 

On sourit donc bien souvent à la lecture de toutes ces informations. Et en effet, com-prendre les choses de façon positive, les voir comme un spectacle admirablement enchaîné et recommencé pendant de longues années est sans aucun doute une grande aide quand on arrive à un âge où les changements physiques qu’on ne maîtrise pas, en même temps qu’une vie émotionnelle qui se complexifie, peuvent considérablement déstabiliser. Et annoncer qu’on a « ses richesses » ou demander « un produit de luxe » quand il nous manque un petit accessoire indispensable est une jolie idée plus agréable que d’autres termes.

 

Il y a un mais. C’est peut-être très subtil, c’est peut-être trop léger pour que cela pose un vrai problème aux lectrices adolescentes… mais quand on arrive à la partie sur la contraception, destinée à être lue plutôt au moment opportun, donc plus tard par les jeunes filles, un doute qui se montrait de temps à autres dans les premières parties devient plus fort. On ne peut pas regretter que les contraceptifs hormonaux soient expliqués avec des effets secondaires dont peu sont évoqués en consultation de prescription ou de renouvellement. Certes. Il est par contre plus délicat de passer si rapidement sur les contraceptions locales. Encore plus peut-être de parler de « petit embryon » qui se trouve « condamné à mort » par les mécanismes anti-nidatoires de certains contraceptifs… Evidemment, donner les informations pour choisir en connaissance de cause et quels que soient ses origines ou ses choix culturels et éthiques est une riche idée mais il semble que dans ce livre ce soit un petit peu trop univoque.

 

Mais finissons de façon aussi positive et optimiste que nous est présenté ici le cycle féminin : ce livre devrait se partager de mère (ou grand-mère, tante ou marraine) à jeune fille, d’autant qu’il remet à jour des informations que les premières peuvent avoir reçues (quand elles les ont reçues) il y a longtemps et de façon peut-être difficile à transmettre, qu’il n’y a pas d’âge pour mieux connaître son propre cycle et les possibilités de contraception, dont la planification familiale naturelle, qu’il invite à la bienveillance envers soi-même et les événements naturels de son corps et enfin qu’il propose de célébrer les ménarches (premières règles) comme cela plaira à la demoiselle.

 

© éditions Le souffle d'or, illustration Mina Smoke

 

On en vient donc comme une évidence au deuxième livre de ce jour : Stella et le cercle des femmes, sous-titré « Rituel de passage d’une adolescente ». Maïtie Trélaün, (entre autres) sage-femme depuis de longues années, propose un petit roman qui raconte comment la jeune Stella, tout récemment réglée, va être accueillie et célébrée par des femmes pour qui l’entrée en féminité est une richesse. Dans cet endroit à la géographie mystérieuse (ce pourrait être ici, tout près, ou sur un autre continent, l’avantage étant qu’on sent que cela se passe de nos jours, ce qui permet d’éviter un regard trop ethnologique et de mieux s’identifier), à l’arrivée de leurs ménarches, les jeunes filles sont invitées, une par une et seule, à gravir la colline des femmes. Il n’y a « rien à craindre », mais leurs mères ou leurs amies ne peuvent leur en dire plus.

 

Maïtie Trélaün nous autorise à accompagner Stella lors de ce moment incontournable de sa nouvelle vie de jeune femme. On partage avec elle les inquiétudes et les émotions qui montent en elle au fur et à mesure de cette étrange nuit qu’elle va passer, judicieusement accompagnée, dans l’antre de la Terre. D’abord dans une yourte, puis dans une sorte de caverne, Stella écoutera le discours de Mawani, sorte de chamane des temps modernes, qui remonte le temps de l’histoire des cycles féminins et surtout de leur perception, et se laissera dorloter par deux autres femmes pour effectuer comme une mue à la fois virtuelle et tout à fait réelle.

 

Ce livre se veut roman et outil théorique et pratique, et par moment, ce souci entraîne des longueurs, notamment dans les premiers monologues de Mawani. Il vaut cependant la peine de rester à l’écoute, non seulement pour ce qu’on en retire d’informations, mais aussi parce que c’est finalement le socle solide de ce doux rite de passage. La façon dont l’événement est voulu par le cercle des femmes peut également paraître un peu trop baba cool et le discours un peu grandiloquent. Mais c’est une des manifestations des forces de la nature qui est en jeu, alors pourquoi ne pas cesser de prendre un recul peut-être occidental et de se laisser emporter par la texture du ghassoul et l’odeur de la sauge ?

 

L’illustration de couverture par Mina Smoke est très fine et jolie, plus que légèrement japonisante, ce qui ne gâche rien. Les rouges poétiques qui s’y entremêlent, plus ou moins forts ou délayés, rendent le fluide bleu des publicités pour les protections périodiques vraiment ridicule. Et l’on en vient à souhaiter en regardant le travail de cette illustratrice que le roman soit publié sous format album et qu’elle puisse donner un visage non plus seulement à Stella mais à d’autres femmes du cercle. Pour que chaque lectrice puisse y trouver un reflet de son propre intérieur.

 

Enfin, espérons que ce roman donne à des jeunes filles l’idée de réclamer à juste titre d’être choyées à ce moment particulier de leur adolescence, et de continuer à être entourées par une communauté de femmes si réduite soit-elle, mais qui leur apporte ce dont elles ont besoin au bon moment. Qu’elles le fassent lire à leurs mères ou à d’autres femmes et jeunes filles autour d’elle, voire à leurs pères, pour pouvoir si ce n’est échanger, au moins partager la connaissance de ce précieux trésor qui leur est offert. Quitte à leur permettre de créer leur fête rouge et que cela devienne un rituel qu’elles répèteront plus tard à leur tour avec de plus jeunes.

 

Que se passe-t-il dans mon corps ?, Dr Elisabeth Raith-Paula, Favre éditions, 2012, 21€.

 

Stella et le cercle des femmes, Maïtie Trelaün, éditions Le Souffle d’or, 2011, 9€.

 

*On notera qu’il existe des ateliers « CycloShow » et « XY-évolution » (pour les garçons), dont on trouvera les dates et modalités sur le site en question : http://www.cycloshow.fr/

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