Les municipales et nous: entretien avec deux usagers de la Cantine sociale

 Photo : Édouard Hue [CC-BY-SA-3.0], via Wikimedia Commons

Les municipales approchent, nous poursuivons nos rencontres avec les rennais: nous avons rendez-vous, cette fois-ci, avec deux usagers de la cantine sociale « le Fourneau », rue Clémence Royer, à Cleunay. Accompagné des pinceaux de Héol, nous discutons, à l’heure du repas, avec Jean et Alain, volontiers bavards à l’évocation des différents candidats.

Parfois aussi appelée la « cantine Leperdit », le restaurant actuel est héritier d’une longue histoire sociale, commencée au XVIIème siècle avec la création de la « Marmite des pauvres », distribuée à l’emplacement du Centre Communal d’Action Sociale actuel, rue du Griffon dans le Vieux Rennes. Au XIXe siècle, les fourneaux économiques prennent le relais de la Marmite des pauvres, et s’installent rue Leperdit. Le nom de la cantine actuelle témoigne donc de cette histoire, et les repas sont aujourd’hui servis dans un local à l’entrée du quartier de Cleunay, à deux pas des Ateliers du Vent ou du Boulevard Voltaire, au beau milieu d’un quartier résidentiel et pavillonnaire.DSC07520
À l’heure de midi, le long local en béton ne désemplit pas. Alors que, dans la cour, quelques jeunes punks et des SDF plus âgés discutent en fumant et en surveillant leurs chiens, une altercation vite apaisée éclate dans le groupe voisin, dont je suis incapable d’identifier la langue. Un jeune est raccompagné jusqu’au portail d’entrée, le calme revient. À l’entrée, je suis surpris de rencontrer deux jeunes religieuses, probablement d’un ordre mendiant, écouter les conditions pour recevoir un repas: s’inscrire, respecter le règlement et régler la somme de 1 euro. Dans une atmosphère bruyante et polyglotte, bonne humeur ou tension tangible alternent, au gré des tables. Jean et Alain, les deux usagers qui nous reçoivent, devisent en déjeunant au fond du restaurant. Affables et bienveillants, ils nous invitent à les rejoindre pour discuter, en acceptant d’une blague notre proposition de les peindre en discutant.

ok1Alain, usager de la cantine sociale « Le Fourneau »

Tous deux sont rennais de longue date, et me font comprendre au fil de la discussion qu’ils sont tous deux victimes de problèmes de santé, raison de leur présence à la cantine. Alain, lui, est arrivé à Rennes en 1965, pour les études, « de l’autre bout de la Bretagne », car les filières qui l’intéressaient n’étaient pas proposées dans le Finistère. « J’ai bifurqué vers la fac de droit. Je rencontre encore souvent un copain, qui est avocat. Nous étions ensembles sur les bancs de la fac. J’ai préféré continuer vers la fonction publique. À Rennes ». Jean, lui, est arrivé à Rennes depuis la Normandie, une décennie plus tard, en 1975, pour son service militaire. Il annonce d’emblée qu’il a toujours aimé Rennes depuis cette découverte. Alain aussi: c’est là leur point commun, nos deux interlocuteurs se sentent rennais et aiment la ville de longue date. Alain a évolué longtemps dans les « hautes sphères » de l’administration, Jean a été ambulancier, puis conducteur pour Véolia.

En vieux rennais, Jean et Alain connaissent l’histoire factuelle et politique locale sur le bout des doigts. Ils s’informent par les journaux, Ouest-France et les gratuits, Alain va tous les jours consulter les journaux aux Champs-Libres, regarde les informations quand il est hospitalisé. Il est intarissable sur n’importe quel fait ayant marqué la capitale bretonne ces cinquante dernières années. On parle des vingt ans de l’incendie du parlement, en 1994? « J’y étais,ce matin là. Pour moi le préfet aurait du organiser la rencontre à la préfecture de Beauregard. On aurait pu éviter tout ça. Edmond Hervé a été molesté ». Il est enthousiaste au sujet des années Hervé, et Jean le rejoint à ce sujet: « Hervé, il a fait du bon boulot. Delaveau, dans la continuité, n’a pas été assez fort, il n’a pas eu la gnac! ». Ils s’accordent sur un autre point de vue: le droit de vote. Tous deux évoquent le privilège de l’avoir, en France, et tous deux iront voter. Mais là, leurs favoris diffèrent…

ok2-1Jean, usager de la cantine sociale « Le Fourneau »

Pour Alain, pas de dilemme: il votera « du côté d’Appéré. Je confonds un peu les noms, mais je voterai de ce côté là ». Les noms dont il se souvient, ce sont ceux qui ont accompagné les mandats précédents, « les anciens de Hervé ». Il apprécie ce qu’ils ont fait sur le plan social à Rennes, sur les transports. Il ne semble pas connaître précisément le programme, mais l’idée de continuité lui plaît, même s’il pense que Daniel Delaveau a manqué de charisme: « Je vais pas dire que ça a été un mauvais maire, mais on ne l’a pas beaucoup entendu ». Il remarque que la société change beaucoup, globalement: « quand on voit Hénin-Beaumont, le front national s’implante. Où ce qu’il vient de se passer en Suisse. Bon, là, c’est la société, ça change! ».

Jean, lui, « veut du changement ». Il s’est beaucoup intéressé aux programmes des deux « principaux » candidats: Nathalie Appéré et Bruno Chavanat. C’est le second qui le séduit le plus, d’autant plus qu’il a été déçu du manque de réponse au courrier qu’il avait adressé à l’équipe municipale, quand il a « galéré », il y a deux ans. « Maintenant, on les voit tous, je peux leur parler si je vais au marché. Ils ne jouent pas le jeu, ils ne disent bonjour que pendant les élections ». En ex-professionnel des transports en commun, c’est surtout l’urbanisme qui retient son attention. S’il reconnaît que l’entrée de Rennes côté Cesson a été bien aménagée (« il y a de la place pour les stationnements, pour les voies de bus »), il pense que la place de Bretagne et le mail François Mitterrand ne sont « pas au top ». « Ça me déplaît. ça coûte 25 millions d’euros, le mail, enfin on sait pas combien ça coûte. Pourquoi on va mettre des cèdres du Liban? La place de Bretagne, c’est un échec: avec ces bacs en taule rouillée, quelqu’un de fragile au niveau sanguin peut s’attirer des problèmes ».
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Quand on lui pose la question de l’évolution de la ville ces dernières années, il souhaite évoquer la saleté de la ville, les crottes de chien, les tags. À la table d’à côté, un type le reprend: les insultes fusent: « je suis pas anti-chien, je suis anti-connard! ». Le restaurant va fermer, l’autre s’éloigne. Jean commente alors les deux programmes, qu’il a lus: « Sur les 400 propositions de N.Appéré, il y en a 390 qui sont déja en cours ». Il est plus sensible à deux promesses de Chavanat: « Notre ville n’est pas si endettée. Avec la promesse de ne pas augmenter les impôts, il va marquer des points. Maintenant, il faut qu’il tienne sa promesse! ». L’autre réside dans la construction d’une grande salle de sport: « Une ville de 400 000 habitants peut se l’offrir. J’aime le hand, une grande salle, ça manque. Dommage que Nathalie Appéré n’ait pas eu cette volonté. On a bien mis 25 millions d’euros pour rénover le Liberté! ».
Nous sommes les derniers à table, le « Fourneau » se vide, les femmes de ménage commencent à s’affairer. Jean me glisse: « Heureusement qu’il y a ça. Un jour, je redonnerai ce que l’on m’a donné ici ». Alain, lui, nous raconte une anecdote: « Vous le saviez, vous, que Rock’n’Solex, à l’INSA, ce sont des gens comme Le Drian, Le Pensec, Hervé ou Josselin qui l’ont créé, quand ils étaient étudiants? ». Difficile de le mettre en doute, c’étaient ses années étudiantes à lui, Rock’n’Solex a été créé dans les années soixante…

En nous quittant, Jean et Alain notent qu’ils apprécient l’oeil et le coup de pinceau de Héol.

« C’est super. C’est moi, le Fragonard, là? ».

Merci à Héol pour les portraits.
http://heolart.canalblog.com/

 

Retrouvez l’intégralité du dossier « Les municipales et nous » ICI

1 commentaire sur “Les municipales et nous: entretien avec deux usagers de la Cantine sociale

  1. Robert

    Super papier ! Merci pour ce récit.

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