Les lessiveuses de St Cyr ou quand la Vilaine charriait la rédemption des mauvaises filles

La Vilaine porte bien son nom. Elle fut le déversoir de pratiques peu communes pendant deux siècles, entre souillures et lessives, entre esclavage et potentielle rédemption. Une Histoire de femmes et de lessives, par la Cie Lumière d’Août, retrace ce passé peu glorieux de la capitale bretonne… 

« Filles du Diable – Débauchée – Salope – Souillon – Boniche – Marie-couche-toi-là – Catin – Diablesse – Pêcheuse – Vade Retro Putanas »… Un inventaire à la Prévert des invectives qui résonnent contre les hauts murs du Domaine St Cyr et dans les oreilles des actrices de la Compagnie Lumière d’Août. Elles sont trois sur ce mur de pierre qui longe le bras de l’Ille, devant la MJC La Paillette. Une sainte Trinité pour dire tout ce que les filles, jeunes filles et femmes ont subi derrière les grands murs de schiste du Domaine St Cyr. Qui aurait pu penser, en flânant aujourd’hui dans cet écrin de verdure et de culture, qu’il y a moins de 50 ans encore, des femmes brodaient, lavaient, repassaient pour sauver leur âme et apprendre un métier pour « se réinsérer » ?

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Entre 1808 et 1976, le Domaine St Cyr, ses cinq hectares de terrain, ses 2500 mètres de murs de 3 à 7 mètres de haut, a accueilli soeurs et putes sous le même toit : les religieuses de ND de la Charité du Refuge et toutes ses filles/femmes entre 3 et 21 ans confiées à leurs bons soins par les tribunaux, l’Assistance Publique ou leurs propres familles. Un inventaire à la Prévert, scandé par les actrices campés sur le muret bordant la rivière, qui donne le vertige…

Elles s’appellent Camille, Suzon, Berthe, Véronique, Lucie ou encore Paulette. Elles prennent vie sous la houlette des trois actrices et apportent leurs témoignages sordides. Mais pourquoi ont-elles donc été enfermées ici ? Parce qu’enceintes. Parce qu’abandonnées. Parce que violées. Parce qu’abusées. Parce que fugueuses. Parce que voleuses. Parce qu’aimant le plaisir. Parce qu’étant femmes, tout simplement.

Des raisons diverses et variées qui serviront de classement et de distinctions morales : entre Refuge et Préservation, la rédemption par le travail est plus ou moins douce… Et donne lieu à une partie de ping-pong équivoque entre deux actrices dans ce lavoir joliment réhabilité. L’une, Pourriture du vice, et l’autre, Fleur de la vertu. Une joute verbale entre pureté et souillure, entre torchons et serviettes. De quoi blanchir son âme, les mains dans la flotte et les draps souillés. Mais 25 000 chemises lavées en une année et voilà le spectre du capitalisme qui se profile ! Car si les Soeurs ont fait voeu de pauvreté, elles n’en perdent pas pour autant le nord quand il s’agit de faire fructifier l’institution ! Voici St Cyr, l’usine qui lave plus blanc que blanc au bord de la Vilaine ! ou comment sérieusement mettre une claque à l’image d’Epinal de la mère Denis…

Retour de la sainte Trinité au beau milieu du Parc St Cyr. Deux portes-alcôves pour les filles, la Soeur au fronton. Et un programme du feu de Dieu : lever à 6h45 – coucher à 21h15. Un agenda quotidien décliné avec beaucoup d’humour comme pour contrecarrer la noirceur du propos. Des filles réparties en douze sections : les cadres, les hors-cadres, les jeunes inadaptées… Comme une réclame télévisuelle joviale et enjouée pour une institution qui brise celles qui lui sont confiées.

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Un déplacement de bancs plus tard et nous prenons place face à un nouveau mur. Peut-être le plus haut du Domaine. Celui qui permet aux filles d’explorer l’horizon, de jeter un oeil sur la vie extérieure. Et de crier sa colère contre cet esclavage et ces châtiments corporels. Un vent de Mai 68 souffle sur St Cyr !

Puis ce sera celui du MLF, au coeur du petit cimetière des Soeurs, caché derrière rosiers, iris et hortensias. Deux rangées de croix en granit, où reposent ces servantes de Dieu, alignées comme les filles dans les dortoirs. En jouant à la marelle, les trois actrices égrennent ces mots plein de rancoeur contre judéo-christiannisme et patriarcat. Ces mots patiemment récoltés par Marine Bachelot Nguyen, créatrice du spectacle, auprès de celles qui ont connu le Domaine St Cyr à l’époque où la Vilaine n’était que lessives et souillures. 1986 – et l’acquisition du Domaine par la Ville de Rennes – n’est pas loin. Les mémoires sont encore vives.

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Le silence qui règne dans le cimetière à la fin de ce spectacle déambulatoire trahit l’émotion qui traverse le public. Un texte fort, poignant, révoltant. Une histoire dure, sordide mais cruellement réelle. On ne viendra plus dans ce parc sans penser à ces femmes et ces filles…
Un beau travail de collecte de mémoires et d’écriture d’un texte juste et percutant, porté par l’interprétation engagée des trois actrices présentes ce vendredi soir. Et des intermèdes assurés par Alexis Fichet, auteur et metteur en scène dans la Cie Lumières d’Août, entre les déambulations géographiques, savoureusement humoristiques, qui ont permis au public de souffler un peu face à la noirceur des propos…

1 commentaire sur “Les lessiveuses de St Cyr ou quand la Vilaine charriait la rédemption des mauvaises filles

  1. Passant

    Dans un registre cinématographique, le film Magdalene Sisters parle aussi du triste sort des « femmes de mauvaise vie » dans un couvent en Irlande… Le dernier de ces couvent a fermé dans les années 90.

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