So Future ! Les jeunes gens mödernes reviennent à Rennes !

©ladepeche.fr

Buzz médiatique ou vraie blague potache, le mensuel « nouveau et intéressant » Actuel sous la houlette de Jean-Francois bizot, décida de publier un article de Patrick Zerbib consacré à la nouvelle scène musicale française sous un titre ironique  « Les jeunes gens modernes aiment leur mamans » avec en couverture, le groupe Marquis de Sade, accompagné de leurs mamans respectives(1).

Nous sommes alors en février 1980 : la vague post-punk déferle sur l’Hexagone suivant le sillon déjà tout tracé  par la théorie de l’Homme-Machine de Kraftwerk, la trilogie berlinoise de Bowie, et par un Manchester encore bouillonnant grâce à des groupes tel que Magazine ou l’imparable Joy Division.

«Taxi Girl, ArteFact, Kas Product, Suicide Roméo, Elli et Jacno, Mathématiques Modernes, Marie et les garçons et Marquis de Sade…» sont les fers de lance de cette jeunesse un peu dandy, un peu intello, un poil branleur, bercée par un doux romantisme de la désillusion qui allait marquer durablement le paysage « rock ». Pour eux, tout reste à reconstruire après l’ouragan punk : le « no future » est leur présent, à eux d’en faire quelque chose…

Philippe Pascal : « Ce n’était pas un mouvement réellement basé sur la musique mais plutôt par le refus de certaines valeursNous revendiquions d’être anti-fun, anti-bruyant…  »

La légende raconte qu’en 2006, au cours d’une discussion de fin soirée bien arrosée, Gilles Le Guen (Journaliste, Dj, Chanteur) évoque cette couverture à Jean François Sanz (Commissaire d’exposition, réalisateur et responsable du mécénat culturel chez Agnès B). Cette anecdote servira de point de départ à la création d’une exposition « Les Jeunes Gens Mödernes » et d’un documentaire éponyme retraçant le parcours de cette scène underground des années 1978 et 1983(2).

Jean-Francois Sanz : « C’est grâce aux vinyles de ma grande sœur et aux radios libres que j’ai pu connaitre ce style musical quand j’étais ado. Cela tranchait avec tout  ce que l’on pouvait entendre sur les radios commerciales et à la télévision. Cela m’avait profondément marqué  et je suis vite devenu fasciné par ce type de sonorités. Ce fut un réel  déclic et dès lors, j’ai commencé à collectionner les disques et à me spécialiser dans ces années là, entre le post-punk et la new-wave française. J’ai rencontré Gilles Le Guen grâce à ses compilations « décadence » produites durant son séjour à New-York. Au fil de nos rencontres et de nos discussions sur la musique, nous avons pensé que cette période était comme « occultée ou passée à la trappe », que nous n’en retenions que certains clichés alors qu’il existait une énorme créativité; le projet de monter l’expo s’est alors décidé.»

Deux ans de travail et de recherches seront nécessaire à Jean-François pour aboutir à une exposition collective regroupant du son, de la vidéo, des images et des photos inédites; vrai travail d’archéologue contemporain. Depuis, l’exposition est allée à Hong Kong, Bruxelles, Art Rock St Brieuc puis dans sa version allégée récente, Paris (au Point Éphémère), Toulouse et enfin! à Rennes à partir du 05 février avec la diffusion du documentaire au TNB le même soir dans le cadre du festival Travelling Oslo 2015.


De l’Expo au Documentaire… (par JF Sanz)


Le film  alterne images et vidéos avec des témoignages sans fausse pudeur ni nostalgie recueillis entre 2007 et 2011 des acteurs de l’époque : Etienne Daho, Daniel Darc, Béatrice Dalle, Jacno, Philippe Pascal, Lio (oui, oui aussi…). Globalement, tout le monde semblait enthousiaste à l’idée de participer à ce projet et beaucoup se livrent de manière généreuse.

On y redécouvre forcement que Rennes était aux avant gardes de cette mouvance… peut-être grâce à l’influence de l’Angleterre dont les émissions de la BBC arrivaient jusqu’ici par les grandes ondes ?

En tout cas, les débuts d’Etienne Daho, de Marquis de Sade puis Marc Seberg, d’Ubik, des Transmusicales et les fêtes à l’Epée (rue Vasselot et fief des Marquis de Sade) fabriqueront la légende de « Rennes, Ville rock » que beaucoup aiment encore aujourd’hui à idolâtrer.

Gilles Le Guen : « Pour moi, il s’est passé à Rennes la même chose qu’à Manchester  en 1979. Il existait à l’époque une concomitance de pleins d’acteurs : un graphiste, Pierre Fablet(3) influencé par le collectif Bazooka, des passionnés de musique capables d’organiser des concerts comme Jean-Louis Brossard, Hervé Brodier ou Béatrice Macé et des musiciens talentueux… Marquis de Sade est une sorte d’ovni : ils ont enregistré leur premier album à l’été 1979, quelques semaines après « Unknown pleasures » de Joy Division. Cela a été l’essence même du son rennais de l’époque car il existait véritablement un son typique à la ville. C’était drôle car les mecs du Havre, plus branchés rock dockers comme Little Bob disait « qu’à Rennes pour jouer de la musique, il fallait avoir son BAC…« ….

Il s’est passé quelque chose de fort à cette époque à Rennes… c’est donc bien que l’expo et le documentaire arrive jusqu’ici! Par contre, il ne faut pas tout idéaliser non plus, ce n’était pas un âge d’or et ce n’ était pas la fête tous les soirs. Déjà, il n’y avait pas tant de groupes que ça à l’époque, et il ne faut pas croire que les groupes étaient tous en train de jammer dans un club le soir. Cela est faux. Les journalistes parisiens qui débarquaient à Rennes pour découvrir le phénomène restaient le plus souvent à manger des pâtes avec les musiciens en attendant les quelques concerts de la semaine (rires…). »

Edwige de Mathematiques Modernes, par ©Morillon.

Avec cette  période aussi créative qu’éphémère (les productions sont rares : 2 albums pour Marquis de Sade, quelques singles pour les Lyonnais de Marie et les garçons – dont Re-bop produit par John Cale qui vient juste d’être réédité en vinyle- plus un album Divorce sorti sous le nom Garçons, et nombre de groupes morts dans l’œuf), entre bidouillage des premiers synthés et autres boîtes à rythmes, entre mondanités et excès nocturnes, nombreux seront les groupes contemporains à avouer leur filiation (La femme, Lescop…). Le film propose donc une analyse des causes et des conséquences encore perceptibles -même 30 ans plus tard- de ce micro phénomène pop-culturel et tellement signifiant par ailleurs.

Gilles Le Guen : « La première fois que j’ai vu le documentaire, j’ai parfois eu les larmes aux yeux. C’est beau parce que les mecs faisaient des choses avec très peu de moyens.  Le documentaire raconte finalement une fresque un peu héroïque et les frasques de toute une bande de jeunes rebelles, branleurs mais surtout cyniques. Ces gens n’avaient rien à foutre de leurs vies, d’ailleurs certains l’ont payé cash. »

Jean-François Sanz et son ressenti sur le docu.

***

Jean François Sanz : : « Il s’agit d’une époque où tous les arts ont convergé en même temps, entre la musique, l’esthétisme et cette référence à la modernité 20 ans avant l’an 2000.  C’est un mouvement très cultivé même si certaines références n’étaient pas totalement maîtrisées comme l’avoue humblement Philippe Pascal, mais ces jeunes gens-là  s’intéressaient pour beaucoup à la littérature romantique, à l’expressionnisme allemand. Il existait un brassage culturel riche et unique. »

Finalement, Philippe Pascal –d’une présence magnétique dans le documentaire– aura ses quelques mots, résumant à eux seuls cette période charnière :  « Nous étions naïf, nous pensions faire de l’art. »

 

(1) sauf Philippe Pascal qui avait invité celle du guitariste et futur photographe Richard Dumas

(2) En 1983, Yamaha présente le synthétiseur DX7, intégrant l’innovation MIDI, pour un prix abordable. Le DX7 est le premier synthétiseur entièrement numérique

(3) P.Fablet : Responsable de l’affiche des premières Transmusicales en 1979 mais aussi éditeur de ces fameuses Actualités du Monde Libre.

► Pour info, le label Born Bad a édité au moment de l’exposition Agnès b. une compilation incluant « la french touch » du mouvement.

Jeudi 5 février // Soirée Des Jeunes Gens Mödernes :

► EVENEMENT FACEBOOK

18h – Vernissage exposition à La Maison des Associations (derrière le 4bis)  : 

Version allégée et réactualisée de l’exposition présentée à la galerie du jour agnès b. en 2008, à l’origine du documentaire. Avec les œuvres de Philippe Adrian, Bazooka, Belle Journée en Perspective, Emmanuel Bovet, Alain Dister, Catherine Faux, Haute Tension, Philippe Huard, Tony Iacoponelli, Jo Pinto Maia, Philippe Morillon, F.J. Ossang, Patrice Poch, Pierre René-Worms, Tino Tedaldi, Liliane Vittori.

19h30 – projection du documentaire au Ciné TNB, dans le cadre du Festival de Cinéma Travelling

Projection du documentaire, en présence des auteurs et de plusieurs des intervenants du film, au Ciné TNB (1 rue Saint-Hélier) dans le cadre du Festival Travelling à 19h30, en partenariat avec l’Association des Transmusicales de Rennes, suivie de questions/réponses avec le public de 21h à 21h30.

21h30 – soirée Ubu Club avec live Violence Conjugale, Dantzig, Paris, et DJ sets Gilles Le Guen & JF Sanz

PARIS : Formé à la toute fin des années 90 avec le musicien Axel Bonard, Paris est un des plus anciens projets musicaux de Nicolas Ker, crooner céleste – quelque part entre un Jim Morrison punk et un Daniel Darc qui chanterait en anglais -, song writter brillant et frontman turbulent de Poni Hoax ainsi que d’Aladdin. Le rock sombre de Paris, entaché de sonorités électro glacées et de nappes synthétiques un peu crades – à l’image de la ville ?! – prouve avec beaucoup de talent – et s’il en était encore besoin – que le ressac de la Vague Froide a bel et bien submergé la capitale ces dernières années…

DANTZIG : formation collaborative éphémère à géométrie variable, Dantzig rassemble des membres de Frakture, End of Data et Marquis de Sade. Constitué spécialement à l’occasion de cette soirée Des Jeunes Gens Mödernes à l’Ubu, sous la houlette de Jean-François Sanz, Sergeï Papail et Jean-Louis Brossard, ce One Off / All Stars Band 100% rennais réactivera sur scène quelques uns des morceaux phares des groupes précités. Du culte et de belles surprises en prévision… !!

VIOLENCE CONJUGALE : duo franco-germanique de Bordeaux formé par André Gosselin (synthétiseurs et programmation) et Hans Jemmappes (chant et synthétiseurs). Leur éléctro minimale et synthétique ressuscite avec brio – et pas mal de second degré – les plus froides heures de la cold wave hexagonale, à grand renfort de synthés analogiques, séquenceurs vintage, rythmiques martiales et voix de gorge contrainte, le tout accompagné de lyrics et de titres aux résonnances typiquement rétromödernistes et jubilatoires. Redoutablement efficace !

DJ Set :
Gilles Le Guen : Associé au projet Des Jeunes Gens Mödernes depuis son origine en 2007, ce rennais a collaboré au catalogue de l’expo, à la compilation et au documentaire éponymes. Pourvoyeur de dj sets Frenchy & Chic, Gilles Le Guen – chanteur du groupe Denner et auteur pour les livres Rok notamment – proposera une sélection française de 1978 à 1983. Sa période de prédilection déjà déclinée sur ses mixes Decadanse et compilation réalisée avec le groupe Nouvelle Vague. Pop synthétique, cold wave, funk blanc, post-punk… Une nouvelle vague à-la-française !!!
J-F Sanz : Commissaire d’exposition, réalisateur et responsable du mécénat culturel chez agnès b., J-F Sanz a préparé pour l’occasion une sélection de titres emblématiques de la mouvance Des Jeunes Gens Mödernes, associant des morceaux de groupes français – mais aussi européens – de l’époque à des productions de groupes actuels qui s’inspirent de ces pionniers et revendiquent une forme de filiation musicale par rapport à cette scène.


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