Les Embellies – Laetitia Sheriff impériale pour le ciné-concert « Sa Majesté des Mouches »

2012-03-12-TNB-Sheriff-embellies-alter1fo-005Les Embellies d’Hiver ont proposé un ciné-concert très attendu ce lundi 12 mars devant un ciné-TNB complet: la relecture de l’adaptation cinématographique du best-seller de William Golding Sa Majesté des Mouches (Peter Brook, 1963) par Lætitia Sheriff. Déjà présenté à Rennes, à l’Antipode pour l’ouverture de cette saison musicale, ce ciné-concert a rencontré un grand succès et la prestation de Lætitia Sheriff, musicienne qu’on ne présente plus par ici, a été unanimement acclamée. On se demandait si cette nouvelle présentation rencontrerait le même succès. Et bien autant dire qu’une nouvelle fois, Lætitia Sheriff a mis tout le monde d’accord. On a pris une claque magistrale !

Soyons tout de même réalistes : cette histoire d’enfants est plutôt terrifiante. Le film de Peter Brook ne met pas le moins du monde en avant l’angélisme de petites têtes blondes innocentes. Au départ, le générique du film rappelle la civilisation britannique florissante du milieu du siècle dernier dans un flot d’images, notamment celles des collèges anglais policés et leurs cortèges d’élèves en uniforme aux allures très civilisées… Et pourtant…

2012-03-12-TNB-Sheriff-embellies-alter1fo-001L’histoire se déroule pendant la deuxième Guerre mondiale. Des garçons issus de la haute société anglaise sont envoyés en Australie par leurs parents pendant le Blitz qui décime la capitale insulaire. Mais l’avion dans lequel ils sont montés s’écrase sur une île déserte, à la fois paradisiaque et sauvage. On ne voit rien, le film est réalisé avec très peu de moyens et seules la carte, une image d’avion en piqué accompagné d’une sirène stridente, laissent comprendre ce qui s’est passé.

Seuls survivants, les enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils essaient de s’organiser en reproduisant les schémas sociaux qu’ils ont appris (le vote, l’élection d’un chef…). Mais progressivement, tout explose. Après avoir tenté d’établir des règles et des lois, le groupe s’enfonce petit à petit dans une organisation tribale, sauvage et violente. On ne raconte pas tout, mais il y a des morts… Et comme beaucoup, on restera marqué très longtemps par le visage de ces enfants plongés dans l’horreur, notamment Piggy, le rondouillard-binoclard intello très vite pris pour souffre-douleur ou Ralph, le chef raisonnable qui essaie de prendre le destin et le salut de ses camarades sur ses (trop petites) épaules.

2012-03-12-TNB-Sheriff-embellies-alter1foRéalisé avec peu de moyens, mettant en scène de nombreux comédiens non professionnels, le film fait montre d’une simplicité et d’une sobriété qui portent avec force le message que Peter Brook parvient à délivrer. On ne s’y attendait pas, mais on s’est complètement fait prendre par le film et comme tout le monde, lors des derniers plans sur les chaussettes remontées sous les genoux de l’officier britannique en bermuda blanc, on ne sait pas si on doit rire ou pleurer de cette apparition soudaine de la (?)civilisation.

On aurait pu se dire que le film se suffisait à lui-même et s’interroger sur la nécessité de revisiter une œuvre déjà si riche. En interview pour l’Oreille à l’Envers, Lætitia Sheriff le concède : « mettre du sien sur ce type de support, c’est un peu compliqué » . Elle ajoute alors humblement : « mais au fil du temps, je me suis dit : pourquoi ne pas être passeuse ? » , tant l’œuvre a été importante pour elle. D’abord parce que c’est un peu « une madeleine » , sa sœur aînée ayant étudié le livre et lui en ayant longuement parlé. Ensuite, aussi parce qu’elle se sent proche de ces livres « visionnaires » . Et au final, on ne saura qu’applaudir le choix de proposer ce Lord of the Flies dans cette nouvelle version. Lætitia Sheriff relève le défi de mettre le film en musique et propose une relecture de l’œuvre de Peter Brook à la fois exigeante et personnelle, à base de voix, guitare acoustique, éléments percussifs, sifflements et autre magnéto k7.

2012-03-12-TNB-Sheriff-embellies-alter1fo-006Dans la salle plongée dans le noir, après des percussions dont on ne sait trop si elles sont positives ou angoissantes, les premiers arpèges de guitare s’élèvent doucement sur un paysage paradisiaque. Des palmiers, une plage de sable blanc, des alizés rafraichissants et une mer chaude et accueillante. Accompagnées par ces notes à la guitare classique à la fois simples et habités, les images nous paraissent encore plus lumineuses. Les enfants marchent le long de la plage, se baignent, soufflent dans la conque…

Lætitia Sheriff a travaillé par « bloc », par motif qui à chaque fois suit les personnages : « j’ai essayé de trouver une sorte de cohérence » explique-t-elle. « Il y a deux groupes dans le film : il y a le thème des guerriers et le thème de ceux qui essaient de garder les pieds sur terre » . Ainsi celui des « enfants de chœur » , les chasseurs et guerriers, percussif et de plus en plus angoissant se teinte progressivement de violence : tom de caisse claire martelée, grattements de plus en plus oppressants… En revanche, le thème des enfants qui tentent de « garder les pieds sur terre » reste toujours très mélodique. Mais se voile progressivement de mélancolie et de tristesse.

2012-03-12-TNB-Sheriff-embellies-alter1fo-008On est aussi totalement happé lorsque Laetitia Sheriff accompagne les images de morceaux chantés. L’un dans une langue inconnue (?). L’autre, véritablement poignant, lorsque les deux « chefs » grimpent au sommet de l’île, pour trouver « La bête » fantasmatique qu’ils redoutent tant. Les paroles simples, en anglais, entrent aussitôt en résonance avec la peur des garçons. Ce Why not pray ? nous serre la gorge et on suit l’ascension des enfants avec appréhension.

C’est Lætitia Sheriff qui gère les dialogues : elle module le volume du son du film avec une pédale (?) selon qu’elle souhaite accompagner les dialogues de musique, ou bien les laisser tels quels. Et on imagine que l’exercice est loin d’être facile. Et pourtant ! De quelle précision, de quel sens du rythme la jeune femme fait montre ! Moments de poésie et d’angoisse alternent et tiennent les spectateurs en haleine. Musique et image semblent faire corps et avoir toujours co-existé.

2012-03-12-TNB-Sheriff-embellies-alter1fo-002Aussi, quand les lumières se rallument après un final que toute la salle a suivi le souffle coupé, les applaudissements éclatent. Laetitia Sheriff voulait être passeuse. Elle y a parfaitement réussi. Le film a gagné avec elle l’une de ses plus scotchantes ambassadrices et a retrouvé la modernité que les années lui auraient peut-être fait perdre (1963, tout de même !) grâce à cette bande sonore habitée et émouvante. Malgré la chaleur des applaudissements, Laetitia Sheriff s’éclipse vite, fort humblement. Les applaudissements ne s’éternisent pas, et pourtant, à la sortie de la salle, tout le monde semble encore sous le choc de cette magnifique prestation. Laetitia Sheriff sort de la salle épuisée. Et chacun a pu juger de l’investissement qu’il fallait avoir pour réussir avec précision les enchaînements avec le film ainsi que de l’investissement émotionnel dont il fallait faire preuve.

Lætitia Sheriff avait affirmé lors de sa première présentation : « ce sera le seul ciné-concert que je ferai… Parce qu’on ne peut pas être le passeur de plusieurs œuvres » . On se permettra de lui demander de revoir cette affirmation, tant on est certain, après la prestation de ce soir, que la jeune femme transcende ce qui n’aurait pu être qu’un exercice de style.

Photos : Caro

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