Lectures pour novembre

1000 pages, ça peut sembler beaucoup pour un livre de poche (chez 10/18), mais pour raconter une vie, ce n’est pas trop. Dans « Le temps où nous chantions », il y en a même plusieurs.
Celle de Joseph qui nous raconte son histoire et surtout celle de son grand frère, un surdoué du chant qu’il accompagne au piano et partout ailleurs.
Celles de leurs parents, David Strom et Delia Daley. Lui est un juif allemand, elle, une noire américaine. La musique les a réunis, une chanteuse plus précisément, et un enfant perdu.
Celles de la petite soeur et des grands-parents, oncles et tantes, ceux que l’horreur fait disparaître et ceux que les choix des uns et des autres font perdre de vue.
De musique, il est beaucoup question. De chant, de famille, du temps. Parce que le père de cette famille-là est un physicien, qui travaillera sur la bombe.
De la fin des années 30 au début des années 90, Richard Powers nous trimballe à coup d’avant-arrière, passant de la narration des frères à celle des parents. Il est capable de rendre en mots l’émerveillement du cadet pour la voix de son ainé, nous faisant comprendre, mieux qu’en y étant, les possibilités incroyables de ces musiques. A les fois les savantes : des avants-gardes contemporaines aux trésors de la Renaissance; les populaires aussi, pour se demander à qui elles appartiennent.
Car il faut se définir quand on vit aux Etats-Unis. Noir et Blanc, ça donne quoi ? Noir répondent les gosses qui tabassent les petits Strom lorsqu’ils sortent de chez eux.
Si ce livre a eu des prix, de la part de grands journaux au pays d’Obama, c’est sans doute parce qu’il en raconte aussi l’histoire. De ce concert de 1939 à Washington qui fait se rencontrer David et Délia, à la manifestation de 1995 où Louis Farrakhan s’adresse à plus d’un million d’hommes noirs, cette histoire de famille nous donne à voir les violences subies et renvoyées, les parcours de militants, les transformations, l’évolution de la, paraît-il, plus grande démocratie du monde.

maria anderson

Le 7 août 1974, Philippe Petit tente de passer d’une des tours du World Trade Center à l’autre, sur un fil. C’est lui qu’on voit en photo, sur la couverture du dernier livre de Colum Mc Cann : « Et que le vaste monde poursuive sa course folle » chez Belfond.
Un livre qui, lui aussi, a plusieurs voix. Qui commence par un frère qui raconte l’autre, le plus jeune, Corrigan.
Mc Cann est irlandais, comme les deux frères. Mais son récit se déroule pour sa plus grande part à New-York. Dans cette ville vivent et meurent Jazzlyn et sa mère, Claire et Gloria, le Juge Soderberg …
Elles sont putes ou mères de soldat tués au Viet-Nam, lui décide du sort de certaines d’entre elles.
Un peu comme dans « Short Cuts » de Robert Altman, les récits se suivent et se croisent. Mieux que chez le cinéaste puisqu’avec Mc Cann, on peut entendre les personnages penser, ressentir.
Cette écriture est superbe. Commencée dans les pensées grises de Ciaran, elle va se poursuivre jusqu’au désir de Jaslyn (la fille de l’autre), passant par les remords de Solomon, ceux de Lara, les angoisses de la mère de Joshua.
Comment rendre dans un livre la peur de la chute possible du funambule ? Par une conversation téléphonique entre des nerds californiens et des passants new-yorkais. Génial.
La Big Apple des années 70 est là jusque dans les tags que photographie Fernando Marcano. C’est à lui qu’on doit la photo de l’homme sur le fil, entre les deux tours, avec un avion que la perspective envoie s’écraser. Comme le 11 septembre.
Extrait :
« Je suis reparti sans me douter de rien. Le Bronx, un parcours de nids-de-poule, l’orange et le gris des incendies. Les gamins qui dansent aux coins des rues, leurs corps en flux tendu. Comme s’ils découvraient au fond d’eux la foi nouvelle qui dirigeait leurs membres. La salle évacuée pendant les rayons X. Je me suis garé sous le pont où l’été s’était écoulé. Quelques filles éparpillées, ce soir-là, qui avaient échappées à la rafle. Des hirondelles ont quitté leur abri de béton. Les ciseaux de leurs ailes. Ensemençant le ciel. Les filles ne m’ont rien dit. Mon frère respirait encore. Metropolitan Hospital. J’étais censé retourner travailler dans le Queens, mais j’ai traversé la rue. Je n’avais aucune idée de ce qui arrivait. Les poumons gonflés de sang. Ce bar minuscule. Le juke-box qui gueulait. Four Tops. Perfusion intraveineuse. Martha and the Vandellas. Masque à oxygène. Jimi Hendrix. Médecins sans gants. Son état stabilisé. Ils ont vu les bleus à l’intérieur des bras. L’ont pris pour un junkie. Arrivé avec une prostitué. Morte. Ils ont trouvé une médaille religieuse dans ses poches. Je suis ressorti du bar à moitié soûl, j’ai traversé le boulevard plongé dans la nuit. »

Le livre de Powers fut acheté à la librairie Le Failler rue St Georges à Rennes.
Celui de Mc Cann, sur conseil, à la librairie « tournez la page » à Combourg.

1 commentaire sur “Lectures pour novembre

  1. Isa

    ça donne envie…

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