Le label Beast Records réussit sa nuit @ l’Ubu

Commençons par le bilan de cette soirée Beast Records : le public de connaisseurs s’est déplacé nombreux, et il n’a pas été déçu par la qualité artistique proposée par le label rennais. Et pourtant, dans ce genre de programmation à 5 groupes, on se dit que tout ne va pas être terrible, qu’il est rare de trouver une qualité homogène sur l’ensemble des groupes, qu’un set médiocre peut être suivi d’un set meilleur…

Chicken Diamond

Autant vous le dire tout de suite, pas une seule déception dans cette soirée, et la redoutable organisation y est pour beaucoup. Des concerts non-stop, sans un seul temps mort, il fallait pouvoir l’organiser matériellement. Et avoir un artiste maison qui assure les transitions entre les groupes.

C’est Chicken Diamond qui avait ce redoutable honneur, celui de nous accueillir et celui de jouer entre les groupes. Dès notre entrée dans la salle de l’Ubu, quelques notes de guitares nous guident vers une petite scène improvisée dans un coin salon proche du bar : le one-bluesman-band strasbourgeois cueille d’entrée de jeu les quelques spectateurs présents si tôt.

Casquette Led Zep vissée sur la tête, des pieds très actifs (l’un frappe la caisse pendant que l’autre actionne des cymbales positionnées verticalement), et un blues poisseux, très sombre : le jeu de guitare est sobre et rugueux, parfois une seule corde est jouée, mais avec une intensité rare. Il y a dans son jeu répétitif un côté hypnotique qui nous rappelle celui de Robert Lee Burnside.

L’intensité est redoublée par sa voix rauque et grave qui renforce le côté sombre de ses compositions. Il se permet même de reprendre le standard Thrill is Gone : on met un bon moment à reconnaître le titre, tellement il le dépouille jusqu’à l’os. Bon le set est très court (moins d’une demi-heure), mais le bluesman nous rassure en nous précisant qu’il jouera entre chaque concert. Et de nous inviter à découvrir Head On sur la scène de l’Ubu.

Head On

Le public quitte le bar et rejoint les gradins de l’Ubu pour découvrir les rennais d’Head On qui enchainent directement, avec pour commencer un uppercut qui assure bien la transition (Ready To Punch Your Face). Le quintet nous livre un punk-rock nerveux (On The Track, All Right) avec une rythmique basse-guitare rythmique-batterie particulièrement péchu.

Le chant de Boogie est rock, parfois crooner (sur le refrain de Not Enought), et il nous délivre même les paroles de Ghost Girl dans un chant proche du spoken word, très réussi, comme s’il cherchait à nous faire partager une histoire. Le groupe sait aussi ralentir le tempo en amènant une noirceur lourde et pesante, comme sur l’excellent Spring Time. Et puis, ne boudons pas notre plaisir, les soli de guitare de Chris nous ont réjouis (peut-être parce que ces soli se font plus rare dans le rock, et nous on aime !).

Quand on constate la maitrise instrumentale du combo, on peut être surpris de constater qu’après la sortie d’un EP, le groupe prépare son premier album ! Mais les musiciens sont loin d’être des débutants, puisqu’Head On est né du rapprochement de membres des Speedoracers et de Witcherry Wild. Petite surprise puisqu’à la fin du set, le groupe nous propose une reprise des australiens de SixFtHick, avec l’un des deux chanteurs du groupe, Ben Corbett, qui associe son chant à celui de Boogie sur l’énergique Post Powder Blues. Un set maitrisé et réjouissant pour un groupe aux compositions pleines de promesses.

Gentle Ben & His Sensitive Side

Courte pause musicale avec Chicken Diamond qui assure la transition près du bar, et l’enchainement se fait à la seconde près avec Gentle Ben and his Sensitive Side. On avait eu un petit aperçu de ce que pouvait faire Ben Corbett sur la reprise avec Head On, mais on était loin d’avoir tout vu. Ce chanteur a une classe folle et un chant sublime. Il occupe l’espace de la scène avec une maestria… Ce chanteur réussi la prouesse de s’accompagner d’un oeuf musical sur Drowning Men sans être ridicule, en jouant même de manière sexy. (bon, être sexy avec un oeuf musical, ça peut effectivement paraître improbable, mais c’est vrai !).

Il danse et se déplace aussi merveilleusement sur la petite scène de l’Ubu. Et puis il y a cette voix… Prenez un crooner qui transforme son chant en cri rageur et vous aurez un petit aperçu des variations vocales de Ben. Sur le morceau I Don’t Think, il passe d’une voix grave à une voix de tête en faisant parfois jaillir un cri.

Et ses musiciens ne sont pas en reste, délivrant parfois une rythmique de feu (The Dogs of Valparaiso, Blur The Lines), ou bien jouant sur des sonorités hispaniques du plus bel effet (Abandon Ship, Lo Siento). Les petits riffs de guitare de Dylan sont léchés et variés, donnant une véritable identité aux titres (le petit riff tubesque de Regret It, et le magnifique accompagnement avec la seule guitare sur Lay Down With Me).

L’écoute du dernier album du quatuor de Brisbane nous avait enchanté, mais les titres de Magnetic Island prennent encore plus d’ampleur sur scène, notamment les titres plus doux. Ces morceaux gagnent en intensité grâce à l’immense présence de Ben Corbett, littéralement habité sur scène. La grosse claque de la soirée.

Hipbone Slim & The Kneetremblers

On a à peine le temps de se prendre une double rasade bière/blues, que les londoniens d’Hipbone Slim & The Kneetremblers s’installent déjà. Le trio guitare-contrebasse-batterie attaque son set avec deux morceaux rockabilly fifties, I Feel off the Wagon et Big Game Hunter. C’est classe, très bien interprété, mais on se dit rapidement que ça va être compliqué d’imaginer un set entier avec ce style musical. Mais le set prend un virage rock dès le troisième morceau, le délicieux The Sheik Said Shake. Sir Bald Diddley, qui a délaissé sa Gretsch, révèle ainsi son jeu de guitare étoffé avec ce petit riff oriental qui donne à ce titre sa couleur particulière (assez proche d’un Vince Taylor). Puis un passage plus blues achève définitivement de nous convaincre, avec la mise en avant de la belle voix éraillée de Bald (Hung Drawn).

Et puis le contact avec le public est vraiment chaleureux : Sir Bald Diddley introduit ses titres en nous gratifiant de quelques explications en français avec un délicieux accent. Il sait aussi jouer avec le public, en faisant monter sur scène un spectateur pour jouer des maracas (Primitive Rock), puis un duo de danseur de twist vers la fin du set. Une fin de concert très rock garage qui prouve l’étendue de la palette musicale du trio, entraperçue sur leur dernier album Square Guitar. Le genre de concert qui vous file une banane grande comme ça et chasse la fatigue de fin de semaine.

Henry's Funeral Shoe

Et ça tombe bien car il reste un dernier groupe à découvrir sur scène, Henry’s Funeral Shoe. Un duo guitare-batterie signé sur Alive Records, ça ne vous dit rien ? Or toute comparaison avec les débuts des Black Keys s’arrête là. Tout d’abord parce que les frangins Clifford n’en sont pas à leur premier essai. Ils s’étaient fendu d’un premier album réussi, Everything For Sale en 2009. Cette année, ils ont sorti un album plus riche, Donkey Jacket, produit par l’excellent Jim Diamond. Entre blues, bluegrass, rock, punk voire folk et country, l’album bénéficie d’une production soignée, enrichie de guests (basse, harmonica…). D’où la petite inquiétude à l’idée de découvrir une transposition scénique appauvrie par la seule présence du duo. Que nenni !

Ca part très fort avec Dog Scratched Ear, sa rythmique tendue et ce jeu de slide particulier qui permet à Aled de marquer le duo guitare-batterie de son empreinte (on pense notamment à la rythmique de plomb des australiens de Rose Tattoo). Les Gallois vont naviguer parmi les titres des deux albums, privilégiant les morceaux nerveux. Et le mélange est réussi, puisqu’ils réussissent à conserver l’énergie tout au long du set. Brennig est complètement déchainé à la batterie, et Aled alterne rythmiques dépouillées et soli tranchants (superbe intro en slide sur Mission & Maintenance). Sa voix est rauque et sombre, et renforce le côté noir de certains titres (Down The line).

La formule ramassée du duo semble décupler leur énergie et les titres ne souffrent à aucun moment de la comparaison avec la richesse des arrangements de l’album. Ca sonne rock tendance heavy rock du début des années 70. Les influences blues (Maria Maria) sont bien présentes, preuve en est que le duo de frangins a profondément élargit son spectre musical, pour notre plus grand bonheur !

Quand on sort d’une telle soirée, on a forcément envie d’en savoir un peu plus sur ce formidable label qui nous a proposé une « nuit » d’une richesse et d’une cohérence bluffantes. Promis, on ira très prochainement à la rencontre des responsables de Beast Records !

Attention : séance de rattrapage pour celles et ceux qui n’ont pu être présent à l’Ubu. Gentle Ben & His Sensitive Side joueront en première partie de Kim Salmon et The Kill Devil Hills, mercredi 26 octobre, Le Sambre, 20h, 5 euros. Une nouvelle soirée Beast Records !

Site de Beast Records

Site de l’Ubu

Pour dénicher les albums Beast Records : Rockin’Bones, 7 rue de la Motte Fablet, Rennes

Photos : Solène

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