Le Chicago Blues s’invite au festival Bain de Blues

Jimmy Johnson & Melvia Chick Rodgers

L’association Bain de Blues nous a offert une septième édition exceptionnelle, sous le signe du Chicago Blues. Une édition qui fera date, et qui fait de ce festival un événement incontournable pour tout amateur de blues.

A 20 minutes seulement de Rennes, il existe un festival qui met à l’honneur un genre musical qui mériterait une audience plus large, le blues. Le festival Bain de Blues en est à sa septième édition : si les premières éditions étaient beaucoup plus orientées « scène locale », l’édition 2012 était clairement internationale. On attendait donc avec un mélange d’impatience et d’appréhension ce que l’association nous réservait cette année. Dès la parution de la programmation, on soupçonnait un grand cru : et l’affluence record ce samedi 04 mai prouve que l’on ne s’était pas trompé. Avec, petite nouveauté, une déclinaison made in Windy City : du Chicago blues au rock n’roll des origines en passant par la soul, il y en avait pour tous les goûts. Preuve s’il en est que le blues moderne sait se renouveler en se teintant de différentes influences musicales. Preuve aussi que le festival sait s’ouvrir sur d’autres styles musicaux.

Mais l’internationalisation du festival ne s’est pas faite au détriment de la scène locale, bien au contraire. Celle-ci est toujours présente, notamment par le biais de Bars’n’Blues. On n’a malheureusement pu assister à l’ensemble du concert des vannetais de Blues Staff, mais les quelques standards joués au Cyrano étaient d’excellente facture.

The Bluesmiles

L’apéritif sonore de ce festival se poursuivait au Point Bar, dans la petite salle rapidement bondée pour accueillir le quintet rennais The Bluesmiles. Patrick Lecacheur, président de l’association Bain de Blues nous présente le groupe en rajoutant tout le bien qu’il pense d’eux : et on comprend vite pourquoi. Le groupe régale le public avec quelques standards bien sentis, de BB King (Rock Me, Baby) à Muddy Waters (Mannish Boy) en passant par Jimi Hendrix (Red House) et Otis Rush (All Your Love). Mais les musiciens possèdent aussi un répertoire de compositions originales particulièrement efficace : One More Blues et son mid-tempo, l’endiablé Bluesmiles Boogie ou encore l’excellent Still on the Road avec sa grosse ligne de basse et son petit riff de guitare groovy. Vous rajoutez la très jolie voix du charismatique chanteur-guitariste, un harmoniciste qui ponctue parfaitement les phrases mélodiques, et un trio guitare rythmique-basse-batterie impeccable, et vous vous demandez comment vous avez pu passer à côté de ce groupe rennais. Sachez qu’ils seront présents à la Fête de la Musique à Rennes (21 juin) et à Cesson-Sévigné (29 juin) : on vous invite à les découvrir d’urgence !

Melvia Chick Rodgers

Puis direction la salle des fêtes de Bain pour une Nuit du Blues qui s’annonce dantesque. Après un showcase sous le stand situé à l’entrée, il est temps de rejoindre la salle pour la prestation très attendue de Melvia Chick Rodgers. Ca commence sur des bases élevées avec l’indémodable Let The Good Time Roll. Première impression qui ne nous quittera plus : comment une voix si puissante peut-elle sortir d’une femme si fragile ? On est bluffé dès le départ, et la sensation perdure quelque soit le registre : Melvia met une intensité vocale impressionnante, alternant puissance et douceur avec une maestria hors norme. Cette touche-à-tout (elle participe régulièrement à des comédies musicales) est très à l’aise sur scène, et offre toute une palette d’émotions, entre sourire et gravité.  Et Melvia sait aussi élargir ses compositions à d’autres styles, comme on avait pu s’en apercevoir à l’écoute de l’excellent Essentially Yours. Son blues se teinte de soul, mais aussi de petites touches discoïdes sur lesquelles elle nous gratifie de quelques pas de danse. Sans oublier le backing band de luxe qui l’accompagne (une partie des Malted Milk), avec en tête l’incroyable guitariste Yann Cuyeu, au jeu groovy et aux soli ravageurs. Après une version souriante de Stand By Me repris en choeur par le public, le concert prend fin sur Sweet Home Chicago, comme un clin d’oeil à la thématique du festival. Un grand moment.

Mama's Biscuits

La dernière note résonne encore lorsqu’à l’autre bout de la salle, les premières notes de Mama’s Biscuits nous incitent à rejoindre la petite scène. Cette tradition de l’inter-scène est une vraie réussite, car elle permet d’assurer en permanence la présence d’un groupe, ce qui donne une véritable identité « festival » à cet événement. Le festival nous propose cette année le quatuor Mama’s Biscuits. Pas évident de jouer quelques titres seulement entre deux concerts, mais le groupe s’acquitte de cette tâche avec beaucoup d’enthousiasme. Et ça fonctionne ! Le public est de plus en plus nombreux au fil des prestations, et c’est amplement mérité. La voix de velours de Véronique Sauriat passe par des registres blues, soul ou jazz, avec beaucoup d’aisance. Le groupe injecte quelques petites touches de rhythm and blues qui donnent à leurs compositions beaucoup d’originalité. On retrouve dans leurs sets l’essence musicale de leur dernier album, Evil Gal, savant mariage de reprises et de compos. A suivre de près.

Jimmy Johnson

On a à peine le temps de se retourner qu’une légende du Chicago Blues fait son entrée sur scène : Jimmy Johnson. Si la carrière solo de cet ancien soudeur a commencé tardivement à la fin des années soixante-dix, il s’est forgé une solide expérience pendant les deux décennies précédentes, en jouant dans des groupes de soul (Otis Clay, Denise LaSalle) ou en accompagnant les plus grands bluesmen (Otis Rush, Albert King, Freddie King). Ses albums solos rencontrent depuis un large succès qui lui permettent de parcourir le monde : autant dire que sa venue à Bain constitue un événement unique. Dès les premières notes du concert, on constate avec plaisir qu’il a conservé son jeu de guitare jazzy immédiatement reconnaissable, mais aussi sa voix soul remplie d’émotion qui vous chope instantanément. Il distille aussi dans son blues des touches funky surprenantes, marquées par une section rythmique groovy à souhait. On a aussi beaucoup apprécié le jeu du claviériste qui complète judicieusement les petits riffs de guitare. Et Jimmy Johnson nous a offert deux moments inoubliables : une version de Dust My Broom à tomber à la renverse, et un duo final avec Melvia Chick Rodgers qui nous a collé des frissons. Un grand monsieur pour un grand concert.

Nico Duportal

On bascule dans un autre registre avec Nico Duportal & his Rhythm Dudes. L’ex-leader de Rosebud Blue Sauce swingue toujours autant : avec ses Rhythm Dudes, il attaque bille en tête avec cet audacieux mélange de rock’n’roll, de swing et de rhythm’n’blues qui ont fait leur succès. Le set est à l’image de leur dernier opus Real Rockin’ Papa : un mélange de petits bijoux oubliés des années 40 et 50, des standards soigneusement sélectionnés et quelques compositions originales du plus bel effet, comme l’excellent Real Rockin’ Papa qui a donné son nom à l’album. La chaleur ambiante et la débauche d’énergie du groupe fait que Nico doit tomber la veste rapidement, mais les looks rétro restent soignés. La section de cuivres rutilants est impeccable (mention particulière pour les soli du sax) et les riffs de guitare de Nico Duportal swinguent en permanence. Et Thibaut Chopin, qu’on avait découvert tout en sobriété au côté de Kenny Blues Boss Wayne l’année dernière, se lâche complètement avec sa contrebasse, avec une virtuosité remarquable. Une immersion complète dans l’âge d’or du swing qui aura ravi les spectateurs, dont certains entameront quelques pas de danse. La grande classe.

JC Brooks

Le public des premiers rangs change quelque peu, soulignant l’attente particulière pour le groupe suivant, lui aussi en provenance de Chicago. Il faut dire que JC Brooks & the Uptown Sound font beaucoup parler d’eux outre-atlantique depuis quelques mois. Leur très bon album Want More les avait révélés en 2011, et l’attente est palpable autour de leur nouvelle opus, Howl, prévu à la fin du mois (toujours sur Bloodshot Records). Et les premiers morceaux joués ce soir à Bain nous font comprendre pourquoi : leur soul post-punk est un moyen de revisiter la soul en y injectant une bonne dose de funk et de rock. La voix soul de JC Brooks est enlevée et énergique, et sa présence sur scène est totalement investie. Il bouge énormément, joue avec le public et réussit à réinventer quelques phrases extraites des standards soul (notamment l’excellent passage extrait de Fever). C’est la première tournée européenne du groupe mais on sent qu’ils ont déjà une grosse expérience de la scène nord-américaine, si l’on s’en tient à la parfaite gestion du souci technique (ampli guitare hors-service remplacé très sereinement). Les choeurs assurés par le batteur et le claviériste sont le parfait contrepoint à la voix sensuelle de JC Brooks. Et puis, pour couronner le tout, les riffs et les soli de guitare de Billy Bungeroth font scintiller l’ensemble : un backing band groovy à faire pâlir les MG’s. Merci aux organisateurs d’avoir une fois de plus osé l’ouverture musicale en fin de festival.

L’affiche était redoutable mais les concerts ont largement dépassés nos espérances. Un festival exemplaire qui s’appuie sur une organisation sans faille : une équipe de bénévoles passionnés, un timing parfait, et les lumières et le son frisent l’excellence. Un festival qui n’est pas réservé aux puristes du genre car il sait faire une large place aux différents courants qui constituent le blues actuel. Les organisateurs ont placé la barre très haut cette année : on attend avec gourmandise de découvrir l’affiche de la huitième édition !

A nouveau un grand merci à Patrick Lecacheur et à toute l’équipe de Bain de Blues pour leur accueil chaleureux.


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