Lætitia Shériff@l’Ubu : L’art de susciter l’urgence

Un immense merci à Titouan Massé pour ses magnifiques photos envoyées au pied levé. Retrouvez davantage de ces sublimes (oui, on peut le dire !) clichés ici.

Laetitia Shériff Trio - Photo Copyright Titouan Massé

En fait au départ, on avait dit : « pas de compte-rendu ! Pour une fois, on va à un concert sans appareil photo, sans machine à écrire1 dans la tête ! » Un concert juste pour nous, pour la musique, pour boire des bières avec les copains. Du coup, on a fait ce qu’on ne fait jamais (on est des fucking freaks) : on est arrivé tard, on a passé les premières parties au bar tout à la joie de se retrouver en enquillant les doses houblonnées en refaisant le monde. On s’excuse donc bien platement auprès des deux premiers groupes, Elecampane et Valoy, dont on ne vous dira rien. On ne les a pas vus.

On a tenté de s’y accrocher à notre précepte du jour. Pourtant, à peine quelques minutes après le début du set de Laetitia Shériff, les copains ont vite glissé « en fait, c’est super frustrant de ne pas avoir l’appareil photo ». Bon pas d’inquiétude, vue la tripotée d’excellents photographes présents dans la salle, des belles images, il devrait y en avoir.

Laetitia Shériff Trio @ Ubu - Photo Copyright Titouan Massé (5)

On a donc tenu. Mais on s’est vite fait rattraper. Parce qu’on a passé un sacré chouette moment. Ça a commencé pied au plancher avec un Where’s my ID ? dont la version ep s’est trouvée gonflée aux amphétamines, par trois musiciens concentrés à bloc et prêts à en découdre (les cordes de leurs guitares). Devant une salle comble collée/serrée, Thomas Poli, à gauche, alterne entre jazzmaster, baryton Dan Electro (et on en passe) et claviers et/ou machines. Au centre Nicolas Courret est de ces batteurs marathoniens qui avalent les mesures comme des kilomètres. Sans mollir une seconde (il doit finir exténué à la fin de chaque set, ce n’est pas possible autrement), il frappe chaque coup avec une puissance thermo-nucléaire et se révèle impressionnant d’obstination à tenir le tempo avec cette rectitude.

A droite, Laetitia Shériff et sa Dan Electro baryton (ou sa basse) captivent intensément les regards. A peine le temps de s’installer que le départ est donné sur les chapeaux de roues.

Laetitia Shériff Trio @ Ubu - Photo Copyright Titouan Massé (6)

Dynamité par des guitares incandescentes et une batterie pas moins incendiaire, Where’s my I.D. ? brûle immédiatement nos tympans telle l’entrée d’une météorite dans l‘atmosphère. Fuck les délits de faciès et les dérives sécuritaires/identitaires enclines à traquer les tissus métissés. Les mélodies des guitares s’entrelacent avec fracas et bonheur. One Solution. Revolution crie Laetitia, lançant le final au riff immédiatement obsédant, qui attrape aussitôt les épaules désormais mouvantes de la foule. On se laisse hypnotiser l’oreille entre riff martial et accords intenses plaqués avec justesse et génie par le sieur Thomas Poli.

Opposite suit. Son tempo lourd ancre les corps ondulant devant la scène tandis que sur les refrains la voix de Laetitia Shériff s’élève, aérienne, tantôt sur des arpèges cristallins, tantôt sur des déluges de cordes assénées avec tact par Thomas Poli. On est une nouvelle fois frappé par la voix de Laetitia Shériff, ici parfois doublée par celle de Thomas Poli. Libre, aérienne et en même temps profonde, toujours placée avec une justesse impressionnante. Cette voix est définitivement de celles qui parlent aux cœurs.

Laetitia Shériff Trio @ Ubu - Photo Copyright Titouan Massé (4)

Question intensité, ça ne baisse pas d’un iota, avec l’entêtante intro de Solitary Play (on croit, on n’avait pas prévu de faire de report) aussitôt martelée par les corps. Au refrain, ça se déchaîne et les cordes des guitares de nous achever. Devant nous, c’est un festival : on manque de se prendre Thomas Poli en pleine face, impérial, bondissant sur l’ampli à quelques centimètres de nos visages, sa guitare voltigeant au dessus de nos têtes. La classe chevillée au corps, avec ses allures Sonic Youthiennes, le garçon moleste ou caresse ses cordes avec la même virtuosité. Puis recule, bondit de nouveau dans les airs, toujours en jouant, la main intensément juste. On n’en perd pas une note, l’oreille et l’œil écarquillés.

Laetitia Shériff Trio @ Ubu - Photo Copyright Titouan Massé (9)

Après ces déflagrations soniques revigorantes (et jamais teigneuses, tant le trio, sans jamais rien sacrifier à ses exigences, parvient à rester sur une ligne rock accessible aux oreilles qui seraient moins habituées aux musiques indociles) le trio poursuit avec Aquarius (Codification) et ses Thousand fishes swimming inside Me/you, chanté avec une classe folle par une Laetitia Shériff immergée dans de superbes lumières (bravo au lighteux, soit dit en passant). Une nouvelle fois, Thomas Poli s’illustre avec une palanquée d’idées brillantes développées dans le même morceau.

Adepte de la note juste, Thomas Poli est un fin ajusteur, qui tout au long du set nous esbaudira les oreilles. A la guitare, d’abord, en frôlant les cordes de ses doigts agiles et déliés qui déroulent les arpèges, joue de tous les endroits possibles et imaginables sur le manche, maltraite les cordes avec une baguette de batterie, joue de larsens en faisant tourner le corps de sa Dan électro sur la tête, la rapprochant des amplis jusqu’à l’accrocher plus tard sur les cintres ( ?) suspendue dans les airs au-dessus de nos têtes, sort un bottleneck pour habiller de doux et délicats arpèges de frissonnements métalliques, décoche avec une précision martiale et ciselée accords saturés ou cristallins. Aux machines, ensuite, sur lesquelles son jeu se révèle tout aussi puissant, pareillement ample et subtil.

Laetitia Shériff Trio @ Ubu - Photo Copyright Titouan Massé (10)

Après ce début de concert particulièrement dense, le set ralentit le tempo, mais sans rien perdre en intensité. Avec Fellow, d’abord, pour lequel Thomas Poli passe aux machines (avec la même classe). Avec To be strong, ensuite, dépouillé et émouvant en diable, dont les paroles touchent en plein cœur. Et correspondent tant à Laetitia Shériff et à sa bienveillante attention à l’autre. Le violon de Carla (Pallone, Mansfield.TYA) est remplacé par les machines et la voix de Laetitia, à nouveau, s’élève, emportant les âmes et les cœurs.

On ne sait plus trop comment ça s’enchaîne, mais par la suite, on a le bonheur de reconnaître immédiatement les premières notes de notre morceau préféré de Pandemonium Solace and Stars, Urbanism (after Goya). Tandis que Thomas Poli en déroule le riff diabolique sur une batterie massive et démoniaque, Laetitia Shériff tourne la clé d’accordage de sa corde tout en continuant à jouer, pour un rendu flottant et vaguement inquiétant. Une fois le riff bouclé, les deux Dan Electro commencent leur dialogue : notes claires, cordes grattées au médiator, stridences soniques, larsens, montées, semblant d’apaisement sous lequel sourd la rage. Et la voix de Laetitia renversante de bout en bout.

Faisant suite à ce déluge de noirceur (Welcome to Pandemonium !) paradoxalement poisseuse et lumineuse en même temps, The Living Dead et son refrain à l’imparable mélodie finissent d’étriller la foule, ravie et reconnaissante (bien que désireuse de dégommer le poteau2).

Laetitia Shériff Trio @ Ubu - Photo Copyright Titouan Massé (1)

La généreuse bande lâche ensuite les chiens sur un Hullabaloo jouissif et exultant (quels riffs magistraux), suivi d’un Wash joué à toute berzingue. On est encore une fois, particulièrement bluffé par l’étourdissant équilibre du set et la non moins époustouflante amplitude que prennent les morceaux en live. Et à chaque fois qu’on retrouve le trio sur scène, on se surprend à penser que le set a encore gagné en ampleur. Impressionnant.

Et puis autant le dire, le trio a bossé ses enchaînements et ça s’entend. Tout déroule sans temps mort, sans longueur, avec une sacrée science du rythme. Que ce soit à l’intérieur des morceaux qui eux-mêmes se révèlent tout en variations (on pense à Roses par exemple, qui commence sur des arpèges soyeux et la voix tout en douceur de Laetitia pour ensuite s’épaissir ou à Friendly Birds qui se durcit sur un Take Off sonique addictif) ou sur le parfait équilibre entre titres énergiques et morceaux plus calmes tout au long du set.

Dans cette dernière catégorie, A Beautiful Rage II se révèlera une nouvelle fois sublime, laissant la part belle à la voix de Laetitia Shériff. Intro en arpèges et en harmoniques sur laquelle la voix de la musicienne se détache de plus en plus émouvante. Laetitia Shériff chante particulièrement juste, place sa voix à la perfection. Mais surtout possède cette immense qualité de ne jamais trop en faire (le trémolo bref, juste assez long pour vous fendre l’âme) et de mettre toujours sa technique au service de l’émotion. Et autant le dire, question émotion, on est servi.

Laetitia Shériff Trio @ Ubu - Photo Copyright Titouan Massé (3)

Le trio finira d’ailleurs le concert sur Far&Wide, pour lequel Nicolas Courret quitte les fûts pour s’installer aux claviers, face à Thomas Poli et ses machines. Laetitia Shériff se place alors au centre de la scène. Avec toujours, cette humilité, et ce souci de proximité avec l’autre. Sans guitare, le micro à la main, elle chante doucement sur les nappes des synthés, la voix et le regard dirigés vers chacun des membres du public pour un moment suspendu…

It sounds like love

Après ce final où le plaisir partagé semble l’être tout autant des deux côtés de la scène, c’est longuement que le trio saluera bras-dessus bras-dessous un public ravi, avant de s’éclipser avec humilité. Pas de rappel ce soir. Mais peu importe. Au vu de l’intensité et de la générosité sans fond avec lesquelles les trois musiciens ont joué ce soir, tout un chacun ne pourra honnêtement leur reprocher de ne pas avoir donné assez.

Et dire qu’on avait pensé ne pas faire de compte-rendu.

Laetitia Shériff Trio @ Ubu - Photo Copyright Titouan Massé


1 est-on à ce point old school ?

2 Pour les non Rennais et non habitués à l’Ubu, il faut savoir que si les Stéphanois se coltinent la malédiction des poteaux carrés, les Rennais ne peuvent se défaire de celle du « poteau de l’Ubu » qui selon le placement dans la salle empêche souvent le spectateur de voir la scène.


Toutes les photos : Copyright Titouan Massé

Titre, bières, yeux qui piquent et bonne humeur : Mr B et Yann – Love, guys.

Toutes nos excuses d’avance si quelques erreurs s’étaient glissées ça ou là…


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