Jupiter & Okwess en concert le 15 mars à l’UBU : « Nous sommes pluriels »

Après des concerts à New-York, Glasgow, Berlin, et le Bataclan le 07 mars dernier, les Congolais de Jupiter & Okwess ont débarqué hier soir à l’UBU, à Rennes, pour une soirée pleine de rythmes. A cette occasion, nous avons eu la chance de pouvoir interviewer Jupiter Bokondji, le « Général rebelle », leader charismatique du groupe depuis plus de trente ans.

« Okwess » signifie « la bouffe » en kibunda. Pouvez-vous nous parler de cette langue ?
Okwess est d’origine de l’ethnie Kibunda, une des 450 ethnies que l’on trouve au Congo. Moi je suis de l’ethnie Mongo, mais j’ai pour habitude de dire que je suis pluriel, comme nous tous. C’est pour cette raison d’ailleurs que les textes de mes chansons sont dans toutes les langues qui me traversent la tête : lingala, tshiluba, mongo, ekonda, tetela, kiyansi, …

Sur votre deuxième album, « Kin Sonic », il y a même une chanson en français, « Le temps passé » ?
Oui, en fait c’est l’extrait d’un texte d’un philosophe peu connu hors du Congo, Zamenga Batukezanga, qui vivait et s’est éteint à Lemba en 2000. Sa parole est très imagée.  En 1973, il a publié un livre qui fait maintenant référence, « Bandoki » (Les sorciers), malheureusement c’est impossible de le trouver en France. « Le temps passé » est une chanson de Montana, notre batteur. J’ai demandé à mon amie Sandrine Bonnaire de lire un extrait du livre de Zamenga Batukezanga sur cette chanson, et elle m’a fait l’immense joie d’accepter. Le texte implore les ancêtres face à la dure mission qu’est l’éducation dans la réalité congolaise. Il se termine ainsi « … quand on parcourt un bout de chemin, les faux pas ne manquent pas. L’essentiel est qu’on ne se laisse pas croupir ».

Zamenga Batukezanga vivait comme vous dans le quartier de Lemba, un quartier où il y a beaucoup d’enfants des rues ?
Effectivement, c’est un problème à Kinshasa, mais de nombreuses personnes les aident. Par exemple, pour Kin Sonic, Robert Del Naja (3D) a tenu à faire don de son cachet pour la pochette à une association de Lemba, La Fondation Etoile du Congo. Sa présidente, Princesse Rita, est très attachée à ses racines. C’est la fille d’un chef coutumier. Elle s’est donnée pour mission d’aider les enfants des rues, et plus particulièrement ceux de Lemba. Nous avons remis le cachet à la fondation Étoile du Congo, mais je travaille avec plusieurs orphelinats en particulier à Lemba et au Congo en général. Mon quartier est le quartier latin de la capitale, mais les enfants de la rue sont partout à travers le monde, pas que dans mon pays.

Vous avez-vous-même vécu deux ans dans la rue quand vous étiez plus jeune ?
J’ai passé une grande partie de mon enfance entre Dar es Salam, en Tanzanie, et Berlin Est, parce que mon père était attaché d’ambassade. En 1979, quand je suis rentré au Congo, j’ai décidé d’arrêter mes études pour me consacrer à la musique. Mon père ne l’a pas accepté. Il voulait me renvoyer en Europe. Alors j’ai quitté le foyer familial. J’ai vécu dans la rue. Je dormais dans des maisons inhabitées. Je gagnais un peu d’argent en jouant du tam-tam lors des cérémonies funèbres.

Comment est né votre passion pour la musique ?
A mon retour d’Allemagne, j’ai trouvé dans ma chambre un tam-tam laissé là par ma grand-mère. J’ai commencé à en jouer, instinctivement, sans avoir jamais pris de cours, et c’est comme ça que la musique est entrée dans ma vie. Grâce à ma grand-mère. Comme si j’étais là pour assurer la transmission. Ma grand-mère était guérisseuse. Quand j’étais enfant, alors que je n’avais que deux ou trois ans, elle m’emmenait avec elle chercher des racines dans la forêt du bassin du Congo, ou lors des cérémonies dans les villages. Pendant les semaines de deuil, tout le monde jouait des percussions.

Votre groupe existe depuis le début des années 80, mais il vous a fallu attendre 2007 pour être reconnu au-delà des frontières du Congo ?
L’élément déclencheur, ça a été le documentaire « Jupiter’s Dance », qui a été réalisé par deux Français, Florent de La Tulaye et Renaud Barret. On a enregistré quelques chansons en acoustique sur un CD qui accompagnait le DVD. Ensuite, on a enregistré « Hôtel Univers » en 2010, et le CD est sorti en 2013. A partir de là on a commencé à faire des tournées un peu partout dans le monde. L’an dernier on a sorti « Kin Sonic », notre deuxième album officiel, avec des rythmes plus électriques.

On sent chez vous une volonté forte de faire découvrir au monde la richesse des rythmes congolais ?
Bien sûr ! Souvent on ne parle que de la rumba, alors que comme je le disais tout à l’heure il y a plus de 450 ethnies au Congo, chacune avec une sous-ethnie, et toutes ont des traditions musicales, des rythmes différents… Sur « Kin Sonic », on trouve le bofenia, le mutwashi, le loyenge, l’Iyaya, le nyeka-nyeka, le zebola… Il y a chez nous une diversité culturelle violente, fantastique, qui vaut bien plus que tous ces minerais de la mort. Kinshasa c’est une bombe à retardement au niveau culturel, et pas que dans la musique, dans tous les domaines.

Ce soir c’est votre premier concert à Rennes, après un concert à la Nouvelle Vague à Saint-Malo en mars 2017. Que pensez-vous du public breton ?
On a joué dans pas mal d’endroits en Bretagne. Les Bretons disent qu’ils ne sont pas des Français. Je les aime bien. Ils sont chaleureux, à cheval entre la réalité et l’irréalité.

Propos recueillis par Christine Vainqueur (Rennes, le 15 mars 2018)

 

2 commentaires sur “Jupiter & Okwess en concert le 15 mars à l’UBU : « Nous sommes pluriels »

  1. Christine VAINQUEUR

    Jupiter a également été interviewé par Canal B :
    http://canalb.org/podcast/cosmopolis/cosmopolis_2018.03.13.mp3

  2. Millie

    Encore un beau témoignage de ces musiciens que je ne connaissais pas. Que de richesses humaines ignorées! Bravo et merci!

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