Interview de ThomR. – « Beaucoup de gens filment la musique sans se poser la question de pourquoi ils font ça… »

ThomR Julia Pallone - Inner seaL’Antipode laisse le contrôle aux sublimes Mansfield TYA ce samedi 19 novembre pour une carte blanche, euh, pardon, carte noire… Date qu’on ne manquerait pour rien au monde tant on a envie de plonger plus avant dans l’univers des deux Nantaises. Totalement aux commandes de cette soirée, les filles ont choisi trois groupes pour tenir la scène à côté d’elles : Unison, Sieur et Dame et Mensch. Mais elles ont aussi demandé à ThomR, réalisateur, de participer à leur projet ce samedi. L’occasion pour nous d’en savoir plus sur ce jeune homme, responsable notamment du dernier « clip » des Mansfield, Animal. Interview.

Shannon wright at chapel hill by ThomROn a eu un coup de foudre immédiat et total pour le travail de ThomR il y a plusieurs mois. Ça a commencé avec deux vidéos réalisées par le jeune homme sur la tournée de Yann Tiersen et Shannon Wright aux États Unis : on y retrouvait Shannon comme on l’avait rencontrée en interview, à la fois timide, fragile, sincère, forte et drôle. On n’en a pas cru nos yeux, de cette justesse des images. Aussitôt, on a eu un sentiment de proximité avec le travail de ce garçon qui sait vous montrer en à peine quelques minutes l’humanité des êtres. On a alors découvert ses autres projets, les films de Zone Libre avec Casey et B.James, par exemple, de Duygu Demir, des Thugs, de Sexy Sushi forcément, des musiciens, des danseurs, ou encore d’autres projets, plus personnels. Et puis, il y a eu Mansfield TYA bien sûr…

one million eyes teaser ThomR Mansfield TYAEt là encore, on s’est fait cueillir : Julia et Carla, qui répètent, composent, enregistrent, bavardent et boivent le thé. Rien ne nous a semblé plus juste. Plus au près des êtres. On aime les films de ThomR parce qu’ils jouent sur l’intensité de la simplicité, sur le souffle de la fragilité tout autant parfois que sur une animalité plus tangible. Ses films sont de vrais moments intenses, qui redonnent le moral, inspirent, donnent des secondes de vie en plus et de l’air à respirer. Son dernier travail réalisé à partir d’une installation de Julia Pallone (la sœur de Carla des Mansfield TYA) filme un bassin d’eau dans une vieille bâtisse à la peinture craquelée : l’eau se ride lorsque le vent s’engouffre par les fenêtres. Des bateaux de fortune, terriblement émouvants, tournent autour du bassin. Ces vaisseaux fantômes se déplacent parfois dans une eau invisible, sur un fil d’air tendu sur le vide. ThomR joue sur les surfaces, sur les reflets, sur les instants fragiles. C’est à la fois sublime et bouleversant. On pourrait parler de son travail tout en nuances pendant des heures mais on a trouvé beaucoup plus intéressant de lui donner la parole. Rencontre avec un garçon au talent impressionnant.

ThomR Inner sea 4Alter1fo : Pour ceux qui ne te connaissent pas, est-ce que tu peux te présenter et présenter ton projet en quelques phrases ?

ThomR. : Je suis originaire d’Angers…. Je vais bientôt entamer ma vingt-quatrième année d’existence et j’ai ce besoin de rester curieux et ouvert à la beauté des gestes et des gens, de ce qu’ils expriment… et essayer d’en saisir quelque chose, d’en laisser une trace sous la forme de petites formes filmées.

En 2009, tu avais fait un long documentaire sur Athènes avec Vincent Moon. Peux-tu nous expliquer la genèse de ce projet ?

J’ai rencontré Vincent Moon, ce réalisateur-globe trotteur quasi ethnographe début 2009, et il m’a proposé de l’accompagner à Athènes pour un projet de film sur la scène musicale grecque.

Entre le tournage et le montage, le projet a totalement évolué… Il s’agissait à la base d’un long plan séquence de 40mn avec une quinzaine de groupes folk-rock qui investissaient un bâtiment entier dans le centre d’Athènes pour y créer une sorte de longue pièce sonore et visuelle au cours d’une soirée.

ThomR 2010 2Finalement, le résultat n’étant pas à la hauteur de nos espérances, Vincent Moon m’a confié la réalisation d’un film complètement différent et libre avec la matière que j’avais également collectée durant ce séjour.

C’est devenu un film plus politique avec pour fil conducteur l’interview d’un mec super que j’ai rencontré là-bas… Qui possède un petit label « orila » et qui m’a raconté de son point de vue, ce que c’est que de créer dans son pays…

Il a une vision du monde et de la vie assez sombre et belle… que je partage franchement ! C’est au final plus un film sur ce gars-là, un mec qui doute et qui se pose des questions… J’ai toujours trouvé ça hyper touchant de s’attacher à quelqu’un qui doute… Ça rend les gens humains, le doute !

Tu as aussi travaillé avec des danseurs, notamment Ivan Fatjo et si j’ai tout compris, cela t’a permis d’envisager différemment la manière de faire tes films. Peux-tu nous expliquer cela davantage ?

2010 by ThomRIvan Fatjo, en plus d’être un ami et un « grand frère » est un immense danseur. Il est Costaricain et danse notamment dans la cie Josef Nadj.

Il me touche profondément dans sa manière de se mouvoir et de faire vivre des personnages qui se cognent à la vie.

J’ai encore récemment tourné un petit film avec lui dans sa cuisine…. En fait, on a filmé une impro d’une heure. On ne se parle pas, chacun improvise dans sa discipline (lui beaucoup plus que moi ! ) et il se passe alors des moments magiques…

À chaque fois, c’est en bossant avec lui que j’apprends et comprends des choses dans la manière de filmer un individu.

Tu as travaillé avec beaucoup de musiciens (Mansfield Tya, donc, mais aussi Sexy Sushi, Zone Libre vs Casey & B. James, Shannon Wright, Yann Tiersen, Duygu Demir ou les Thugs, par exemple) qui viennent d’horizons parfois radicalement différents. Qu’est-ce qui te plait dans le travail avec les musiciens, que recherches-tu ?

Mansfield TYA ThomR teaser 2J’aime les contrastes… Alors oui, passer de Zone Libre à Mansfield.Tya n’est pour moi pas du tout un problème. Les gens que je filme me touchent pour des raisons différentes… Pour Zone Libre, c’est cette énergie bestiale que je voulais essayer de capter tandis qu’avec les Mansfield, c’est le côté fragile et sombre qui m’intéresse…

Mais il est clair que je n’ai pas envie de filmer la musique pour filmer la musique… J’ai besoin avant tout d’être amoureux d’un projet pour pouvoir le suivre. Mais je n’ai surtout pas envie de me cantonner seulement à la musique… Tout est pour moi histoire de rencontre humaine.

Comme l’aspect musical est toujours très développé dans tes films, j’ai envie de te poser la question que je réserve habituellement aux musiciens : est-ce que tu pourrais nous donner trois disques sans lesquels tu ne pourrais pas vivre ?

ThomR shannon wright at chapel hill« L’imprudence » de Bashung

« North Star Deserter » de Vic Chesnutt

Crystal Castles (le premier)

Et trois films ?

Gerry de Gus Van Sant

La Fureur de Vivre de Nicholas Ray

Buffalo ‘66 de Vincent Gallo

Tu travailles déjà depuis quelques temps avec les Mansfield TYA. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Comment avez-vous eu l’idée de travailler ensemble ?

Je les ai contactées il y a deux ans, j’avais envie d’essayer de faire une video sur un de leur concert car elles m’avaient vraiment bouleversé la première fois que je les avais vues sur scène.

Je leur ai proposé de filmer le concert qu’elles donnaient au festival Rockomotives à Vendôme, dans la fameuse chapelle Saint-Jacques… Tout est parti de là.

J’ai donc fait un premier petit montage qu’elles ont beaucoup aimé… Puis elles m’ont proposé de venir sur d’autres dates, et de fil en aiguille… On s’est dit qu’on avait envie de faire quelque chose de plus conséquent.

Depuis, je les filme presque 24h/24 !

one million eyes teaser ThomR Mansfield TYALes Mansfield TYA t’ont justement invité pour leur carte noire à l’Antipode à Rennes ce samedi. Qu’est-ce que tu vas y proposer ?

Je ne sais pas encore…sans doute des bribes du film que je suis actuellement en train de monter autour de leur nouvel album.

Qu’est-ce que tu aimes (éventuellement !) chez les Mansfield TYA ?

La liberté qu’elles se donnent !

Qu’attends-tu de cette soirée ?

Je n’attends jamais rien de quoi que ce soit…. Je préfère laisser la chance au hasard et à l’imprévu.

C’est aussi toi qui a réalisé le clip Animal extrait de leur dernier album. Comment ça se passe : vous avez eu une idée et vous l’avez développée ensemble ? C’est toi qui est arrivé en disant : « je veux faire ça » ? C’est elles qui arrivent avec toutes les idées ? Pourquoi avoir choisi ce sous-sol par exemple ?

Oui, ce n’est pas vraiment un clip…. On devait faire ça dans le cadre d’un projet sur des groupes nantais… Mais ce sont elles qui ont choisi le lieu (le blockhaus DY10 le meilleur endroit selon elles : « c’est tout sombre et humide, il y fait froid et ça sent mauvais » ), les costumes… Et après, on se connait bien donc il n’y a pas eu besoin de se prendre la tête… Ça s’est fait naturellement !

Carte blanche Mansfield TYA

Dans tes films, qu’il s’agisse de captations live ou justement du clip Animal, il y a bien sûr ce temps de la représentation, mais toujours accompagné par ces moments à côté, les musiciens qui s’installent pendant les balances, par exemple. Ces moments qui parfois pourraient sembler vides mais qui finalement viennent toujours parler de la création. Je pense par exemple aux petits films que tu as tournés sur la tournée américaine de Yann Tiersen avec Shannon Wright. Sur l’un on voit simplement Shannon marcher et discuter avec Yann, de loin. Et on a aussitôt l’impression d’un moment important, fragile, que ta caméra rend sensible. C’est pareil sur les images de Carla et Julia en train de boire le thé dans un jardin, dans un salon… Pourquoi choisis-tu de filmer ces moments à côté ?

ThomR 2010 3De plus en plus, je veux me diriger vers une approche plus documentaire…

Ce que je reproche le plus souvent au vidéos live ou autre c’est leur manque de fond.

Beaucoup de gens filment la musique sans se poser la question de pourquoi ils font ça… On te fait croire qu’il y a un énorme besoin d’images notamment pour la musique alors que pour moi ça n’a vraiment aucun sens d’avoir des captations à tout va… On perd même une dimension magique de la musique à trop vouloir la figer… Et puis cela fausse le rapport au souvenir…

Enfin, pour en revenir à la question, si je filme ces à côtés, c’est peut-être aussi pour leur valeur anecdotique mais parce que je considère que notre vie elle-même est anecdotique, alors cela documente plus largement nos existences.

Tu as aussi travaillé avec Julia Pallone pour son installation « Inner Sea » . Le film tout comme l’installation qu’on y devine sont sublimes. Tu peux nous expliquer le projet vidéo ?

Attention, il ne s’agit pas de Julia des Mansfield mais de Julia Pallone, la grande sœur de Carla (violon) .

ThomR Inner SeaOui, oui, j’avais repéré !

Julia Pallone est la fameuse personne à qui l’on doit la rencontre des deux musiciennes de Mansfield TYA.

Je l’ai rencontrée cette année, elle vit dans le Sud de l’Irlande, et elle m’a proposé de venir filmer une installation qu’elle avait réalisée là-bas dans un ancien fort sur la côte.

Et comme humainement, on s’est bien entendus… j’y suis allé les yeux fermés et je n’ai pas regretté !

Ça m’a permis de m’obliger à travailler plus minutieusement mes cadres, à utiliser un pied… Ce que je ne fais jamais…

En grosse fan de Shannon Wright, et tout aussi fan des petits films que tu as tournés avec elle, je ne peux pas m’empêcher de te demander comment s’est passée la rencontre ? Comment avez-vous décidé de travailler ensemble ? Pourra-t-il éventuellement y avoir de nouvelles collaborations ?

Thom R 1On s’est rencontrés sur la tournée de Tiersen aux Etats-Unis… Elle est un peu sauvage et timide, moi aussi… Du coup, on s’est rapidement rapprochés sans même vraiment tellement se parler… Et puis elle m’a proposé de suivre un bout de sa tournée quelques mois après en France…. Mes images sont toujours dans les cartons, je ne lui ai encore rien montré…

Pour finir, après cette venue à Rennes, quels sont tes projets à venir ?

En vrac : monter tout ce que j’ai en retard… Faire un docu sur Ivan, faire de la musique, repartir voyager…

Merci !!

Merci à toi !

Retrouvez la présentation de cette « carte noire à Mansfield TYA » là , le compte rendu ici et les interviews des autres invités de la soirée : Mensch ici, Sieur et Dame et Unison par ici.

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ThomR sera invité à l’Antipode samedi 19 novembre dans le cadre de la carte noire à Mansfield TYA, avec Mansfield Tya, donc, mais aussi Unison, Sieur et Dame et Mensch. – 20h30, Antipode, 2 rue André Trasbot, Rennes.

Tarifs : Sortir ! : 4€ / Membres : 12€ / Location : 14€ / Sur place : 16€

Plus d’infos : http://www.antipode-mjc.com/evenements-antipode-mjc/concerts/carte-blanche-a-mandfield-tya/

Le site de ThomR (avec les films dont on parle dans l’interview) : http://thomfilm.net/news.html

1 commentaire sur “Interview de ThomR. – « Beaucoup de gens filment la musique sans se poser la question de pourquoi ils font ça… »

  1. Isa

    Le long métrage « Sommes-nous les enfants de la nuit ? » réalisé par ThomR pendant deux ans de collaborations avec Mansfield.TYA (durée : 1h20) sera visible prochainement sous différentes formes… Avant, voici la bande annonce : http://www.mansfieldtya.com/Nuit.html avec des Mansfield mais aussi des Bérus…

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