Focus sur la scène rennaise – Interview de Idwet [Part I&II]

Alter1fo vous propose de (re)découvrir la scène musicale rennaise à travers une chronique, hebdomadaire le plus souvent. Des talents émergent, d’autres confirment sur la scène locale. Certains les soutiennent, sortent leurs disques, d’autres leur proposent des lieux de concert, de répétition… Alter1fo donne un coup de projecteur à ces artistes, labels, lieux ou assos qui oeuvrent d’arrache-pied pour que la scène locale existe. Permettre aux acteurs et aux publics de se rencontrer, donner la parole à ceux qui font la vie rennaise, tels sont nos buts avoués. Chaque semaine, vous retrouverez donc un ou plusieurs focus sur l’un de ces acteurs…

Idwet logoIdwet est l’un des labels connus et reconnus de la scène rennaise. Actif depuis une dizaine d’années, le label compte, parmi ses sorties, les disques de Robert le Magnifique, Laetitia Sherriff, Mobiil, Psykick Lyrikah, Del Cielo, 69, ou Tepr entre autres. Quand on leur demande de considérer ce long parcours, les Idwet s’avouent plutôt fiers d’avoir réussi à sortir des disques  « qui vieillissent bien » . 20ème sortie cette année, nouveaux projets en ligne de mire, Idwet semble toujours aussi attaché à poursuivre une aventure qu’ils qualifieraient eux-mêmes d’humaine. On a poursuivi Thomas Lagarrigue, le boss du label, pour l’interroger sur ces années passées au sein d’Idwet et les projets à venir. On pourrait même dire qu’on l’a harcelé alors qu’il était débordé, et malgré cela, il a pris le temps de nous répondre très longuement. D’où cette  interview en deux parties.

Robert le Magnifique - Album 2002Alter1fo : Si vous deviez présenter Idwet en quelques mots ou quelques lignes, que diriez-vous ?

Thomas Lagarrigue, boss d’Idwet : C’est un label créé à Rennes en 2001 dans la continuité d’une asso avec laquelle on éditait le fanzine Dust et on organisait des concerts et soirées. Nous avons toujours tenu à ne pas avoir de ligne éditoriale trop définie et à ce que l’identité visuelle du label n’étouffe pas les identités musicales et visuelles de chacun des artistes avec lesquels nous allions travailler.

Pour le dire autrement, on a choisi de faire le contraire de ce qu’il aurait fallu pour avoir le plus grand écho médiatique possible en un minimum de temps. Mais on n’a jamais été des gens très pressés. On a toujours pris les projets les uns après les autres, en essayant de prendre en compte autant que possible les spécificités de chaque artiste.

Robert le Magnifique, Tepr, Psykick Lyrikah, Mobiil, Del Cielo ou très récemment 69… Vos sorties sont éclectiques. Vous ne vous cantonnez pas à un genre ou un style musical. Quel est l’esprit qui sous-tend les sorties et les projets de votre label ?

On a toujours considéré Idwet comme un label généraliste, donc les styles musicaux n’ont jamais été à l’origine de nos choix. Ça peut sembler cliché de dire ça, mais l’intensité des émotions ressenties en écoutant la musique reste pour moi le premier critère qui va influencer ma décision de travailler sur tel ou tel projet. Concernant la diversité du catalogue du label, je suis convaincu qu’il y a un fil conducteur, un point commun entre tous les artistes, mais j’ai toujours eu beaucoup de mal à l’expliquer avec des mots.

Tous ces artistes cultivent des identités musicales fortes, et sont en équilibre entre pop (au sens le plus large, « musique populaire ») et recherche (sans aller jusqu’à la pure expérimentation).

Enfin, il ne faut pas sous-estimer le facteur humain dans tout ça : on a créé des relations sur le long termes avec la plupart des artistes et le label est là pour les accompagner dans leurs évolutions, même s’ils décident de changer complètement d’orientation musicale du jour au lendemain.

Del Cielo - AlbumJe lisais dans une vieille interview parue en 2004 :

« On ne veut surtout pas se mettre de barrières et s’enfermer dans un créneau musical. Ca n’est peut-être pas encore très visible pour l’instant parce que le label est encore récent, mais quand on aura sorti une vingtaine de disques ça devrait être plus évident. Du moins, si on arrive à tenir jusque là! « 

Quand on lit ça aujourd’hui en 2010, on se dit que  justement, c’est la 20ème sortie cette année… Vous avez tenu jusque là ! Avez-vous l’impression que vous avez réussi ce que vous vouliez entreprendre ? Quel bilan tirez-vous de toutes ces années ?

Est-ce qu’on a réussi ce qu’on voulait entreprendre? Etant donné que nous n’avons jamais fait de plan, cette question n’a pas vraiment de réponse…

La seule ambition qu’on avait à la base, c’était de sortir des disques tellement bons, originaux et émouvants, qu’on n’aurait pas pu faire autrement que de les acheter !

Après, concernant la longévité, survivre n’est pas une fin en soit. Ce qui compte c’est de toujours avoir des projets de qualité qui te motivent pour continuer. A la création du label, on avait même décrété que si aucun projet ne nous branchait pendant une année, et bien nous ne sortirions pas de disque cette année-là. Dis-comme ça, ça semble être logique, presque du bon sens. Sauf que quand tu écoutes ce que sortent certains labels, tu te dis que ça n’est peut-être pas si évident que ça pour tout le monde…

Pour revenir à ta question initiale concernant mon sentiment sur le fait d’avoir réussi ou pas, je répondrais quand même positivement dans la mesure où je suis fier de tous les disques sortis. Et d’autant plus qu’ils vieillissent tous très bien, même ceux qui étaient très ancrés dans la période où ils ont été enregistrés, ce qui pour moi est sans doute le but ultime quand tu sors un disque.

Je me dis que pas mal de chemin a été parcouru et je suis avant tout très fier du parcours réalisé par les artistes, notamment ceux qui ont fait leur premiers pas avec nous.

Mobiil - Fondre sur les hyènesY a-t-il des labels que vous prenez en exemple ?

Nous n’avons jamais pris de label comme modèle de façon consciente, mais j’ai toujours été très intéressé par l’évolution de labels historiques qui ont apporté une véritable contribution artistique à la musique, quels que soient les styles musicaux : Chess, Sun, Stax, Motown, ECM, Ohr, Rough Trade, Factory, Mute, SST, 4AD, Dischord, Touch and Go, Creation, Sub Pop, XL, Warp, Domino, Matador, Ninja Tune, Mo’Wax, Constellation

Mais comme pour les artistes, y compris les plus grands, ces labels ont tous eu des hauts et des bas d’un point de vue artistique. Aucun d’entre eux n’a réussi à faire un « sans faute » … Mais on ne va pas leur en vouloir, vue la quantité de chef d’œuvres qu’ils ont produits…

Comment choisissez-vous les artistes et les projets que vous décidez de sortir sur Idwet ? Recevez-vous des démos, ou bien est-ce plutôt une histoire de rencontre, ou bien un peu des deux à la fois ?

Le processus n’est jamais exactement le même, il n’y rien de standard, et c’est ce qui rend la démarche d’autant plus compliquée pour des artistes en recherche de label. Au-delà du fait que la musique doit faire forte impression dès la première écoute, les facteurs humains et économiques, ainsi que les circonstances dans lesquelles j’écoute une démo sont souvent décisifs : par exemple vers 2003, j’ai reçu un CD-R d’un artiste caennais du nom de Gablé (aujourd’hui connu comme un trio).

Comme un artiste que je connais bien me l’avait recommandé (Princesse Rotative), je n’ai pas trop traîné pour l’écouter. J’ai aimé ce que j’ai entendu, sauf qu’à ce moment-là, je n’avais pas la possibilité de m’engager avec un nouvel artiste car j’avais déjà 3 projets à sortir dans l’année qui venait.

Ensuite le temps passe, je zappe cette démo qui se retrouve sous une pile de nouvelles démos, d’autres projets arrivent… jusqu’en 2008 où Gablé sort son album sur le label anglais LoAF. Je me rends compte à ce moment-là que l’évolution du groupe (du solo au trio) a été extrêmement bénéfique au projet, et j’avoue que j’aurais adoré sortir ce disque !

Idem pour le groupe La Terre Tremble !!! qui m’avait envoyé un disque à un moment où le label était financièrement trop juste pour prendre un nouvel artiste. Quand 2 ou 3 ans plus tard ils ont sorti leur album, j’ai compris que j’avais raté quelque chose. Mais ça n’est pas très grave, dans la mesure où ils ont trouvé un label et que tout semble se passer plutôt bien pour eux.

Psykick Lyrikah - Vu d iciPour revenir sur le principe des démos, il faut quand même que les artistes en recherche de label sachent qu’il est extrêmement rare qu’un groupe soit signé uniquement par l’envoi d’une démo. Dans la majorité des cas, un intermédiaire est nécessaire.

Je m’explique : pour reprendre l’exemple de La Terre Tremble !!!, quand tu les as interviewés, ils t’ont dit qu’ils ont signé sur Effervescence suite à leur rencontre avec Papier Tigre.

Pour Idwet, comme pour une majorité de labels, il y a des histoires comparables, notamment Psykick Lyrikah : si le groupe m’avait juste envoyé une démo, je l’aurais sans doute écoutée, mais peut-être pas au bon moment ou dans les bonnes conditions. Je ne peux pas être sûr que ça aurait donné lieu à une signature.

Ce qu’il s’est passé, c’est que j’étais un jour chez Lionel Pierres (d’Abstrackt Keal Agram) qui me dit qu’un jeune groupe de rap lui a passé une cassette avec quelques morceaux qu’il a trouvé hyper bien, et il me vend super bien le truc. Au moment où il me fait écouter les morceaux, je suis dans les meilleures dispositions possibles car il a éveillé mon attention, et je lui fais d’autant plus confiance dans la mesure où ce ne sont pas des potes qu’il essaie de me vendre, mais juste un groupe de rap différent de ce qui existe, qu’il a rencontré par hasard.

Et ça n’a pas raté : j’ai trouvé ça énorme alors que le son était d’assez mauvaise qualité. Des histoires similaires, il en existe des milliers, et je suis convaincu que les artistes signés sont les meilleurs prescripteurs pour leur label. Il me semble d’ailleurs que Ninja Tune a signé Amon Tobin sur la foi d’une démo que Funki Porcini (un artiste du label) leur avait passée…

Difficile de ne pas parler de la « crise du disque »… Quelle est votre opinion sur le sujet ? Comment cela se passe-t-il pour Idwet ? Est-ce plus facile pour un « petit » label indé, ou bien au contraire plus ardu ?

Idwet étant un label né après la démocratisation du graveur de CD, d’Internet, du format MP3 et du peer-to-peer, on peut dire qu’on n’a jamais vraiment fantasmé sur le fait de pouvoir vendre des milliers de disques. Si l’on ajoute à cela un goût pour des musiques relativement sombres, parfois tordues et un tant soit peu innovantes, on obtient un cocktail pas forcément orienté vers la diffusion de masse…

Tepr - En direct de la côte

Quand la crise du disque a été « officialisée » vers 2004, notre public était déjà assez restreint, donc on en n’a pas vraiment senti les effets. Ce n’est que vers 2007 qu’on a pu observer des baisses de ventes significatives.

Ce qui est plus simple pour un label comme Idwet par rapport à un gros indé ou une Major, c’est que je n’ai pas plein de salariés (et donc de salaires !) qui pèsent lourdement sur la gestion et obligent à faire toujours plus de chiffre. Je n’ai donc pas eu à licencier !!

En contrepartie, ça veut dire qu’on a dû réduire les budgets de productions des disques, alors qu’ils étaient déjà assez faibles… Du coup, la principale conséquence, c’est que les artistes qui bossent avec Idwet aujourd’hui sont généralement partie-prenantes, puisqu’ils investissent eux-mêmes de l’argent dans la production. Et donc plus on avance, plus les artistes sont propriétaires de leurs enregistrements, et plus l’intervention d’Idwet consiste en un accompagnement des artistes dans la définition de leur projet.

Le label est également garant d’un certain niveau de qualité dans les choix esthétiques (musique et image), ainsi que dans l’accouchement final de ce qu’est un album long format en tant qu’œuvre à part entière. En cela, j’ai la conviction profonde que le fait d’écarter tel morceau du tracklisting et d’intégrer tel autre, d’agencer les morceaux dans tel ordre, etc. représente une partie du travail peu visible mais totalement déterminante dans le fait de produire des albums aussi beaux qu’ambitieux. Ça doit sonner un peu prétentieux, voire même ringard pour des gens qui n’écoutent plus la musique autrement que sous la forme de playlists aléatoires de singles, mais j’assume totalement cette position.

Lire la suite de l’interview : Interview de Idwet [Part II]

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Le catalogue d’Idwet en écoute ici : http://cd1d.com/fr/structure/idwet/discography

Robert Le Magnifique sera en concert samedi 25 septembre lors de la soirée de rentrée du Jardin Moderne.

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