Embellies 2018 – Léonie Pernet et Jaune illuminent le Vieux St Étienne

Ce samedi 24 mars après-midi, les Embellies ont à nouveau bien porté leur nom. Dehors la pluie. Dedans : du soleil. Jaune d’abord. D’ici et d’ailleurs ensuite. Avec les concerts de Jaune et Léonie Pernet, la chaleur s’est quasi glissée dans le théâtre du Vieux St Étienne. Compte-rendu.

Après un début d’après-midi consacré aux découvertes par le public de l’expo anniversaire autour de l’identité visuelle du festival, portée depuis 20 ans par Sébastien Thomazo et Yoann Buffeteau et des installations visuelles et sonores (créations musicales de Gregory Hairon) réalisées par le collectif Vitrine en Cours et les enfants de l’école rennaise élémentaire Moulin du Comte, les Embellies invitaient Jaune et Léonie Pernet en concert au théâtre du Vieux st Etienne, parfait lancement sur les rails d’une soirée finale du festival à l’Ubu.

Jaune

Comme tout le monde, on a découvert Jaune avec La Souterraine [aka Benjamin Caschera et Laurent Bajon, défricheurs de gemmes souterraines chantées en français (et bien souvent sous-exposées), compilées, exhumées, cartographiées et mises en lumière avec amour] qui a eu la bonne idée de sortir le premier album du garçon en décembre 2016. Projet solo, ou personnel plutôt, de Jean Thévenin qu’on a pu apercevoir aux percussions avec François & the Atlas Mountains, Petit Fantôme, Melody’s Echo Chamber, Toy Fight, mais également derrière la caméra pour les clips de Nelson, (Please) Don’t blame Mexico ou Judah Warsky, le batteur de formation donne des couleurs ensoleillées à la pop d’ici.

Accompagné sur scène par un jeune batteur en survêtement qui tient curieusement ses baguettes, le jeune homme joue un peu de claviers, mais surtout lance ses morceaux et chante sur le devant de la scène avec un sourire franc et chaleureux. Le set commence par l’improbable (de retour ses appels sont passés / désormais il s’exerce à l’art de l’épée) et chaloupé Procession et fait la part belle aux titres du premier album (Blessure de l’égo écrit par Judah Warsky notamment, mais aussi Les courants à la chaleureuse mélancolie, Quai Branly propice aux dodelinements ou encore un très envoûtant Plancton final – et on en passe) avec aussi quelques nouveaux titres issus du second album à venir courant 2018.

Chantées en français (sauf Season dans la langue de Woolf), ces comptines électro-pop se parent d’atours sautillants et graciles : de nappes de synthé aquatiques, de cliquetis cristallins, d’échos vocaux ouatés, de mélodies doucement acidulées et d’une voix au lyrisme fragile. Electro pop haut les cœurs, la musique de Jaune trouve un soutien solide dans la batterie jouée live sur scène et la formule minimaliste (duo batterie/ voix où l’essentiel de l’instrumentation est lancé sur ordinateur) est étonnamment convaincante. Chaussé de souliers blancs vernis, Jaune occupe la scène en se lançant dans d’improbables danses, laisse passer quelques mimiques facétieuses sur son visage, plante le décor (la mer, les plages d’Oléron ou la fin du monde) et chante d’une voix claire et haute ses mélodies rafraichissantes. Amusé, le public se laisse charmer par ces chansons en même temps ensoleillées et douces-amères à la bizarrerie chaleureuse.

Léonie Pernet

On est ensuite ravi de retrouver Leonie Pernet sur scène. On l’avait découverte derrière les fûts électroniques de Yuksek, à l’Antipode, puis retrouvée aux côtés des Mansfield.TYA pour leur date à la Cigale sur la tournée NYX. On l’avait déjà remarquée la première fois, elle nous a encore épatée la seconde. Et la sortie de son Mix pour tous (composé alors qu’elle était seule à New York pour travailler sur sa musique) qui mêlait les mots salvateurs de Christiane Taubira sur le Mariage pour Tous aux essentiels Robert Wyatt, Brian Eno, Moondog ou aux Mansfield justement (la tuerie de remix des Scratch Massive), nous avait flanqué une sacrée beigne.

C’est donc d’une oreille attentive qu’on suit depuis l’évolution de la musicienne proche des immanquables Kill The Dj (c’est là qu’est sorti son premier ep Two of us en 2014) qui a entre temps signé des musiques originales de films (elle avait commencé par jouer pour le spectacle vivant), organisé des soirées techno-queer (Corps vs Machine), joué par ici aux Transmusicales en première partie de Benjamin Clementine en 2013 ou à l’Antipode MJC aux Femmes s’en mêlent en 2014.

On est donc un brin impatient de découvrir où l’ont menée ses nouvelles explorations soniques, d’autant qu’un premier long format est à venir. Pour cette nouvelle formule live, Léonie Pernet est accompagnée de deux musiciens : Emmanuel Trouvé aux synthés et chœurs et l’envoûtante Hanaa Ouassim aux percussions, clavier et chant.

Quant à elle, fidèle à sa formation classique (vibraphone, xylophone, caisse claire,… au conservatoire), elle alterne entre percussions et clavier avec une insolente facilité, et assure l’essentiel du chant lead. Dès le premier morceau, long développement addictif fourmillant d’idées, elle joue ainsi debout avec quelques toms et cymbales devant elle et percute une grosse caisse dans son dos à coups de talon sur la pédale (!), plaque ensuite accords et arpèges sur son clavier, prend le temps du développement et catapulte alors la structure dans une dimension inattendue : une sorte de d’électro hip hop mutante (?), elle même suivie d’une accalmie envoûtante. On écarquille bien grand les oreilles, fasciné tant par la richesse des différentes ambiances qui s’enchaînent que par la liberté des directions suivies. Derrière les musiciens, les vieilles pierres du Vieux St Étienne éclairées de lumières chaudes suspendent encore le moment hors du temps. Une entrée en matière de haut vol.

Alors, bien sûr, tout ne sera pas à l’égal (haut) degré de ce premier titre (le projet n’en est qu’à ses prémisses et ce n’est que la quatrième date du trio), mais le set se révèlera bien souvent passionnant et riche de promesses, avec d’émouvants sommets, tel ce titre chanté par Hanaa Ouassim en arabe avec Léonie aux chœurs et à la darbouka, juste souligné par quelques accords d’Emmanuel Trouvé aux synthés, qui nous colle d’immenses frissons. Tout comme cette renversante partie de chant classique (par Léonie Pernet) sur des arrangements électroniques qui nous étreint la poitrine. Sans oublier ces montées amples parfaitement maîtrisées (magnifique Blue is dead, dont les lents accords aux claviers se doublent progressivement d’un déluge de percussions) ou cette intelligence des développements.

Léonie Pernet déplie ses narrations musicales, se laisse le temps de poser les ambiances, déploie la progression de ces morceaux. Et choisit d’ouvrir sa musique à tout ce qui la/é meut, des sonorités classiques aux percussions orientales (merveilleux daf -tambour iranien tendu d’une peau derrière laquelle se dissimulent des anneaux- joué magnifiquement par Hanaa Ouassim, partie envoûtante à la darbouka), du minimalisme à l’électro, en passant par une reprise à deux voix d’India Song de Jeanne Moreau. On a d’ailleurs beaucoup lu que la musique de la jeune femme était hors format. Pour autant, les morceaux de Léonie Pernet ne refusent pas les structures, au contraire, mais puisent les leurs plutôt dans le classique, la musique contemporaine ou électronique. Et se permettent des rêveries éthérées débouchant sur des montées puissantes marquées par une batterie ample (L’Artaud-télicien Tutuguri), des assemblages fragiles et puissants en même temps riches et dépouillés (le très réussi Two of us) ou des kaléidoscopes de timbres (voix en échos, piano, synthé, percussions de tous types, qui lancent même des samples vocaux sur Two of us…) particulièrement bienvenus. Un très chouette concert au final. Le potentiel de la formation s’y est révélé aussi palpable que bigrement prometteur et laisse présager d’une densité encore plus émouvante à venir, tant les prémisses pour quelque chose de grand sont là, et bien là.

Photos : Caro

Avant, après, pendant toute la durée du festival, retrouvez tous nos articles sur les Embellies ici.

 


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