Embellies 2018 – Emily Jane « Magic » White

Ce mercredi 21 mars, les Embellies invitaient Emily Jane White & House of Wolves pour un concert magique au Théâtre du Vieux St Étienne, qui malgré des températures polaires (ou presque) a définitivement comblé les amateurs de folk incarnée et de mélodies délicates et ouvragées. On met une esperluette (&) et non un et lambda, puisque forts de leur rencontre lors d’un concert à Los Angeles, les deux artistes américains ont décidé de partager la scène pendant cette tournée printanière (ainsi qu’un split ep à paraître en mars chez Discolexique). Ce mercredi ils jouent donc successivement en solo avant de partager la scène pour quatre titres hors du temps. Compte-rendu.

Les frimas printaniers transforment ce mercredi le Vieux St Étienne en glacière et les tentatives pour chauffer convenablement cette passoire d’église se révèlent malheureusement infructueuses. Les musiciens tenteront de réchauffer leurs doigts engourdis sur les guitares mais parviendront surtout à communiquer au public la délicate chaleur de leur musique.

House of Wolves

Rey Villalobos aka House of Wolves n’est pas un manchot lorsqu’il s’agit de composer des folk songs délicates. Guitare boisée, voix aérienne au timbre éthéré, la folk teintée d’americana du Californien semble hors d’âge. Seul à la guitare folk, assis sur une chaise, le musicien semble frigorifié, mais déroule ses arpèges fragiles avec douceur. Le joli One déploie ses notes ténues et sensibles sous les voûtes en pierre de la vieille église (quel cadre magique !) avant qu’un peu plus tard, le très réussi Martians ne dévoile davantage de nuances : d’accélérations en silences, d’arpèges tournants en scansions légèrement plus rythmées.

Plongé à corps perdu dans ses bucoliques chansons américaines, Rey Villalobos convoque parfois sous les voûtes empierrées les fantômes d’Eliott Smith (musicalement) ou de son grand-père qui a combattu pendant le seconde guerre mondiale (sur Love is a war qui déclenche une belle adhésion du public avec son refrain quasi pop). On est moins convaincu par Jealous, même si on rigole avec le musicien de ses considérations capillaires ou plus loin par le titre final Honeybee. On apprécie en revanche le nouveau morceau, un tantinet plus chaloupé que l’on devrait retrouver sur le prochain ep.

Néanmoins si les progressions d’accords utilisées par le garçon n’apparaissent pas très originales et l’ensemble du set reste un peu bloqué sur le même registre, le charme du musicien réside ailleurs. Dans cette voix, d’abord qui monte sans difficulté, et réussit le tour de force d’être en même temps fragile et incarnée. Mais aussi dans le fait que le garçon prend le temps de l’amplitude, étire ses morceaux, leur donne de l’espace pour se développer à l’envie et parvient à rester sur le fil ténu de l’émotion, entre limpidité et élégance. Et comme entrée en matière pour la soirée, c’est juste ce qu

Emily Jane White

On a déjà eu la chance d’entendre Emily Jane White aux Embellies en 2014. La Californienne, drapée de rouge, avait proposé un set plus électrique et plus mélancolique encore que lors de son précédent passage à l’Ubu trois ans auparavant. Abandonnant le folk aux profondes racines blues de ses débuts, l’artiste américaine y avait développé une musique profondément envoûtante, aux superbes arrangements (guitare électrique pour elle, accompagnée d’un violoncelle, de clavier, d’une batterie et de chœurs), essentiellement issue de son quatrième album en date, le très bon Blood /Line.

Cette fois-ci, c’est seule que l’Américaine se présente sur scène pour dévoiler une version épurée de ses morceaux, avec des arrangements minimalistes qui vont se révéler ô combien prenants. Elle commence cependant le set par Blue, un titre de son premier album (Dark Undercoat, Talitres 2008) à la guitare électrique et dont les arrangements étaient déjà réduits à l’os sur la version initiale. Avec sa longue robe noire et son épiphone d’un rouge brun sombre, la musicienne parvient pourtant à captiver immédiatement les oreilles d’un public suspendu à sa (superbe) voix. Les notes de guitare, marquées par une quasi walking bass, teintent de blues et de country classieuse le timbre chaud de l’Américaine tandis que sa silhouette se découpe sur les murs de pierre de la vieille église, parant sa prestation d’une aura un brin mystique.

Ce n’est pas Moulding qui suit, issu du cinquième long format de la jeune femme, They Moved in Shadow All Together (2016), peut-être encore plus réussi, qui nous fera décrocher le regard. En même temps poignant et lumineux, paré de reverb profonde sur des notes vocales aériennes qui finissent de toucher au cœur, le morceau se développe dans un silence (osons le mot) religieux. Et ce n’est pas seulement le froid qui nous fait frissonner. Frozen Heart la voit alors s’installer au piano pour des arpèges tournoyants qui nous ensorcellent tout pareil : le morceau tient tout autant debout sans cordes et finit de nous convaincre. La jeune femme a une réelle présence et un charisme plein de délicatesse qui hypnotisent la foule serrée dans un souffle contre la scène. Suit un morceau issu de l’ep que la musicienne partage donc avec House of Wolves, le magnifique Remains dont les virages mélodiques n’ont pas fini de tournoyer dans nos oreilles. Même si Emily Jane White s’y interrompt pour demander si le son du piano y est meilleur devant que sur la scène, tant elle a l’impression que celui-ci est à l’agonie dans ses retours. On la rassure et elle reprend avec le même engagement.

My Beloved à la guitare se révèle encore plus prenant : la six cordes joue sur les scansions rythmiques, passant de sons doucement étouffées à des montées en amplitude qui prennent aux tripes. La voix de la jeune femme tour à tour chaude, déchirante, aérienne s’y déploie avec une classe infinie. Emily Jane White, même seule à la guitare, parvient à imprimer un réel relief à l’intérieur du morceau et cette version épurée est définitivement aussi intéressante que celle de l’album, pourtant savamment orchestrée. Le nouveau Remains II et ses voltiges vocales confirment d’ailleurs que le nouvel ep va être une belle tuerie. Le funambule Black Dove est tout aussi envoûtant et la voix d’Emily Jane White s’y dévoile encore entre retenue pudique et présence incarnée. On est tout de même épaté qu’en version aussi minimale, le set se révèle aussi dense.

Rey Villalobos revient ensuite sur scène pour jouer quatre morceaux avec Emily Jane White. Emmitouflé dans son manteau, il nous invite à saluer sa femme sur facetime et débute les arpèges fragiles de son Just Shy of Survival à la guitare folk avant d’enchaîner sur le morceau d’Emily Jane White Kelley. Les deux s’y rejoignent pour un moment d’une beauté suspendue : quelques notes à peine à la guitare, au piano, et leurs deux voix qui se mêlent dans un magnifique unisson qui étreint les âmes. Rey Villalobos a beau se perdre dans ses papiers, ne plus trouver son capodastre et déclencher les rires complices de la salle et de la musicienne, le moment reste totalement magique. Et tout le monde retient pareillement son souffle sur les deux titres qui clôturent le set, le corps aussi refroidi que les bras nus d’Emily Jane White, que l’âme réchauffée par ce moment d’intense fragilité. On conclura d’ailleurs avec les mots d’Emily Jane White : « We all kept each other warm in this beautiful converted church » .

Photos : Politistution

Avant, après, pendant toute la durée du festival, retrouvez tous nos articles sur les Embellies ici.

 


1 commentaire sur “Embellies 2018 – Emily Jane « Magic » White

  1. Jannez

    Magnifique concert d’Emily Jane White, comme toujours.
    Froid « polaire » effectivement.
    Eglise impossible à chauffer effectivement.
    Dommage que les organisateurs n’aient pas trouvé une solution pour placer sur la scène un moyen de chauffage (réellement impossible ?). Cela a nui à la prestation des artistes qui, du reste, s’en sont plaint. Emily n’a même pas joué le dernier morceau prévu sur sa track list. Et, évidemment, il n’y a eu aucun rappel possible. Autrement dit, les artistes ont souffert de cette situation mais le public aussi.
    Bref, manque de respect pour les artistes et le public de la part des organisateurs. Dommage !
    Emily ne vient pourtant à Rennes que tous les trois ou quatre ans.

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