Electroni[k] – Alchimi[k] : de battre, mon coeur de meringue s’est arrêté

2011-10-13-ELECTRONIK_ALCHIMIK-alter1fo-15Cultures Electroni[k] aime à repousser les frontières : le « festival » ne se cantonne pas à un genre mais aime à créer des passerelles entre arts, musiques et technologies. On n’a donc pas été surpris qu’Electroni[k] propose dans son programme une soirée dédiée aux arts et aux sciences sur le campus de Beaulieu ce jeudi, la bien nommée Alchimi[k]. Transformer la science en art, plutôt que le plomb en or, aurait pu être une devise de cette soirée. Au programme, des expériences spectaculaires et des performances artistiques étonnantes qui promettaient de nous en mettre plein les yeux et les oreilles. Le public ne s’y est pas trompé et ce sont plus de 600 personnes qui se sont précipitées au Diapason pour assister à Alchimi[k], qui, rappelons-le, c’est important, était gratuit et donc réellement ouvert à tous.

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On commence donc la soirée avec des ateliers autour de la cuisine moléculaire au son d’un dj set de Kogura Mustache. On avait suivi avec intérêt la sortie du premier ep de [K]ogura Mustache, Midnight Requiem, en mars dernier. Et au vu des sets qu’il a proposés durant toute cette soirée d’Alchimi[k], on peut vous assurer qu’on va continuer à suivre le bonhomme (il sera d’ailleurs en dj set pour un projet différent dans le cadre d’Avatar proposé à l’Antipode en novembre prochain).

Mais revenons à la cuisine moléculaire et aux différentes expériences proposées : la mise en scène visuelle du lieu (le hall du Diapason) tout en lumière est vraiment réussie et drappe chaque stand de découverte d’une aura de mystère. Les fumées d’azote liquide (?) et les bulles sortant des récipients participent aussi à cette atmosphère à la fois mystérieuse et ludique.

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On s’approche timidement de bulles de senteur et on se laisse surprendre : le bâton de vanille ou les feuilles de menthe, tout superbes qu’ils sont, ne dégagent que peu de parfum alors que quelques centimètres carrés d’essence de vanille, menthe ou amande suffisent à embaumer toute la bulle de verre. On goûte des bulles liquides au melon, au citron ou à la courgette en essayant de retrouver de quoi il s’agit, on apprend qu’on peut se fabriquer des gobelets solides et pas chers en schweppes (petit souci : ça suinte un peu sous les doigts quand même et surtout, au bout de quelques jours, le gobelet se rabougrit), ou on glisse une meringue azotée dans sa bouche pour expérimenter le souffle du dragon (impressionnant !). Au final, on écarquille les yeux, les oreilles et les narines !

Mais déjà les portes de la salle de spectacle s’ouvrent. On va y découvrir Terminalbeach avec son Heart Chamber Orchestra. Récompensée par le prix Ars Electronica 2010 (ce n’est pas rien !), cette performance audiovisuelle met en scène douze musiciens « classiques » (ici entre autres des étudiants en musicologie de Rennes 2) associés au duo TerminalBeach (à l’origine de ce projet). Partant du principe que le cœur, dans la culture occidentale est le siège des sentiments, et que les battements de nos cœurs reflètent nos émotions (on a le cœur qui bat plus vite quand on a peur, plus lentement quand on se sent en paix…), le duo a voulu créer à proprement parler une « musique qui vienne du cœur » . Chaque musicien sur scène porte donc un cardiofréquence-mètre. La partition sonore qu’ils vont jouer et les visuels qui défilent derrière eux sont ainsi générés en temps réel par leurs battements de cœur. Ils lisent et jouent la partition créée par leurs battements de cœur grâce à un moniteur sur lequel elle apparaît devant eux.

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Les douze musiciens montent progressivement sur scène : à chaque entrée en scène, un point sonore clignotant apparaît sur l’écran géant placé au fond de la scène : il s’agit du battement de cœur modélisé du musicien. S’en suit une sorte d’arythmie sonore générée par les battements cardiaques non synchrones des douze musiciens. Ils restent quelques temps dans le « silence » de ces battements de cœur puis entament un long unisson. Enfin, unisson, oui et non : car ils jouent tous en même temps (clarinette, alto, violon, violoncelle, contrebasse, basson, trombone, tuba…) mais l’ensemble apparaît plutôt comme dissonant. Car c’est ce qui va nous frapper très vite : la musique qui vient du cœur n’est pas facile d’accès : mieux vaut être un peu familier de la musique contemporaine atonale pour pouvoir apprécier l’aspect « musical » de la composition.

Néanmoins le découpage de la performance en plusieurs tableaux visuels et sonores peut aider les spectateurs un peu surpris par l’aridité du son. Les visuels (eux aussi générés par les battements de cœur des musiciens en temps réels) sont variés (des points rouges progressivement reliés par des lignes lumineuses toutes en courbe, des cubes et des figures géométriques qui se dessinent petit à petit ou des taches de couleur qui se déplacent sur l’écran par exemple) et aident le spectateur à suivre la performance.

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D’autre part, il suffit d’avoir un peu été initié au processus de composition et au concept sur lesquels reposent l’œuvre pour la comprendre plus aisément. Ainsi, lorsque la partition faisait apparaître des montées plus angoissantes, on imaginait que les battements de cœur des musiciens devenaient plus rapides du fait de l’angoisse suscitée et que la partition devenait alors encore plus angoissante. On aurait apprécié, que comme la nuit passée (voir le compte rendu sur la Nuit Américaine #2), le public soit davantage guidé dans sa découverte en amont de la performance. Des explications seront néanmoins données à la fin de la performance et on applaudit cette initiative, même si l’on comprend aisément que pour certains, le souci pédagogique n’a pas sa place lors d’une représentation. On remarque simplement que plusieurs spectateurs ont quitté la salle et que peut-être, avec un petit peu d’explications en amont, ils auraient davantage accroché à la performance.

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Malgré cela, la présentation est un succès et une bonne partie du public est emballée par ce qu’elle vient de voir. Derrière nous, les étudiants sont enthousiastes et les applaudissements sont sincères. On attend donc la prestation suivante avec impatience : le Face Visualizer de Daïto Manabe promet d’être visuellement très impressionnant. Avant de la découvrir, on prend le temps d’acheter la magnifique affiche du festival réalisée par Jean Jullien et de dévorer les délicieux gâteaux d’ Electronica[k]e (une équipe de bénévoles s’est mobilisée pour vendre des gâteaux faits maison durant tout le festival afin de financer des siestes musicales pour les tout-petits en 2012 et c’est une chouette autant que délicieuse initiative) avant de découvrir Daïto Manabe. Enfin, découvrir en partie, car les deux musiciens performers de ce Face Visualiser ont déjà arpenté le hall du Diapason au milieu des stands de cuisine moléculaire tout à l’heure. Et leurs déambulations ne sont pas passées inaperçues, leurs visages étant recouverts d’électrodes collées avec de petits sparadraps.

Daito-Manabe_1-588x391Les deux performers prennent donc place derrière leurs machines sur la grande scène avec leurs visages toujours recouverts d’électrodes. Celles-ci sont reliées aux machines devant eux. Derrière eux, un immense écran sur lesquels on découvre leurs visages filmés en gros plan. Car, c’est essentiellement sur leurs visages que la performance est visible. Jugez plutôt : des stimuli électriques générés par des notes de musique sont envoyés sur plusieurs endroits des visages des artistes à l’aide de ces électrodes. Chaque note de musique déclenche un stimulus sur le visage, ce qui a pour effet de synchroniser musique et expressions faciales. Le résultat est assez hallucinant et plutôt ludique : les deux musiciens clignent des yeux, de la joue, plissent la lèvre supérieure, en fonction de la note jouée.

Le résultat est toujours en symbiose parfaite avec le rythme de la musique et les clignements sont vraiment hypnotiques. Les artistes tordent le nez, ferment un œil ou dansent de la paupière : on reste scotché. Et on l’est encore plus lorsque les deux musiciens mettent quelque chose sur leurs dents (?, c’est trop petit, on ne voit pas ce qu’ils mettent dans leurs bouches). Ce nouvel outil leur colorera leurs bouches d’éclairs lumineux rouges ou verts, toujours totalement en rythme avec la musique. Ces dents qui s’illuminent par intermittence en fonction du rythme des notes jouées nous hypnotisent tout autant qu’elles nous donnent envie de sourire. Car cette chorégraphie (est-elle douloureuse ?, c’est la question qu’on se retient de se poser) tout en cliquetis sonores et clignements lumineux et facial est tout autant ludique qu’impressionnante. Le prestation s’achève elle aussi dans les applaudissements.

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On aurait pour notre part très envie de découvrir la Chambre des Machines de Martin Messier et Nicolas Bernier qui clôturera la soirée, d’autant que ce clin d’œil aux intonarumoris, ces machines à bruit construites par les futuristes italiens, nous intéresse particulièrement en consultant le programme (les machines des deux producteurs sont constituées d’engrenages et de manivelles et sont manipulées pour engendrer une construction sonore à mi-chemin entre acoustique et électronique). Malheureusement, il est déjà tard et il y a école demain. Si de votre côté, vous avez pu rester pour la performance de Martin Messier et Nicolas Bernier, n’hésitez pas à nous laisser vos impressions en commentaire.

Au final, on a encore assisté à une soirée étonnante proposée par Cultures Electroni[k] et on n’est pas vraiment surpris du succès de cette soirée : le public est venu nombreux et sûrement reparti avec cette maxime : « à Alchimi[k], la science en art, tu changeras » …

Photos : Caro

(avec Electronica[k]e pris la veille à la Nuit Américaine #2 et sauf Daïto Manabe photographié à Berlin)

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