David S Khara : la trilogie des Projets

Le Projet Morgenstern clôt la trilogie entamée par David S Khara en 2010. L’occasion de s’entretenir avec l’auteur et de revenir sur les 3 titres.

DavidSKharaAlter1fo : Il semble que tu vives de l’écriture depuis seulement quelques années. Peux-tu nous retracer ton parcours ? Tu as commencé à écrire quand ?

David S Khara : Je n’ai commencé à écrire des romans que très récemment, avec une première publication en 2010. Avant cela, j’ai d’abord été journaliste à l’AFP, puis concepteur rédacteur publicitaire avant de créer ma propre entreprise de communication en 1993. En 2009, à l’aube de la quarantaine, j’ai décidé de changer de voie sans m’être fixé une direction dès le départ. Je m’accordais un peu de temps pour réfléchir à l’avenir quand le hasard a fait que mon premier roman, Les vestiges de l’Aube, a été publié aux Editions Rivière Blanche. Il s’agit d’ailleurs plus d’un feuilleton conçu pour un cadre privé que d’un véritable roman destiné à la publication. J’en avais commencé l’écriture en 2003, sur mon temps libre, et je l’avais achevé en 2008 sans penser une seconde que cela m’amènerait où j’en suis aujourd’hui…

Comment as-tu vécu le succès du Projet Bleiberg ?

Bien ! En tout cas, forcément mieux qu’un échec. Cela a été soudain et, forcément, inattendu, mais face à la déferlante qui s’est abattue sur moi, je me suis réfugié derrière mon expérience professionnelle pour gérer au mieux les sollicitations. Il est évident que cela chamboule un peu le quotidien, mais vivre cela à quarante ans est certainement plus simple qu’à vingt. Je sais qui je suis et un succès, durable ou éphémère, ne changera pas mon optique de vie. L’aspect le plus positif de l’aventure Bleiberg, et globalement de toute la trilogie, est qu’elle m’a donné la liberté de développer des projets avec des personnes formidables et de faire de très nombreuses rencontres surprenantes. Entre le cinéma, la BD, les sorties à l’étranger et les nombreux échanges avec les lecteurs, je me considère très chanceux… et très occupé également.
Mais dans l’optique qui est la mienne, le plus important est que le prochain roman soit meilleur que le précédent. Si un jour je perds de vue cet objectif, il sera temps pour moi de faire autre chose. Je n’ai pas de prétentions particulières, rien ne m’est dû, et j’ai encore tout à prouver.

J’avoue avoir eu une préférence pour  le Projet Shiro et le Projet Morgenstern, même si j’ai aimé le premier. Comment vois-tu l’évolution de ton écriture entre ces trois romans ?

Ta question fait écho à ma réponse précédente. Chaque roman doit surpasser son précédent, et cela passe d’abord par l’écriture. Contrairement à certaines absurdités que j’ai pu lire, Bleiberg n’a jamais été conçu pour être un best-seller et ce pour une raison simple : maison d’édition inconnue, auteur inconnu, pas de diffusion et aucun relais médiatique. Du coup, Bleiberg n’est que l’expression du roman d’aventure tel que je l’aime et tel que j’ai envie d’en lire. Je vois l’écriture comme un artisanat. A force de pratiquer, on s’améliore, mais il faut beaucoup travailler. J’ai appris après Bleiberg, et j’ai tenté d’en faire bénéficier les suites. Du coup, l’écriture est plus resserrée dans Shiro, l’intrigue plus carrée. Dans Morgenstern, j’ai tenté de faire la synthèse entre Bleiberg et Shiro en mêlant l’action débridée du tome 1 et l’aspect introspectif du tome 2. Et puis, même si le mode narratif est le même, à base de flashbacks, je ne voulais pas faire trois fois le même roman. Morgenstern se situe sur un mode plus émotionnel. Je ne peux pas vraiment analyser mon style, j’ai envie de conserver une certaine spontanéité et donc de ne pas intellectualiser le processus.

En achetant le Projet Morgenstern je m’étais mis en tête que ce serait la fin de la trilogie. L’histoire ne donne pas l’impression de devoir s’arrêter là. Tu envisages de reprendre ces personnages ?

La trilogie est terminée. J’ai toujours dit qu’il y aurait trois « Projets », et c’est désormais le cas. Quant à reprendre des personnages, Eytan a soixante ans d’histoire à nous raconter dont je n’ai pratiquement rien dit. Qui sait, un jour peut-être…

Comment t’es venu le personnage d’Eytan ? Qu’est-ce qui t’a emmené vers la Seconde Guerre Mondiale?

J’ai toujours été passionné par l’Histoire en règle générale et la Seconde Guerre mondiale en particulier car elle a, plus que tout autre conflit, jeté les bases du monde dans lequel nous vivons, et souvent au prix d’aberrations que l’on ne peut percevoir qu’avec une connaissance approfondie de la période. Bien loin d’un manichéisme souvent réducteur, la réalité et la complexité des événements et des enjeux peuvent influer sur nos jugements. J’avais envie d’explorer ces faits, pour ma propre construction, mais aussi de les faire partager à travers les codes du divertissement pour en faciliter l’accès, et parfois, la tolérance tant certains aspects sont abominables.
Le personnage d’Eytan est né de mes recherches. Il agglomère les témoignages de nombreux résistants et survivants de la guerre et des camps de la mort. Par exemple, sa déportation racontée dans le Projet Bleiberg, est elle la somme de plusieurs récits authentiques. L’étincelle finale concernant Eytan est venue en regardant un documentaire sur Simone Lagrange, une femme extraordinaire qui a été arrêtée à Lyon, torturée par Klaus Barbie. Elle a ensuite été déportée et a survécu au camp de la mort. Elle a reconnu Barbie lors de l’interview de ce dernier réalisée par Ladislas de Hoyos et a témoigné à son procès. C’est une biographie très expurgée et j’incite les lecteurs à se documenter sur Madame Lagrange tant son destin est édifiant, et son énergie exemplaire. Son envie de vivre, son humour, et les cicatrices qu’elle porte ont grandement participé à la naissance d’Eytan.

Il est apparemment question d’adaptation cinématographique pour le Projet Bleiberg. Ca en est où ?

L’adaptation est toujours d’actualité. A l’automne dernier, un scénariste américain avait été choisi par la production, mais il a dû se retirer pour accepter une offre dont je ne peux rien dire, mais que personne au monde ne refuserait. Du coup, un nouveau scénariste est à pied d’œuvre depuis le mois de mars et ne devrait pas tarder à rendre sa copie. Donc, ça avance, mais il faut être patient, ce qui n’est pas toujours facile !

Tu fais partie du collectif Calibre 35. J’ai demandé à Fred Paulin pourquoi il était allé vers le polar. Et toi, qu’est-ce qui t’as amené dans ce genre ?

Je ne me considère pas comme un auteur de polar, mais comme un auteur d’aventures et de suspens. J’aime qu’une histoire me tienne en haleine, me donne envie d’en savoir plus et me garde sous sa coupe jusqu’à la dernière page. Assez étrangement, je ne suis pas un grand lecteur de polars, étant peu intéressé en règle générale par les enquêtes policières. Par contre, que le destin d’une personne bascule et qu’elle doive à la fois s’en sortir et comprendre ce qui lui arrive me passionne.

Je crois que tu fais partie d’un autre collectif. Tu peux nous expliquer ce qu’est la Ligue de l’imaginaire ?

La ligue de l’Imaginaire regroupe aujourd’hui onze auteurs (Maxime Chattam, Bernard Werber, Erik Wietzel, Franck Thilliez, Patrick Bauwen, Eric Giacometti, Jacques Ravenne, Laurent Scalese, Olivier Descosses, Henri Loevenbruck et moi-même) désireux de défendre les littératures dites de « mauvais genre » telles que la Science-Fiction, la Fantasy ou le Thriller pour ne citer qu’elles. La notoriété de certains des membres de la Ligue permet de faire progresser les mentalités et les regards dans un pays où les préjugés ont la vie dure.
Nous organisons des dédicaces, un prix littéraire, et différents événements qui seront dévoilés rapidement, à commencer par la remise de ce fameux prix littéraire au Grand Rex fin juin. Mais bien plus qu’une bande de militants, nous sommes avant tout une bande de potes.

A tort ou à raison, je vois des références et des clins d’œil à droite et à gauche dans tes romans. Tu es fan de comics ? de BD ? de ciné ?

Effectivement, mes romans sont truffés de clins d’œil, de “private jokes” . Les références sont multiples, allant du cinéma au sport en passant par des hommages à des amis, auteurs et lecteurs parfois. Je suis effectivement un fan de comics, et j’entretiens depuis une trentaine d’années une collection couvrant les originaux de la Marvel de 1960 à 1980. La BD a eu une importance capitale dans mon parcours puisque c’est après avoir lu La Quête de l’Oiseau du Temps, de Loisel et Le Tendre, que l’envie de me lancer dans l’écriture m’est venue. Les hasards du destin font que c’est Serge le Tendre qui a adapté en BD les Vestiges de l’Aube, mon autre série, et dont le premier tome paraîtra chez Dargaud en 2014. Un réel honneur.
Niveau cinéma, j’ai vu trop de films dans ma vie pour pouvoir les compter, et mes goûts vont du blockbuster le plus idiot aux films de Tati ou de Gus Van Sant.
J’ajouterai également que je suis un fou taré de jeux vidéo.

Des éditeurs. Un collectif d’auteurs. Des librairies… Comment vois-tu la vie du livre à Rennes et ses alentours ?

Un seul mot me vient à l’esprit : vivace ! Rennes et ses alentours foisonnent d’auteurs, d’éditeurs, dans tous les genres, de la poésie, au beaux-livres, en passant par le polar ou la BD. Je les connais depuis peu, mais je suis admiratif de l’énergie et la passion qu’ils expriment. Les bibliothèques et médiathèques sont nombreuses, les librairies dynamiques, et les lecteurs sont aussi au rendez-vous, ce qui est une vraie chance dans une période difficile pour le livre. Au final, ce sont les lecteurs rennais qui sont chanceux !

Quels sont tes projets dans les mois qui viennent ?

Bleiberg vient de sortir aux Etats-Unis, et sera suivi l’année prochaine par Le Projet Shiro et le Projet Morgenstern. Ce dernier arrive au Québec la semaine prochaine, et la trilogie ne devrait plus tarder à sortir en Corée (du Sud, évidemment). Je me suis lancé dans l’écriture du deuxième tome des Vestiges de l’Aube qui paraîtra en 2014, année très chargée, la preuve : le premier tome des Vestiges de l’Aube sortira en poche chez 10-18 en même temps que son adaptation en BD chez Dargaud avec Serge le Tendre au scénario et Frédéric Peynet au dessin. Morgenstern sortira également en poche chez 10-18.
Je travaille également sur un nouveau projet de roman dans un genre très nouveau pour moi, mais je n’en dirai plus qu’à l’automne prochain.
En gros, je n’ai pas vraiment le temps de m’ennuyer…

La critique :

Projet-MorgensternL’auteur est du coin, l’éditeur aussi (les Editions Critic). C’est pas pour être chauvin mais on aime que des choses faites ici aient rencontré autant de succès : Le Projet Bleiberg s’est très bien vendu et continue à l’être, aidé par sa sortie en poche et celles des deux autres parties de la trilogie.
L’histoire croise la Deuxième Guerre Mondiale et l’époque actuelle. Dans cette dernière, Jeremy Corbin est un trader new-yorkais alcoolique. Il a perdu son père, sa mère est malade et quand il prend un taxi, il se fait jeter parce qu’il est le chauffard qui a tué un enfant un soir de cuite. Jacqueline Walls est agent à la CIA, elle doit protéger le dépressif. Eytan Morg fait partie du Mossad. Depuis des décennies, il traque les nazis. Ses origines très particulières remontent en effet à la Pologne occupée. Et ce n’est pas ce qu’il y a de plus remarquable chez lui. Son combat contre une organisation secrète va l’amener aux deux autres.
Complot. Amitié et amour forgés dans le feu de l’action. Certains éléments nous ont paru parfois un poil trop évidents. Mais cette écriture explique largement la notoriété du roman : directe, baladeuse, jolie et souvent drôle.

Alors on se jette sur le Projet Shiro, et on retrouve un trio, momentanément. Morg était le meilleur personnage du premier tome : le Captain America israélien est cette fois clairement au centre de l’histoire. Il est épaulé sur quelques pages par un journaliste tchèque. Branislav Poborsky a assisté au « nettoyage » d’un village victime d’une attaque bactériologique. Elena complète l’équipe. Celle qui a failli avoir la peau du grand chauve (Eytan) va l’aider à accomplir sa mission. Mission confiée par le Consortium qui tient en otage son seul ami. Europe de l’Est et Extrême Orient. Présent et, à nouveau, Seconde Guerre Mondiale, mais cette fois, pour évoquer les horreurs japonaises.
Le Projet Shiro est meilleur que son prédécesseur. Il y a toujours des salauds absolus mais les frontières entre bien et mal, entre héros et ennemis sont beaucoup plus floues. On a perdu en chemin les phrases-formules qui font les malignes (il en reste peu), on a gardé le rythme, on a gagné en noirceur.
Khara reste un sentimental, mais nous aussi.

Troisième volume avec Le Projet Morgenstern. Peut-il faire encore mieux ? Morgenstern, c’est le nom complet de l’agent Israélien. On savait déjà qu’il avait subi des expérimentations médicales dans un camp de concentration. Ce troisième roman raconte son passage dans une équipe de résistants polonais, juste après son évasion. Un récit qui alterne encore une fois avec aujourd’hui. Eytan y retrouve le couple formé dans Le Projet Bleiberg : Jeremy et Jacky. Ils s’étaient fait une vie de famille tranquille dans le New Jersey mais leur lien avec le géant les met en danger. Eli, le gamin adopté autrefois par Morg, mais qui joue aujourd’hui le rôle d’un père, et Avi, le médecin déconneur, participent au combat. Tous deux font également partie des services secrets de l’état hébreux et apparaissaient dans Le Projet Shiro. Les 5 affrontent le Consortium et un commando composé d’humains « augmentés ».
La réponse à la question posée plus haut est oui. L’écriture a encore fait un pas. On a même l’impression que l’auteur s’amuse des reproches qu’on pouvait lui faire auparavant. L’ancien trader est dépeint comme naïf quand Eytan Morg paraît un peu plus dur. La grande réussite étant l’épaisseur donné au personnage principal par toutes ces pages consacrées à son apprentissage de la guerre. Tout ne nous convainc pas encore complètement dans la psychologie des protagonistes mais l’humour permet des pirouettes bienvenues.
La facette blockbuster semble assumée. Nous faisons partie des clients de ce genre de choses. Nous suivrons donc avec grand intérêt David S Khara dans ces prochaines productions.

Le projet Bleiberg
Editions Critic 19.30 €
10/18 7.50 €

Le projet Shiro
Editions Critic 19.30 €
10/18 7.50 €

Le projet Morgenstern
Editions Critic 20 €

2 commentaires sur “David S Khara : la trilogie des Projets

  1. oskanian gabriel

    J’aurais aimé dire tout ce qui a été écrit ci-dessus.Tout est vrai.Vous pouvez dire à l’auteur qu’il a atteint son objectif.
    J’ai hérité d’une vingtaine de bouquins parmi lesquels il y avait le projet BLEIBERG.Un régal.
    J’attend avec impatience de recevoir les deux autres que j’ai tout de suite commandés.
    Merci à l’auteur et à bientot
    G.Oskanian.

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