Collectif l’Elabo et municipalité: entre pas de deux et marché de dupes

La soirée, déjà bien avancée, voit quelques voitures s’engouffrer sous le pont de la voie ferrée, plaine de Baud. Un robot géant totalement incongru, assemblage de matériaux de récupération, garde l’entrée des locaux de L’Elaboratoire. Ici, une communauté d’une soixantaine de personnes vit, travaille et tente de construire un nouveau modèle de société, basé sur le partage et l’autonomie. Le mardi, c’est le jour de la réunion hebdomadaire ouverte aux personnes extérieures au collectif.

Elle a lieu dans un bâtiment situé quelques centaines de mètres plus loin, au détour d’un kaléidoscope de graffitis étalé sur de vieux murs. Des roulottes estropiées, organisées en arc de cercle, font face à la majestueuse « Villa mon bproummpfv » qui, tel un paquebot resté à quai, impose sa stature aux alentours.

Un jeune homme aux sourcils broussailleux, un piercing sur le haut du nez, préside la réunion. Attentif et souriant, il note point par point les propositions de personnes venues amener des idées de spectacles et de collaborations à l’Elaboratoire, jusqu’en octobre 2011. Le projet de l’Elabo semble s’inscrire dans la durée et sur les terrains de la plaine de Baud.


Une occupation provisoire à l’origine

Pourtant, les locaux ne leur appartiennent pas et l’occupation des lieux ne devait être, à l’origine, que provisoire. En 2008, suite à l’incendie survenu à la Villa (premier lieu de vie expérimentale) la ville de Rennes met à disposition le site du 48 bd Villebois-Mareuil, sans convention écrite. D’autres membres décident de squatter un terrain situé impasse de la Soie, au 17 bis avenue Chardonnet, en face de la Villa. Ils y installent camions et caravanes.

L’ensemble des lieux occupés, à peu près quatre hectares, appartient à la ville, qui loue au collectif la Villa Monbroumpf, contre 150€ par mois. L’association reçoit la même somme comme subvention. Outre cet arrangement officiel, la tolérance de la municipalité quant à l’occupation illégale des autres lieux tient à l’aspect provisoire de la situation.

Aujourd’hui Rennes Métropole doit faire face à de nouveaux enjeux urbains, liés à la crise du logement et à l’extension de la ville. En 2004, elle crée un projet de ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) visant à construire plus de 2000 logements et bureaux sur le site de la plaine de Baud. A mesure que la date des travaux approche, la question du départ de L’Elabo devient toujours plus urgente à traiter. Début mars, camions et engins devraient envahir l’avenue Chardonnet afin de construire un pont. Pourtant, les élaborantins ne veulent pas plier bagages.


« On a besoin de leur approche idéaliste »

C’est que la Municipalité de Rennes a conscience de l’importance d’entretenir des lieux culturels alternatifs tels que l’Elabo. Sébastien Séméril, adjoint au maire, souligne l’intérêt de la ville pour la démarche du collectif de l’Elaboratoire : « on a besoin de leur approche idéaliste, même si, nous, on essaie d’être pragmatiques. Ils apportent de l’ecclectisme, une culture alternative, ils participent du pluralisme de la ville en interrogeant le fait urbain ».

Les membres de l’Elabo en ont conscience. Ainsi, déclare l’ancien élaborantin Stéphane: « L’Elabo a toujours été défendu par les services culturels de la Mairie, qui faisaient parfois contre balanciers vis-à-vis des services juridique, sanitaire et social. Lors du mandat de Hervé, Sylvie Robert voulait dresser quelque peu les responsables de l’Elabo, tout en soutenant le lieu et ses activités. »

La municipalité conçoit sa relation avec l’Elabo comme une « logique d’accompagnement », affirme Sébastien Séméril. A la fois lieu de vie, de création et de diffusion, l’association a besoin d’une grande superficie pour fonctionner. Faute de trouver un site adapté dans la ville, Rennes Métropole, en charge de la question du relogement, propose une alternative : un champ de pommes de terre à Pont-Péan. Jean-Luc Gaudin, maire de la petite commune a répondu de manière favorable.

Seulement, cette solution ne semble pas satisfaire l’ensemble des élaborantins qui fustigent la non-viablité du terrain. La réaction de Ben, lors de la réunion du mardi, en témoigne : »Ils veulent nous reloger à Pont-Péan, sur un champ de patates. Sans eau courante, ni électricité. C’est une blague ! On est bien ici. A l’Elabo, je suis chez moi. »


La promesse de Rennes Métropole

Ce discours est contesté par les responsables municipaux. Ils affirment que si le terrain n’est toujours pas habitable aujourd’hui, cela tient au fait que la Métropole ne souhaite pas engager de travaux de mise aux normes tant que le collectif n’aura pas donné son feu vert au déménagement. Rennes Métropole se serait ainsi « engagée à viabiliser le terrain et à aider les membres du collectif pour la construction d’ateliers et de bâtiments utilitaires » d’après les dires de Sébastien Séméril. A ses yeux, tout pourrait rapidement évoluer si les membres du collectif acceptaitent de négocier plus activement avec les pouvoirs publics. « C’est ça le drame, je ne suis pas sûr qu’un jour ils se décident », conclue-t-il.

Comment expliquer, dès lors, une telle stagnation du dossier ? Stéphane Guiral, ancien élaborantin, apporte un premier élément de réponse au refus du collectif de prendre le chemin de Pont-Péan. D’après lui, un Elaboratoire en dehors de Rennes « ce n’est plus l’Elabo. Les membres du collectif, même si beaucoup sont nouveaux ou de passage, se sont attachés à ce terrain, à cette inscription dans la ville ».


Un déménagement signifierait donc une rupture brutale et inédite dans l’histoire du groupement, un départ vers l’inconnu. Il avance également le fait que le mode de prise de décision horizontal qui prévaut au sein du collectif est un frein à une prise de décision rapide.

Enfin, si le dossier de réalisation de la ZAC a bien été adopté par la Métropôle en 2009, la fin des travaux devrait avoir lieu aux alentours de 2022. Cela explique la revendication persistante des membres de l’Elaboratoire à se voir octroyer un terrain plus adapté à leur demande. La temporalité du projet leur permet en effet de prendre le temps de négocier « jusqu’au bout » avec la Mairie, comme le dit Morgan.

Avant que celle-ci ne décide d’adopter une solution plus radicale, telle qu’une expulsion, beaucoup de tractations peuvent encore avoir lieu. Comme le souligne l’adjoint au maire, « ce n’est pas parce que la construction du pont commence qu’on va régler la question de l’Elabo tout de suite ! »

Avant de conclure, dans un sourire de dépit: « Décidément, les meilleures négociations sont celles qui se terminent un jour ».

texte et photos : Josselin Brémaud et Fanny Fontan
[ Article initialement paru sur Culture à Rennes le 11 Février 2011 reproduit avec leur aimable autorisation ]
[ Photos : Jacques Leroy, elles rentrent dans le cadre d’un travail du collectif de photographe Il Pleut Encore avec toutes nos excuses pour avoir omis de citer son travail ]

1 commentaire sur “Collectif l’Elabo et municipalité: entre pas de deux et marché de dupes

  1. FANFAN

    Je connais particulièrementl’Elabo pour y avoir visité les lieux et regardé ce jour là un spectacle. Expédier les membres dans un champ de patates me
    donne envie de crier « HONTE !!! honte à la mairie de Rennes  » de vouloir les laisser sans eau, sans électricité et sutout sans salle de spectacles. Je
    connais ces jeunes qui travaillent dans des animations diverses telles que théâtre, musique, danse etc.. et le jeune public rennois les applaudit, les
    adore et revient les voir dans une salle comble lors de leur prochain spectacle.
    Je voudrais que Rennes métropole porte un regard consciencieux sur le statut de l’Elabo, dans le respect et le devoir et également dans les aides, de
    leur soumettre un lieu de relogement digne de vivre et non de les balancer hors de la ville comme des déchets de la société.

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