Cinéma : Essential Killing & Pina

la danseuse et le taliban

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Un hélicoptère militaire survole un désert crayeux parcouru de crevasses labyrinthiques. Le paysage est d’une beauté à couper le souffle. Les commentaires laconiques du pilote nous accompagnent en voix off. On repère au sol un étrange trio que la caméra va alors suivre. Deux gars bavassent comme s’ils étaient dans un bar du Colorado un samedi soir, ils sont précédés par un GI mutique ouvrant le chemin en l’examinant scrupuleusement de son détecteur de mine. La situation est à la fois splendide visuellement, inquiétante et grotesque. La caméra bascule à nouveau et l’on suit un homme hirsute et enturbanné, fuyant les arrivants, le souffle court et la peur au ventre.
A partir de là, le film ne lâchera plus cet homme. Il sera capturé, transféré dans un de ces terrifiants centres d’interrogatoires secrets, torturé avec méthode, avant de réussir à s’échapper à la faveur d’un accident de la route. La course folle reprend alors, mais dans une forêt primale et enneigée.

Jerzy Skolimowski, le réalisateur d’Essential Killing est un bonhomme au parcours singulier dont l’œuvre reste assez méconnue. D’origine polonaise, il a démarré sa carrière cinématographique aux côtés de Roman Polanski. Il est ainsi le scénariste de son premier film : le couteau dans l’eau. Dans les années 60, il participera au renouveau du cinéma européen dans le sillage de la nouvelle vague. S’en suit une période anglaise semble-t-il toute aussi intéressante, avant qu’à la fin des années 80, le gars ne fasse tout simplement une pause de 17 ans. Il en profitera pour se consacrer à la peinture mais fera aussi l’acteur pour Cronenberg (Les promesses de l’ombre) ou Tim Burton (Mars Attacks!). Il a depuis fait son retour en 2008 avec le très sombre Quatre nuits avec Anna.

C’est donc un film de chasse à l’homme. C’est aussi un film de frustration, se jouant des codes et des attentes du spectateur. Toute empathie nous sera refusée, avec la proie comme avec ses poursuivants. L’aspect psychologique est également mis de côté. Le personnage principal, interprété avec une présence physique remarquable par Vincent Gallo, ne dira pas un mot du film. Quelques flashbacks nous font croire un moment, à un semblant d’explication sur les origines et les motivations de notre homme, mais eux aussi finissent par brouiller les pistes.
Que nous reste-t-il alors ? L’essentiel : du cinéma.

essential killing 1Par la puissance de sa mise en scène et son utilisation époustouflante des décors naturels, le film nous fait ressentir physiquement les péripéties de son non-héros. En multipliant les morceaux de bravoure, les fausses pistes, les chausses-trappes, Skolimowski trouble et fascine. Le ton oscille sans cesse entre sauvagerie, violence, mais aussi burlesque dramatique de situations surréalistes et pourtant complétement naturelles dans le récit. Le pari insensé de faire tenir ça sur 1h20, en maintenant une tension palpable, est largement tenu. De bout en bout, on reste béat devant la puissance de ce que l’on voit. On en ressort frustré, secoué mais rassuré sur la force et le potentiel de l’art cinématographique.

Essential Killing est à l’affiche du TNB jusqu’au 19 avril.


pina afficheWim Wenders a rencontré l’immense chorégraphe allemande Pina Bausch à Venise en 1985. En plus de liens d’amitié entre les deux artistes est née l’envie de faire une œuvre commune. Wenders ne trouvant pas comment rendre justice sur écran aux chorégraphies de la dame, le projet mettra 25 ans à se réaliser. Il aura fallu le déclic du retour de la technologie 3D pour que le film se mette enfin en route. Le destin étant un fils de rien, Pina Bausch décède brusquement deux jours avant le début du tournage. Poussé par les danseurs, Wenders continue et termine malgré tout le projet.

Le film avec Pina devient un film pour Pina.

pina_1Car ce documentaire ne vous apprendra pas grand chose de la vie de la danseuse. C’est d’abord un exercice d’admiration. Un hommage, qui passe peu par les mots, mais surtout par la danse. On y verra donc des extraits de quatre chorégraphies de l’artiste : Café Müller, le sacre du printemps, Vollmond et enfin le Kontakthof récemment joué à Rennes. La caméra montée sur grue de Wenders s’immisce au cœur des danseurs s’emparant d’instants sublimes démontrant la puissance et la précision de la construction de l’ensemble.
Le tout est ponctué de courtes interventions des danseurs. Ils témoignent en quelques phrases, toujours touchantes, souvent mystérieuses, parfois maladroites, de leur amour immense pour l’artiste. Là encore, le plus bel hommage n’est pas là, mais dans une série de soli, sublimement mis en espace par Wenders dans différents lieux de Wuppertal. Ils danseront donc dans la rue, au bord de la falaise ou de la route, dans un monorail ou sur un terril…
Enfin, il y a deux courts moments où l’on voit, dans des documents d’archives, Pina danser. Quand cette femme dansait, ce n’était plus de la danse. C’était autre chose. Deux moments de grâce et de beauté aussi douloureux que sublimes qui restent gravés dans la tête longtemps après la projection.

Un film dédicace donc, qui ravira les connaisseurs mais que nous conseillons surtout à ceux qui ne connaissent rien de Pina Bausch. Vous n’apprendrez pas grand chose de sa biographie mais vous vous prendrez en pleine face la force incroyable d’une œuvre bouleversante et essentielle.

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Arvor oblige, nous n’avons assisté qu’à une projection en 2D du film mais nous n’avons qu’une envie, c’est de courir voir la version en relief dont la mise en espace semble apporter encore, à une œuvre déjà somptueuse en l’état.

Pour ceux que le film aura émus, on ne peut que vivement conseiller d’aller en complément voir le remarquable Les rêves dansants d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann. Ce documentaire retrace avec force et sensibilité, le montage de la version de Kontakthof avec une troupe d’adolescents tous novices en danse.

Pina est à l’affiche de l’Arvor (en 2D) et du Gaumont en 3D.

Les rêves dansants est repris au TNB du 6 au 19 avril.

1 commentaire sur “Cinéma : Essential Killing & Pina

  1. Isa

    Je cours au cinéma !!

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