Calibre 35 : Polar à Rennes.

Le collectif rennais a sorti un recueil de nouvelles au début du mois de mai. Une occasion d’échanger avec Fred Paulin, un des membres.

Tu peux nous présenter Calibre 35 ?

Fred Paulin : Calibre 35 est un collectif d’auteurs de roman noir (au sens large : polar, roman policier, thriller, etc.) qui vivent dans la région rennaise. Il faut avoir commis un roman à compte d’éditeur et vivre dans le bassin rennais pour appartenir au gang. L’idée, c’est d’intervenir dans les médiathèques, bibliothèques, établissements scolaires mais aussi les librairies, ou autres afin de transmettre notre goût de la lecture (et de l’écriture) et de mettre en lumière une scène polardeuse rennaise – comme il y a eu (ou il y a encore?) une scène rock rennaise.
Nous sommes actuellement onze dans Calibre 35: Frédéric Paulin, Léonard Taokao, Hervé Commère, Stéphane Grangier, Erik Wietzel, David S. Khara, Valérie Lys, Yves Tanguy, Frank Darcel, Claude Bathany et la dernière à avoir intégré le collectif, Isabelle Amonou.

Ça a commencé quand et comment cette histoire ?

Comme dans toute les histoires, il y a différentes versions. Mais bon, en gros, ça commence comme ça : en 2010, David Khara, Yves Tanguy et moi avons été réunis par le Mensuel de Rennes lors d’une table ronde qui a donné lieu à un long article dans ce magazine. C’était notre première rencontre. Quelques mois après, j’ai rencontré Hervé Commère qui lui connaissait Claude Bathany. Un peu plus tard, au salon du polar de Pléneuf-Val André, Léonard Taokao, Frank Darcel et moi, on se dit que peut-être un recueil de nouvelles serait envisageable. Rentrée 2011, on se retrouve tous dans un bar et l’aventure Calibre 35 prend forme. D’autres romanciers nous rejoignent, Wietzel, Grangier, Lys et Amonou. Et puis, surtout, les éditions Critic nous prennent au sérieux et décident d’éditer un recueil de nouvelles. Rennes, ici Rennes est sorti au début du mois de mai 2013.

Calibre-35

Ça permet quoi le collectif ? Comment vous fonctionnez ?

Le collectif, c’est une manière de peser un peu plus en tant qu’auteur. Le truc, pour être un peu caricatural, c’est que l’union fait la force.
D’abord, les plus « gros » d’entre nous permettent une visibilité à ceux qui sont chez des plus petits éditeurs. Le recueil de nouvelles permets à certains calibreux qui ne sont distribués que localement, d’avoir une visibilité nationale. David Khara ou Hervé Commère qui sont chez Fleuve Noir peuvent ainsi attirer les regards sur Calibre 35.
Mais, le collectif permet aussi à ceux de nos membres qui ne sont pas forcément très bien traités par leur éditeur de savoir ce qui se fait et ce qui ne se fait pas dans le milieu de l’édition.
Enfin, certains des membres de Calibre 35 ont des contacts avec de nouveaux éditeurs qui s’intéressent à eux.
Et puis, aussi, je dois dire que j’ai découvert des personnalités intéressantes chez mes camarades d’écriture. Je peux dire que certains (la plupart) sont devenus des amis. A mon âge, ce n’est pas rien de se faire des potes!!!

Ouais, on imagine les rassemblements !
Pourquoi le polar ? Tu peux nous expliquer pourquoi tu t’y retrouves ? Tu sais pour les autres ?

Le polar, pour moi, c’est une façon de traiter de la société, passée ou présente. Sans doute aussi que dans ce genre littéraire, les héros ne sont jamais très nets. Parfois, ils sont même moins fréquentables que les « mauvais ». Les frontières entre le bien et le mal s’effacent, c’est ce que j’aime dans le polar. Et puis, polar, polar… qu’est-ce que le polar? Il faudrait définir le terme exactement. Nous, on n’y est jamais arrivé! D’ailleurs, franchement, tout n’est pas bon à prendre dans le polar. C’est un genre très à la mode et un peu fourre-tout en ce moment.
Mais je crois que parmi les membres de Calibre 35, nous avons tous des motivations différentes pour écrire. Certains d’entre nous refusent même que leurs écrits revêtent un côté engagement politique. D’autres, ne peuvent se départir de cet engagement politique! Il faudrait leur demander à tous…

On va faire ça.
Parlons un peu plus du recueil. Ca s’appelle : « Rennes, ici Rennes ». Comment ça s’est passé avec les éditions Critic ? Est-ce qu’on retrouve tous les auteurs de Calibre 35 ?

Rennes, ici Rennes comporte les nouvelles des membres de Calibre 35. Ou plus exactement de dix de ses membres. Isabelle Amonou a intégré le collectif trop tard pour participer à l’ouvrage. Ce n’est que partie remise car l’objectif, c’est de faire paraître d’autres recueils ces prochaines années.
Les éditions Critic ont immédiatement répondu de manière positive à l’idée d’un recueil de nouvelles. Et ça a été un vrai boulot d’édition : le directeur de collection, Simon Pinel, ne nous a pas fait de cadeaux en matière de corrections ou d’incohérences du fond ou de la forme. Certains d’entre nous n’avaient jamais été dirigé de manière aussi pro. Je crois que le résultat est vraiment à la hauteur.
Désormais, Calibre 35 va écumer les salons et les librairies pour promouvoir le livre.

couv_rennesicirennesLe titre, c’est juste pour les auteurs ou les histoires se passent dans le coin ?
Rennes c’est un bon sujet pour du polar ?

Le titre, c’est pour marquer notre appartenance à la scène rennaise du polar. C’est aussi la contrainte appliquée à toutes les nouvelles: l’histoire doit commencer par l’arrivée du héros (ou de l’héroïne) en gare de rennes au moment où l’on entend « Rennes, ici Rennes ». Après, la liberté de l’auteur est totale. Le recueil de nouvelles traite de Rennes donc, mais on s’aperçoit qu’on maltraite la ville aussi. Voilà encore l’utilité du polar : ne pas caresser dans le sens du poil…

Et cette ville, ce 35, t’en penses quoi comme auteur ? On y trouve des éditeurs, des librairies, des festivals sur les livres et autres salons.
Ça te paraît être un endroit favorable pour écrire, pour lire, fabriquer et découvrir des livres ?

Rennes vaut bien une autre ville. Mais c’est vrai qu’il y a peut-être une dynamique qui se dessine. D’abord avec Calibre 35. Enfin, on l’espère… Mais aussi avec la Rennaise d’édition (réunion de plusieurs maisons d’édition indépendantes rennaises: Les éditions Goater, Les Perséides, les Editions de la Rue nantaise, etc.). Le succès de librairie d’un David S. Khara peut aussi attirer les regards sur Rennes. Le salon Rue des Livres, qui semble être en mutation pour sa prochaine édition, disposait jusqu’alors d’une équipe super motivée. On verra ce que réserve l’avenir au festival rennais du livre!
Mais fondamentalement, je ne suis pas certain qu’il soit plus facile d’écrire à Rennes que dans une autre ville. C’est un mouvement général et qui touche la France entière : la culture et particulièrement le livre ne sont pas des objets très bien défendus par les élus et les pouvoirs publics. Beaucoup de belles paroles mais lorsqu’il faut trouver des financements, des aides, tu as intérêts d’avoir des relations…

Dernière question : A titre personnel, c’est quoi ton actu des prochains mois ?

En septembre prochain, je vais sortir un roman noir aux éditions Goater, un truc qui parle de la Guerre d’Algérie et de ses conséquences sur ceux qui l’ont vécue, des deux côtés. Les éditions Goater est une petite maison d’édition rennaise mais qui est en plein développement. Je pense qu’on va faire du bon boulot ensemble, les relations auteur/éditeur sont excellemment bien parties… ce qui est loin d’être toujours le cas dans le monde cruel de l’édition!
Le 2 mai, sortie de Rennes, ici Rennes (aux éditions Critic).
Et puis, je suis en discussion avec quelques grosses maisons d’édition pour un manuscrit un peu costaud, un polar très noir sur le trafic d’armes. C’est long et frustrant. Comme le boulot d’écrivain, bien souvent…


OK. Merci Fred.

La critique:

« Rennes, ici Rennes. Assurez-vous de n’avoir rien oublié dans le train. Correspondance pour … » Tous les gens qui se sont retrouvés dans une gare connaissent la voix qui a enregistré ça. Si on en fait partie, on l’entend au début de chacune des nouvelles.
Comme l’explique Fred, la contrainte c’est que le personnage arrive à Roazhon. La plupart viennent de la métropole parisienne. L’un deux pourtant arrive de Brest, pour rejoindre en principe la capitale. Peu de choix. Personne n’arrive de Combourg …
Comment peut-on écrire dans ce format court à l’époque du triomphe du Trône de Fer, et des séries télé en général ? Comment caractériser des personnages en moins de trois saisons ? Comment raconter une histoire sans avoir 800 pages ? Il faut avoir compris quelque chose au rythme spécifique de la nouvelle.
A ce petit jeu, certains s’en sortent mieux que d’autres. Sans remettre en cause ses qualités (bientôt sur Alter, une critique de sa trilogie), David S Khara nous déçoit un peu. Son histoire de vengeance fait dans la carte postale : les Horizons, le Stade Rennais, Niagara … les références ne sont pas très pointues. Mais après tout, le bouquin n’est pas fait pour s’adresser qu’aux gens du coin. On espère un succès le plus large possible.
Avec le niveau des récits de Tanguy, Commère, Taokao et Bathany, déjà, le recueil le mérite largement. Entre la docteure rousse qui soigne un flic en fin de vie, l’ex-taulard qui se fait embaucher pour faire déguerpir un voisin cinglé (à Rennes, il y a des prisons, lui n’en vient pas), le tour de Rennes de Mr Pas-de-Bol au pays des punks à chiens et l’auteur qui vit sa nouvelle pour la raconter, le lecteur (re)découvre 4 noms à qui il donnera plus de temps que ces apéritifs. Au passage, mettre Bathany et sa mise en abime en dernier est sacrément bien vu.
Une (toute petite) marche en dessous, on placera Darcel, Wietzel et notre Paulin préféré. L’ex-Marquis de Sade raconte un trader qui cherche à sauver sa peau en retrouvant sa famille, dont sa soeur, autrefois victime d’une méningite foudroyante. Ce n’est pas elle qui lui ouvre la porte de chez eux. Erik Wietzel fait dans la paranoïa. Le délire n’est jamais aussi bon que quand il contient du vrai. Enfin Fred se lance dans une chasse au vieux dans le plus jeune quartier de la ville : La Courouze. Son coco quadra a encore du jus mais pas sûr que ça suffise pour éviter la mort. On remarquera que s’il y a pas mal de nostalgie dans ces 10 histoires, ça doit avoir un rapport avec l’âge des artères des auteurs.
Stéphane Grangier a pondu un texte pas mal mais un poil brouillon. Il faut dire que ce qu’il raconte n’est pas simple : le personnage à la dérive qui se fait embaucher comme tueur à gages en recevant son courrier est néanmoins une très bonne idée.
Finalement, la seule nouvelle qui ne marche pas, pour nous, est celle de Valérie Lys. Dommage, ça tombe sur la seule fille. Là aussi, l’histoire du jardinier psychotique, le fait de placer le récit en dehors de Rennes, sont intéressants. C’est l’écriture qui nous chagrine. Désolé.
Pour finir avec les réserves, et puisque le coin ne nous est pas inconnu, on aurait bien vu plus de place pour les quartiers. Dans le Blosne, par exemple, y a de la matière. Sinon tout le monde sort de la gare côté nord, de l’autre côté on tombe sur la prison des femmes.
On prend rendez-vous pour le prochain recueil. Celui-ci est excellent. Merci aux 10 auteurs, merci aux Editions Critic.

Rennes, Ici Rennes
Editions Critic
259 p, 17 €

1 commentaire sur “Calibre 35 : Polar à Rennes.

  1. dupouy-lahitte

    à quand la suite de point zero de tracqui

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