Blues sauvage pour le retour de l’Ubu en Bleu

Photos : Guillaume

Black Joe Lewis

C’est avec un grand plaisir qu’on avait découvert le retour de l‘Ubu en Bleu dans la programmation de rentrée. Le blues est un style musical qui n’est que peu programmé par les salles de musiques actuelles. Or, quand il sait s’enrichir de diverses influences musicales, le blues au sens large peut se montrer novateur à plus d’un titre. Et à voir l’Ubu plein comme un oeuf mardi soir, on se dit qu’il y a de la place pour des programmations blues à Rennes.

Dans le genre novateur, on attendait beaucoup de Black Joe Lewis and The Honeybears. Un premier album salué par la critique, un blues poisseux à souhait, une voix rauque et sèche, des influences subtiles (du funk à la soul en passant par le punk-rock) : bref, tous les ingrédients pour un set fiévreux. Dès les premières notes, on se dit que ça part sur de bons rails : rien de moins qu’une reprise d’une pépite soul de James Brown, I Don’t Mind. Le groupe donne le ton en attaquant le morceau crânement : on est ravi de découvrir la présence de la section de cuivres, qui sonne très étoffée alors qu’ils ne sont que trois. Le tempo accélère crescendo (Stop Breaking, le tube Livin’ In The Jungle) jusqu’au volcanique Boogie.

Le problème, c’est que la lave s’est refroidie au contact de la scène… Les deux albums bénéficient d’une excellente production, c’est évident, mais l’énergie redoutable qui se dégage de ces morceaux se révèle plus brouillonne sur scène. Dans ce cas, difficile d’embarquer complètement les spectateurs, et le groupe s’en rend compte rapidement (on prend au passage une petite boutade amère du chanteur qui nous demande si on est dans une bibliothèque !).

On a alors le droit à quelques poncifs du genre (je sais jouer de la guitare avec mes dents, je sais jouer avec ma guitare derrière la tête…), et un jeu de scène des plus étranges (entre le bassiste qui se penche à plusieurs reprises en direction du bar, et le duo guitare-basse qui s’allonge sur scène sans conviction). De multiples artifices qui masquent probablement une gêne et une frustration de ne pas avoir réussi à embarquer complètement le public. Résultat : les musiciens nous donnent progressivement l’impression de jouer entre eux, sans vraiment nous convier.

Black Joe Lewis

Et c’est vraiment regrettable, car il y avait largement la place pour réussir un bon concert : le set est parfaitement construit (alternance entre passages soul intense et énergie rock), et certaines compos sont vraiment réussies, notamment lorsque le combo joue sur des morceaux au tempo plus lent (le magnifique I’m Gonna Leave You par exemple). Mais dès que le ryhtme s’accélère, le tout devient beaucoup plus brouillon. Il faut dire que la rythmique n’est pas forcément des plus groovy, avec un bassiste au jeu beaucoup trop limité pour certains titres soul.

La déception est inversement proportionnelle à l’attente qu’on avait à l’écoute des titres de Black Joe Lewis and The Honeybears. Il reste qu’on a assisté à une prestation très honnête, avec une formidable section de cuivres. Et Black Joe Lewis, avec son jeu de guitare peu conventionnel mais très efficace, nous a délivré de jolis moments soul avec sa voix rugueuse.

Site de Black Joe Lewis & The Honeybears

Peter Greenberg

Alors paradoxalement, on attendait moins Barrence Whitfield and The Savages, qui avaient enflammé les Transmusicales en 1989. Certes le groupe retrouvait son line-up d’origine (1983-1986), mais les multiples reformations de ces dernières années ont refroidi plus d’un spectateur. Or, à la différence des pseudos reformations aux tournées tiroir-caisse, la reformation du groupe est née de deux concerts donnés l’année dernière. Le plaisir de se retrouver ensemble a donné naissance à un nouvel album, Savage Kings, combiné avec la réédition de leur premier album éponyme (pour la première fois en cd !). Et c’est tout naturellement qu’ils proposent leur nouveau projet lors d’une tournée qui passait par l’Ubu.

Naturellement, parce que l’arrivée du quintet se fait de manière toute simple, avec au centre Barrence Whitfield. Dès les premières notes de guitare, on est plongé dans un rock’n’roll tendance rockabilly qui a fait le succès du groupe au début des années 80. Rambling Rose, Bip Bop Bip, les titres s’enchainent, et la voix de Barrence, tantôt rock’n’roll, tantôt rythm’and blues, est parfois ponctuée de hurlements complètement raccords avec la musique. Le tempo se ralentit ensuite pour laisser place à des purs moments soul, sur lesquels la voix chaude de Barrence fait des ravages.

En quelques morceaux, le groupe embarque la salle de l’Ubu avec une simplicité déconcertante. Plusieurs raisons à cela : il y a tout d’abord l’impressionnante palette musicale des garçons. Du blues énergique (Big Mamou), du rock’n’roll pur jus (Rambling Rose), des incursions surf (Geronimo’s rock), de la soul (She’s a Bad Girl), du jazz (Go Ahead and Burn), du rockabilly (Ship Sailed At Six), et du rythm’n’blues (You Told a Lie), tout a été digéré par ces musiciens d’expérience, et ça s’entend.

Il y a aussi un talent indéniable du côté des musiciens : la basse groove méchamment, la guitare donne le ton rythmique mais sait être tranchante parfois, et le sax appuie l’ensemble (Bloody Mary). En plus d’être d’excellents musiciens, ils jouent la sobriété, ce qui donne encore plus de valeur à la performance musicale. Et c’est ce qui nous a manqué avec Black Joe Lewis, ce petit contact simple et chaleureux avec le public. Barrence et son groupe y parviennent, eux, avec une grande maîtrise. Quand, à la fin du concert, Tommy Quartulli descend de scène et tend le micro à une spectatrice pour qu’elle sonorise son sax, ça nous semble naturel et ça « sonne vrai ».

Barrence Whitfield

La reformation du trio d’origine (Peter Greenberg à la guitare, Phil Lenker à la basse et Barrence à la voix), 25 ans après s’être séparés, semble être un plaisir pour eux. Et pour nous aussi ! Et puis cette voix, quelle voix… Wilson Pickett n’est pas très loin, et pas seulement vocalement parlant. La présence scénique du bonhomme est impressionnante de justesse, avec une exubérance contrôlée et un vrai jeu avec les spectateurs. Avec beaucoup d’humour (petite imitation de Howlin’ Wolf sur la présentation de Mop Mop), Barrence Whitfield se prête au jeu d’une spectatrice qui veut le voir torse nu : on sent le pro habitué à la scène, qui fait semblant de ne pas vouloir le faire, pour progressivement faire monter le truc.

Un concert qui finit par un gros rappel de plusieurs titres, dont quelques-uns du premier album réédité. Et un pari réussi pour cette reformation qu’on souhaite plus longue qu’à l’origine.

Site de Barrence Whitfield & The Savages

Merci à l’Ubu d’avoir remis dans la programmation ces soirées blues, et gageons qu’elles seront à nouveau proposées au public rennais venu nombreux !

Site de l’Ubu

Retour en photos sur cette soirée du mardi 11 octobre, avec en bonus les photos de l’Ubu en Bleu du mercredi 12, avec Bernard Allison ! :

Photos : Guilaume & Marco


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