BD en septembre : chuuûuut…

Le tumulte de la rentrée littéraire vous file des migraines. Vous êtes assourdis par l’absurde et interminable liste des sorties BD de septembre. Nous nous offrons un peu de calme et de sérénité avec trois sélections hors temps, et toutes avares en mots mais pas en émotions.

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On démarre notre petit tour mensuel par deux ouvrages totalement dépourvus du moindre texte.

fenetressurrueQue ce soit comme cinéaste ou en BD, on aime bien le travail de Pascal Rabaté. Nous sommes donc ravis que le monsieur se lance dans une aventure peu banale. Fenêtres sur rue : matinées – soirées est un étrange objet éditorial. Conçu comme un livre accordéon ou Leporello (du nom du valet de Don Juan déroulant la conséquente liste des conquêtes de son maître), on y découvre en 10 tableaux muets, la vie, diurne d’un côté, et nocturne de l’autre, d’une rue ordinaire. Placé dans la position d’un voyeur hitchcockien, on suit sur le tarmac ou au travers des fenêtres, les tribulations quotidiennes d’une poignée de personnages avec en centre de mire l’inévitable bar le Pénalty. On y assistera à d’ordinaires péripéties, des duperies, des situations cocasses, des histoires d’amours… et à un meurtre. On y croisera les silhouettes tutélaires et inimitables du grand Alfred, bien sûr, et de Tati. Les plus cinéphiles s’amuseront à reconstituer le programme d’un ciné-club à domicile. Les autres s’amuseront à scruter les multiples détails parsemant ces tableaux.

Principe original, dessins à l’acrylique fluides et très vifs malgré le décor unique, pourtant l’ouvrage ne convainc pas complément. D’abord, la finition de l’objet manque un peu de finesse avec ses gros rebords collés et surtout l’ensemble peine un peu à décoller de ces archétypes de départ (l’artiste à béret, les cocufiages en série, l’assassin au dos courbé…). Bref, on aurait aimé que tout ça soit un peu plus fin. L’album parfait pour être feuilleté à la bibliothèque municipale histoire d’en explorer tranquillement les pages, bien calé dans un fauteuil.

Chez Soleil : Noctambule, août 2013, format 20 x 28 cm, 56 pages, 19 €

fetichePlus globalement réussi, Fétiche de Noémie Marsily propose une superbe narration muette pour un récit d’une étrangeté totalement réjouissante. Dans un étonnant graphisme coloré, vif et virevoltant, on y suit avec fascination les tribulations d’une tête de chevreuil empaillée. Depuis son impressionnante création par un inquiétant jeune taxidermiste amateur, en passant par la douleur d’une mère éplorée, l’épiphanie d’un prêtre ou la libido débridée d’un couple, le trophée subira mille transformations aussi imprévisibles que savoureuses. La jeune dessinatrice belge, travaillant plus habituellement dans l’animation ou la littérature enfantine, fait preuve d’une maîtrise remarquable pour un récit au ton unique. Entre le surréalisme cruel d’un Buñuel et le goût de la monstruosité d’un Burton, elle porte un regard acide sur les multiples projections que l’on peut porter sur cet absurde objet. Comble de l’ironie, elle inclut malicieusement des passages où c’est au travers du regard de l’animal empaillé (?) que l’on regardera notre drôle d’humanité.
Un petit ouvrage qui cache bien son jeu derrière sa petite couverture carrée et zébrée de bleu, mais qui proposera une expérience riche et troublante à tous les lecteurs un peu aventureux.

Chez Les Requins Marteaux, mars 2013, format 22 x 22 cm, 144 pages, 20 €

lavanceedestravauxGuère plus bavards, les petits fascicules fignolés par le rennais Sébastien Lumineau n’en sont pas moins savoureux. Depuis le mois de mai 2013, l’auteur ayant déjà amplement participé à la belle aventure des fanzines rennais de la fin des années 90, notamment dans le journal de Judith et Marinette, retrouve les délices de l’auto-édition avec L’avancée des travaux. Publiés sur un rythme mensuel, ces splendides petits livrets, bien sûr imprimés chez Identic à Cesson-Sévigné, regroupent avec une liberté rafraîchissante des récits extrêmement variés. Au fil des envies et de l’inspiration de l’auteur, on y trouve l’évocation d’une mémé Bernadette, des scénettes ironiques ou absurdes, une scène de ménage antique virant à la lapidation felinienne… tout ça allant de la simple page à un numéro complet. Ce qui frappe et qui continue de nous fasciner dans le travail de Lumineau, c’est sa capacité à garder une tension sous-jacente quoi qu’il se passe dans ses pages. Qu’on y bouge une chaise ou qu’on y trébuche sans fin dans une sombre forêt, le monsieur parvient à nous garder captif jusqu’à l’ultime dessin. On y retrouve aussi avec bonheur sa capacité à varier les techniques graphiques avec une virtuosité qui laisse pantois.
La petite surprise du chef, c’est que chaque numéro est livré non massicoté. Les pages sont donc encore jointes et il vous faudra soit avoir accès à une de ces redoutables machines à découper les piles de feuilles, soit être habile avec un cutter et une règle. En récompense de votre travail, vous aurez le plaisir de scruter les chutes de papier pour y découvrir en savoureux bonus les petits trésors se cachant dans les pliures.
Pas vraiment fanzine, les objets ont été pensés comme des aperçus de récits en cours, destinés à être publiés par la suite. Entre le cadeau confidentiel aux amis et le blog sur papier comme le définit l’auteur lui même. N’empêche que même s’ils n’existent qu’à cinquante exemplaires, on peut se procurer ces petites merveilles sur abonnement où, si vous êtes rennais, bien évidemment directement chez Alphagraph.

Chez Lui même, mensuellement depuis avril 2013, format 11 x 15 cm (non coupé), entre 20 et 36 pages, 2 €

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