BD en septembre

– Mr B, nous allons à présent nous retrouver chaque mois. Que nous proposez-vous pour septembre ?
– Je crois que je vais faire simple. Je vous propose donc de causer de mes trois dernières lectures, tout simplement.Il s’agit de « Page Noire », de Giroud/Lapière et Meyer chez Futuropolis, de « L’or et le sang » de Defrance/Nury et Bedouel/Merwan chez 12bis et enfin de l’inespéré « Cerebus » de Dave Sim, enfin traduit chez Vertige Graphic.

– Allons-y : qu’est-ce que c’est que ce Page Noire ?
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– C’est un thriller en un seul tome mais c’est surtout une des collaborations les plus excitantes de la rentrée.
A l’écriture, nous avons un duo de stars ayant fait les beaux jours de la collection Aire Libre chez Dupuis. D’abord Frank Giroud dont j’avais beaucoup aimé les diptyques « les oubliés d’Annam » et « Azrayen » mais aussi Denis Lapière, co-auteur avec Stassen du très bon « Le bar du vieux français ». Deux gars que j’aime bien donc, et qui s’offrent en plus aux crayons le rare Ralph Meyer dont la prestation sur l’excellent « Berceuse assassine » m’avait fortement impressionné.

C’est l’histoire d’une jeune journaliste qui part en quête d’un gros coup : obtenir la première interview d’un auteur aussi populaire que mystérieux. On suit son enquête en parallèle avec un second récit qui semble être le nouveau roman de l’écrivain.
J’ai été très impressionné par la maestria de la construction du truc. C’est très beau, haletant de bout en bout et terriblement efficace. Hélas, j’ai aussi trouvé que les personnages manquaient de finesse et que le tout s’avère un peu trop « gentil » à mon goût. Une demi déception quoi.

– Vous êtes exigeant. Alors « l’or et le sang » , est-il question d’un ministre chauve ?
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– Non hélas, pas plus que de tauromachie d’ailleurs. Il s’agit du récit, situé d’abord en France juste après la première guerre mondiale, de l’improbable amitié entre un aristocrate et un voyou corse. Le second tome vient de sortir et le tout fleure bon les récits d’aventures « à l’ancienne ». Personnages et dialogues hauts en couleur, rebondissements, péripéties, tous les ingrédients sont là. On ajoute à ça quelques références littéraires hautement sympathiques (Cendrars, Kessel, De Monfreid) et un joli dessin à l’encrage subtil et élégant et on a une bonne BD rafraichissante et plus maligne qu’il n’y paraît.

Pour pinailler, je dirais quand même que les couleurs sont un peu plates et que la seconde partie des deux tomes est un peu moins emballante que la première mais c’est vraiment juste pour faire mon grincheux.

– Puisque vous parlez de vos humeurs, Mr B, pourquoi cette impatience de l’arrivée de Cerebus dans nos contrées ?
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– Parce c’est une œuvre singulière et ambitieuse et aussi parce que sa densité en dialogues, et la propension de son auteur à jouer avec les accents ou les problèmes de diction, rend le truc particulièrement fatiguant à lire dans une langue qui n’est pas la sienne. Expliquons d’abord un peu l’engin. Cerebus est une saga de 6000 pages écrite, dessinée et auto-éditée par le canadien Dave Sim entre 1977 et 2004. Les 300 numéros narrent tout simplement la vie du personnage-titre : Cerebus. C’est un oryctérope (une sorte de petit bipède gris avec un groin), malhonnête, teigneux et acariâtre principalement motivé par l’appât du gain et de la boisson. La série démarre comme un pastiche de Conan le barbare puis bifurque vers la satire politique agrémentée de réjouissantes parodies des publications super-héroïques. Aux États-unis, l’ensemble est recueilli en 16 épais volumes en noir et blanc, délicatement surnommés « bottin téléphonique Cerebus » par les connaisseurs.
Histoire de simplifier la tâche, les éditeurs français ont choisi de commencer par publier le second tome. Si cela peut s’expliquer par un souci d’esquiver le côté « dessin qui se met en place » des premiers numéros, c’est tout de même un peu gênant parce que pas mal de personnages sont présentés dans le premier volume. Il y a un petit résumé au début mais c’est un peu succinct. Pour ma part, je ne peux pas trop dire si c’est vraiment handicapant puisque j’ai lu le premier tome en VO. En tout cas, j’ai pris beaucoup de plaisir à ces aventures bouffonesques et endiablées. Le passage où le héros fait campagne pour être élu premier ministre vaut à lui seul le détour. Et ça, malgré toute l’antipathie que je peux avoir pour l’auteur.
-Qu’est-ce que ce monsieur a de si déplaisant ?
– A la manière de son personnage principal, le gars est pour le moins ambigu.
D’un côté, c’est un artiste inventif, audacieux, graphiquement surdoué et qui a largement fait pour la promotion de l’autoédition et de la politique des auteurs dans des contrées où l’éditeur est roi. De l’autre, le gars finira par révéler, dans Cerebus même, des aspects moins plaisants, notamment dans un fameux numéro 186 où après des métaphores misogynes lourdingues sur les femmes qui sont des vides et les hommes qui sont les pleins, il termine carrément le comics par un pathétique pamphlet anti gay/féministe tout ce qu’il y a de plus premier degré, qui lui vaudra un paquet de réactions assassines et un déclin net de ses ventes sur la fin de ses publications. Histoire d’enfoncer le clou, les quelques interviews de lui que j’ai pu lire confirment toutes que nous avons affaire à un type qui n’a pas une petite opinion de lui-même, agressif et pitoyable dans sa façon de reprocher aux autres exactement sa façon de répondre aux attaques. Pas sympa donc, plus complexe que ça sûrement mais doué assurément.
– Je vois. Merci Mr B.

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