BD en août : résistances estivales

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L’art de voler écrit par Antonio Altarriba et mis en image par Kim est une biographie. Celle du père du scénariste. C’est aussi un portrait impitoyable et saisissant de l’Espagne du XXème siècle.

lartdevolerLe livre commence très fort puisqu’on y suit le père, grimpant furtivement les quatre étages de sa maison de retraite, afin d’atteindre la fenêtre par laquelle il va se jeter.
La chute durera 200 pages, découpées en quatre chapitres chronologiques. Le premier évoque une enfance campagnarde rude et étouffante. Le second traite largement de la terrible guerre civile où il rejoindra une colonne d’anarchistes, puis finira par fuir en France. Le troisième raconte ensuite les douloureux renoncements de son retour dans l’Espagne franquiste. Enfin, l’ultime partie nous achève avec la violence banale et atroce d’une maison de retraite.
Vous l’aurez compris, c’est un récit que ne laisse pas indemne. Altarriba ne nous épargne rien des coups répétés, des espoirs déçus, des petites et des grandes trahisons qui finiront par mener son père sur le rebord d’une fenêtre. Malgré cela, c’est un récit qui par sa complexité et sa richesse narrative respire d’humanité et de tendresse pour cet homme que la vie n’aura guère épargné.
C’est aussi un livre qui aura eu une gestation lente et douloureuse autant pour l’écriture que pour les dessins. Au final, cela donne un travail remarquable de richesse, de rigueur et d’invention, que l’on dévore d’une traite, un peu sonné mais totalement captivé.
Les dessins denses et minutieux de Kim pourront en rebuter certains mais pour ma part, j’ai beaucoup aimé la façon gracieuse dont il gère les alternances entre moments réalistes et les envolées plus métaphoriques.

Chez Denoël, mars 2011, 214 pages, 23,50 €

sublifeLes deux premiers tomes de Sublife de l’américain d’origine vietnamienne David Pham sont difficilement résumables. Il s’agit de recueils de différentes histoires, de styles et longueurs extrêmement variables. S’y enchainent avec une liberté totale : un récit animalier muet, une nouvelle aventure de Mad Max, les mésaventures surréalistes d’une belle bande de losers, un récit autobiographique, l’histoire d’un ado fugueur se réfugiant chez ses oncles racistes ou les péripéties dépressives de Robinsons de l’espace…
Tout ça peut paraître décousu mais plus on avance dans les pages et plus la cohérence de l’ensemble vous saute aux yeux. Je vous conseille d’ailleurs de lire les deux tomes avant de vous faire un avis.
La totale liberté de thème, de forme et de narration est un vrai délice. Surtout que le jeune homme fait preuve d’un talent égal sur tous ces récits. La constance se faisant sur un humour pince-sans-rire assez réjouissant.
Les influences du monsieur sauteront aux yeux des amateurs éclairés. On y retrouve la minutie et la préciosité d’un Chris Ware, la tendre vacherie d’Adrian Tomine ou de Daniel Clowes, le goût de l’étrange de Charles Burns… Pourtant, ces références n’écrasent absolument pas les ouvrages et David Pham trouve rapidement son ton et sa singularité.
Une BD imprévisible, foutraque au premier abord, mais qui révèle sur la longueur un talent des plus prometteurs.

Chez Cambourakis , mai 2010 et février 2011, 60 et 64 pages, 12 € chaque

BlackBird

Adoptée en 1981, la loi Lang sur le prix unique du livre impose aux libraires de respecter le prix fixé par l’éditeur, dans une marge de 5%. C’est une loi fondamentale pour un certains nombres d’acteurs du livre, notamment les libraires indépendants qui peuvent ainsi lutter contre les grandes surfaces où les enseignes géantes. (Merci Du9)

Dans Blackbird, Pierre Maurel construit un récit de science fiction, hélas fort proche de notre réalité, où un gouvernement abolit cette loi en y interdisant au passage l’autopublication et donc les fanzines et autres BD éditées «à la main».
Le livre traite donc des réactions d’un groupe de personnages plus ou moins liés au milieu de l’autoédition face à cette privation de liberté. Le récit est construit avec un rythme haletant jusqu’à une conclusion d’une force peu commune. La précision et la finesse de la description de l’évolution des différents personnages est un modèle du genre. J’ai aussi beaucoup aimé le graphisme «ligne claire» en noir et blanc fluide et très expressif.
C’est donc un bouquin éminemment politique mais, comme le livre a d’abord existé sous forme de six fanzines autopubliés, c’est aussi une jolie mise en abyme portée par des thèmes plus autobiographiques sur la création et l’engagement.
Une BD forte et troublante par sa proximité avec notre actualité. Pour ne rien gâter, le recueil avec beau papier, brochure tissu noire et couverture brute cartonnée est un très bel objet.

Chez l’Employé du moi, avril 2011, 128 pages, 14,90 €

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