Bachar Mar-Khalifé transforme l’Antipode MJC en essoreuse chaloupée et chaleureuse

Chaleur, sourires partagés : le concert de Bachar Mar-Khalifé de ce samedi 30 janvier a plus que comblé un public de l’Antipode MJC ondulant et ravi. Compte-rendu.

Dream Koala

Dream KoalaPour commencer, c’est le franco-brésilien Yndi Ferreira aka Dream Koala qui propose ses compositions feutrées et oniriques au public de l’Antipode, dont les titres de son dernier ep Exodus. Après sa prestation aux TransMusicales avec Code et Superpoze mêlant électronique, guitare, voix et musique orchestrale, Dream Koala vient faire vibrer ses machines, sa guitare (plutôt shoegaze) et sa voix tout en apesanteur en solo pour le public de l’Antipode. Seul sur scène, le garçon commence généralement par chanter avec sa guitare claire saturée d’effets de brume, pour ensuite lancer des rythmiques un tantinet jungle. Plus tard, sur quelques titres,  il abandonne la guitare pour seulement chanter avec des boucles lancées sur sa table de mixage.

On est ravi que possibilité soit donnée à de jeunes artistes comme lui de se confronter à la scène. Et même si on n’adhère pas particulièrement aux déclarations un poil new age du garçon, ni même réellement à la musique qu’il propose (pas notre came, mais d’autres ont apprécié), on décèle déjà chez le bonhomme un univers plutôt personnel, qui ne demande qu’à s’étoffer. Les compos sont abouties, l’apport de la guitare intéressant et le garçon possède une jolie voix. On gage qu’avec des possibilités comme celles-ci, les prestations et les morceaux du musicien ne pourront que gagner en épaisseur et qu’elles pourront aider le jeune homme à définir progressivement, non seulement son univers, mais également le rythme et la variété de son set. En tous les cas, le garçon a ce soir préparé une ambiance ouatée pour l’arrivée de Bachar Mar-Khalifé.

Bachar Mar-Khalifé

On se souvient d’avoir découvert Bachar Mar-Khalifé en solo grâce à l’association Electroni[k] qui l’avait programmé un Premier Dimanche aux Champs Libres la veille de la sortie de son second album Who’s gonna get the ball from behind the wall of the garden today? (Infiné, 2013). Depuis, le musicien a décidé de partager sa musique avec d’autres musiciens, notamment sur scène où il se présente ce soir en trio claviers-basse-batterie afin de défendre son nouvel album. Sur son troisième long format, particulièrement réussi, Ya Balad -ô pays- (octobre 2015, Infiné toujours) dont l’instrumentation s’oriente autour du piano, d’un clavecin (accordé aux quarts de tons, pour leurs sonorités orientales), de percussions, batterie, synthétiseurs, mélodica ou flûte nay, Bachar Mar-Khalifé chemine entre nostalgie, déchirement et espace poétique ouverts par l’exil, entremêlant ainsi les souvenirs d’un pays fantasmé (qu’il aura dû quitter à 6 ans) et la cassure inhérente à cet exil. En plus de cet album réussi, les dernières chroniques des concerts du bonhomme, bien souvent dithyrambiques nous font attendre le meilleur pour ce soir. Et si l’on en croit la délicate impatience qui resserre les rangs devant la scène, il semble bien qu’on n’est pas les seuls.

Bachar Mar Khalifé @ Antipode MJC - Photo : Mr B alter1foAinsi, après les applaudissements qui marquent l’entrée attendue du trio, la foule se tait rapidement quand Bachar Mar-Khalifé s’installe et dédie son premier morceau aux petits anges qui sont partis. Le silence dans la salle devient alors palpable. Une mélodie tournante et répétitive, calme et douce commence cette prière écrite par Marcel Khalifé, (père de Bachar, grande figure de l’oud et de la chanson libanaise) Madonna. Aux notes qui se répètent s’ajoutent désormais le chant grave et modulé de Bachar Mar-Khalifé qui progressivement envoûte la salle. Le piano s’arrête quelques mesures et la voix du musicien emplit l’Antipode de vibrations chaudes et sensibles. On apprécie une fois encore le talent ineffable du musicien d’origine libanaise pour jouer sur la lenteur et les silences essentiels aux résonances de sa musique.

Face à lui, Dogan Poyraz (batterie) et Antoine Reininger (basse) gardent les yeux fermés, immobiles. Puis progressivement se mettent à jouer, la basse sonnant d’abord quasi comme une contrebasse. Dogan Poyraz frappe sur l’une de ses percussions (une sorte de tambour épais sans fond ?) à mains nues, puis fait tinter un autre instrument ressemblant à des crotales. Sur cette rythmique répétitive, les notes de piano se détachent, aériennes. Petit à petit, cependant le jeu rythmique se complexifie et le morceau gagne en ondulations camelines, de plus en plus marquées. Après cette lente entrée en matière qui agit comme un mantra, permettant à chacun de se laisser gagner par la musique, le rythme se fait plus intense ; avant un final de nouveau tout en douceur. Déjà, on applaudit le souci des musiciens de se laisser du temps, de ne pas réduire leur propos à une seule idée, mais surtout de se permettre d’enchevêtrer des parties différentes en leur donnant l’espace nécessaire pour se développer.

BacharMar-Khalifé@Antipode-alter1fo - mr B

La version live en trio de Layla, qui suit, va se révéler tout aussi addictive et jouissive pour les oreilles, surtout pour celles (comme les nôtres) fascinées par les rythmiques de traverse, aussi savoureuses que démoniaques. En effet derrière la voix de Bachar Mar-Khalifé, toujours aussi profonde et grave, Dogan Poyraz frappe caisse claire et l’étrange tambour à paumes et doigts nus. En plus de la grosse caisse, une pédale vient également percuter un tambourin, la rythmique servant d’abord à soutenir la pulsation des notes claires qui cavalcadent sur le piano et les mélopées vocales du chanteur. Le riff répétitif à la basse devenant petit à petit de moins en moins étouffé, le morceau monte progressivement en tension et en intensité. Annoncée par une accélération de la grosse caisse, l’explosion rythmique qui va suivre va nous laisser l’oreille hagarde et écarquillée. Dogan Poyraz, désormais baguettes à la main, martèle les toms avec une virtuosité à vous décrocher la mâchoire, bondissant, décochant, tissant à toute allure une rythmique serrée tout en chausse-trappes en veux-tu en voilà qui retombent sur leurs pattes. A côté de cette tornade de coups secs sur les toms, la basse reste répétitive et métronomique tandis que Bachar Mar-Khalifé plaque accords et arpèges avec une énergie particulièrement rock (un peu comme si les rôles habituels dévolus au piano et à la batterie avaient été échangés). On sort de cette version tout essoré, l’oreille exsangue et immensément reconnaissante.

BacharMar-Khalifé@Antipode-alter1fo mr B

Sur le titre suivant, cette même alternance de parties calmes au piano/voix progressivement rattrapées par des déferlantes en trio (« excusez-nous si on joue fort ») fait pareillement mouche. D’autant que les montées tout comme les calmes s’y révèlent parfois explosifs. Pour preuve, ces arrêts, scansions, de Bachar Mar-Khalifé au piano qui suspend le temps au dessus des notes, impose le silence, joue sur la retenue et l’attente. Dans la salle, le silence est total et la foule suit chacun de ces breaks le souffle retenu. Avant de plonger encore plus intensément dans les déferlements qui ne manquent pas d’arriver.

BacharMar-Khalifé@Antipode-alter1fo mr bL’intro Bonjour Bonsoir de Balcoon se révèle tout aussi jubilatoire et le public adhère en masse à ce reggae oriental (ostinato rythmique en contre-temps sur le piano, arrangements percussifs aux sonorités d’orient, voix tout en modulation sur les accents toniques et les fricatives arabes), certains commençant même à onduler devant la scène.

L’adhésion de la foule ne se dément pas lorsque Bachar Mar-Khalifé cette fois seul au piano dédie le morceau suivant aux réfugiés qui arrivent en France et qui vont nous apporter de belles choses. Il finira d’ailleurs cette lente et douce chanson piano-voix, la tête baissée, le poing levé, salué par les cris et les applaudissements.

A mon pays lointain, à mon pays imaginaire, continue-t-il, introduisant Distance (Who’s gonna get the ball from behind the wall of the garden today?) qu’il joue seul au piano. Toute en émotion feutrée, les mots se coulant dans les méandres répétitifs du piano, la chanson dévoile, comme la précédente, une autre facette de la musique de Bachar Mar-Khalifé, plus douce, plus mate, plus calme.

On retrouvera ensuite les brillantes montées en puissance en version trio. Antoine Reininger et Dogan Poyraz rejoignent à nouveau Bachar Mar-Khalifé, notamment sur un Kyrie Eleison particulièrement prenant (ô seigneur accorde moi cette dernière prière et laisse nous tranquilles avait commencé Bachar Mar-Khalifé salué par les rires). La première partie très douce du morceau n’en rend que plus monumental et intense le virage mélodique ébouriffant qui nous renverse instantanément les sens. On est pris par l’émotion, d’autant que la voix de Bachar s’y fait encore plus troublante et poignante. L’intensité ne se dément pas sur Laya Yabnaya que Bachar Mar-Khalifé présente comme une chanson d’amour ou devrais-je dire érotique : le son se fait plus lourd, les percussions et la basse plus hypnotiques, voire inquiétantes. A côté de nous, des corps ondulent, marqués par les lentes scansions rythmiques. La voix de Bachar Mar-Khalifé devient alors plus éloquente, le chanteur criant presque tandis que le son se fait plus abrasif.

Bachar mar khalifé - antipode. alter1fo Mr BC’est alors le moment de faire place à la danse (voire à la transe) avec la chanson traditionnelle koweïtienne Yas Nas : cascades d’accords plaqués au piano, d’arpèges dévalés, basse mélodique, onomatopées percutantes, chassés-croisés rythmiques entre les toms de la batterie, public qui lève les bras et accueille le morceau dans les cris. Les bras se lèvent, ondulent. Les mains de la foule marquent le rythme. Entre apostrophes, sifflements et cris qui relancent constamment l’enthousiasme, la température monte. Et ce n’est pas l’imparable Lemon qui va refroidir les esprits. Basse irrésistible aux claviers, mélodie vicieuse et implacable, voilà que la foule se transforme en essoreuse chaloupée. Les pieds martèlent le sol, les mains virevoltent au dessus des têtes ou marquent la pulsation et les sourires, partout, réchauffent encore les visages. De chaque côté de la scène, ça se régale. On n’est donc pas surpris que le rappel soit intensément demandé. Et que le trio, ravi d’offrir à la foule ce qu’elle souhaite (vous voulez danser ?) reparte pour un Lemon raccourci mais tout aussi endiablé.

Pour finir, Bachar Mar-Khalifé achève le set en douceur avec toujours cette main tendue à l’autre, en adressant un Assalamu alaykoum (que la paix soit sur vous) à une foule ravie (qui aussitôt lui répond Wa alaykum assalam). On se prend alors à souhaiter que chacun puisse un jour être persuadé de la richesse qu’apportent les métissages et de la nécessité de s’affranchir « des frontières remplaçant l’horizon. » Un peu à la manière de Bachar Mar-Khalifé qui abolit les frontières et métisse, mélange les genres, du jazz à la musique orientale, de l’électro au tout acoustique, passant de l’émotion feutrée à la danse (voire aux transes) avec une générosité immense et une belle réussite. Certes. Ce n’est que de la musique. Il ne tient donc qu’à nous de lui donner ce pouvoir.

Bachar Mar Khalifé - alter1fo Mr B

Photos : le sémillant et ondulant Mr B.


1 commentaire sur “Bachar Mar-Khalifé transforme l’Antipode MJC en essoreuse chaloupée et chaleureuse

  1. Dugau

    Quel bel article ! Merci.

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