Awa Gueye : « Babacar a été abattu comme un chien… »

Le rendez-vous est fixé à 11 heures ce samedi et nous arrivons légèrement en avance. A l’intérieur du bar ′Le Babazula′ règne une ambiance particulière, mélange de solennité et de bienveillance. Le collectif « Justice et Vérité pour Babacar » s’active et termine son installation pour accueillir au mieux celles et ceux qui assisteront à la conférence de presse.
On patiente autour d’un café. Et puis, un deuxième… Des visages sont évidemment connus. A force de fouler les mêmes parcours de manifestations, de côtoyer les mêmes rassemblements, des affinités se créent. On se salue, parfois d’un simple ‘bonjour’ sinon d’une tape amicale sur l’épaule. Mais voilà que l’atmosphère s’électrise, les sonneries de portables résonnent quand ces derniers ne vibrent pas et les médias arrivent au fur et à mesure. De France 3 à Radio Croco en passant par France Bleu Armorique, le drame de Babacar Gueye, jeune sénégalais tué par la police en 2015 dans le quartier de Maurepas, interpelle encore. Et c’est tant mieux ! Babacar Gueye aurait eu 30 ans cette année.

Quelques minutes plus tard, Awa Gueye, la grande sœur de Babacar, fait son entrée. Arborant un large tee-shirt à l’effigie de son frère, elle s’avance presque timidement et s’installe devant nous. A sa gauche, son jeune fils, à sa droite, une personne du collectif. Le grand frère de Gaye Camara abattu par la police le 17 janvier 2018, Mahamadou Camara, visage fermé, se tient aussi à leurs côtés. Les premiers mots d’Awa sont hésitants. L’émotion semble toujours aussi grande. Awa reprend son souffle. Silence dans la salle. Un ange passe… Sans doute celui de Babacar.

« Babacar vivait avec moi et mon fils. Il avait 27 ans… » C’est avec ces mots que la jeune femme nous raconte les événements du 3 décembre 2015. « Babacar est allé chez des amis dans le quartier Maurepas pour y passer la soirée. Au cours de la nuit, il a fait une crise d’angoisse qui l’a poussé à se blesser lui-même avec un petit couteau de table ». Le voyant se taillader le bas-ventre et puis les bras, son camarade va lui venir en aide et appeler les secours. Mais à la place des pompiers, « 8 policiers sont arrivés, 4 de la police nationale et 4 de la BAC ». Par pudeur ou volonté de se préserver, certains détails ne seront pas évoqués aujourd’hui. C’est un article de StreetPress paru en avril 2016 qui nous aide à mieux imaginer l’effroyable scène qui s’est déroulée. Un premier coup de feu est tiré blessant Babacar. Son ami intervient de nouveau, lui demande de reposer le couteau. Totalement perdu et désorienté, Babacar se réfugie vers les étages supérieurs. C’est au niveau du 8e que quatre nouveaux tirs ont lieu « dont deux dans le thorax, sans doute à l’origine du décès », selon Thierry Pocquet du Haut-Jussé, le procureur au lendemain des faits. En aparté avec l’équipe de France 3, la sœur de Babacar précise qu’une balle a été tirée par derrière.

Mais l’horreur ne s’arrête pas là. Awa décrit une scène surréaliste.  Bien qu’il soit mortellement blessé, « on le menotte dans le dos, allongé au sol ». Les secours ne parviendront pas à le ranimer et prononceront son décès dans l’immeuble, à 4 heures du matin « Babacar ne faisait de mal à personne, sinon à lui-même. Aucun des policiers sur place n’a cherché à l’aider. Le seul moyen qu’ils ont trouvé pour le maîtriser, c’est de lui tirer dessus. Alors qu’ils étaient 8 contre un ! » interpelle Awa avant de reprendre,  « cela ne se serait pas passé comme ça si Babacar avait été blanc. Il a été tué parce qu’il était noir, c’est du racisme d’état ! » La phrase est lâchée et nous happe littéralement mais Awa poursuit. « Babacar a été abattu comme un chien, même un chien on ne le tue pas comme ça ».  Les regards sont graves dans la salle. Le bruit des appareils photos a cessé.

Rappelons que l’intervention des policiers venus en nombre a ajouté de l’incompréhension et de la panique chez Babacar. Sa demande de titre de séjour étant bloquée, il était sans-papier. On imagine aisément la peur du contrôle, de l’arrestation et sans doute de la reconduction au Sénégal en passant par la case ‘centre de rétention’. « Mon frère a quitté le Sénégal en 2012 avant d’arriver en France en 2014. Il a énormément souffert comme beaucoup de migrants. » explique Awa. « Il a dû passer par la Mauritanie, parcourir le Maroc, traverser l’Espagne  et puis la France…  » Quelque jours avant son décès, Babacar écrivait ses mots :    « Je suis né il y a 27 ans dans un pays merveilleux. Pour venir ici, j’ai voyagé longtemps. À pieds, en charrette, en voiture, en bateau. J’ai dû me débrouiller, c’était dur, mais je suis resté courageux. Et me voilà ici. »

Awa se remémore avec nous les souvenirs passés avec son frère. « Il jouait au foot avec mon fils, suivait avec assiduité les cours de Français proposés par les restos du cœur et le centre social Carrefour 18. »  Il faisait quotidiennement des exercices d’écriture. Il apprenait vite et aimait fréquenter les autres centres sociaux de Rennes comme celui des Champs Manceaux ou de Villejean. Tous ces instants précieux lui permettaient de retrouver un semblant d’innocence, perdu dans un parcours administratif semé d’embûches. Babacar avait pour projet d’animer des ateliers de danse sénégalaise.

Les mots s’enchainent de plus en plus vite. Au cours des prises de paroles des années précédentes, le chagrin submergeait Awa. Mais aujourd’hui, les larmes ont laissé la place à une combativité tenace et maitrisée. Et pour cause. Depuis le drame, la jeune femme a rencontré beaucoup de familles et de collectifs menant le même combat qu’elle. Véritable prise de conscience, elle n’est pas toute seule dans cette épreuve. La liste des victimes policières est longue. Trop longue. « Nous n’avons pas eu assez de place pour afficher toutes les personnes tuées par la police. Si nous devions les compter un à un, nous y passerions la journée. Cela n’arrête pas ! » affirme Awa en pointant du doigt les différents portraits derrière elle. On peut y lire les noms de Hocine Bouras, Abdoulaye Camara, Morad Touat, Wissam El Yamni, Lamine DiengGaye Camara. Cette énumération confirme les arguments du collectif « Justice et Vérité pour Babacar » pour qui « ces crimes ne sont ni anodins ni le fruit du hasard. Il est à appréhender comme une illustration du racisme d’État et du rôle de la police dans les quartiers populaires.» D’ailleurs, la plupart des enquêtes se soldent par un non-lieu. « En France, et surtout dans les quartiers populaires, la police tue sans jamais être inquiétée ! » pouvait-on lire sur un tract de la section locale du NPA en décembre 2015. L’agent de la brigade anticriminalité qui a tiré sur Babacar continue toujours d’exercer dans une ville voisine, blanchi par la légitime défense. La mort pour l’un, une mutation pour l’autre ? Awa dénonce ce qui représente pour elle une intolérable injustice. « Vous trouvez cela normal qu’un policier qui tue une personne qui avait besoin d’aide puisse continuer à porter une arme ? »  

En France, la riposte s’organise. De nombreuses manifestations s’organisent, comme celle de mars dernier qui a rassemblé à Paris plus de 2000 personnes venues dénoncer les violences policières, les discriminations et la politique migratoire du gouvernement qui incarnent selon elles un « racisme d’Etat ». Ce combat est devenu celui d’Awa, déterminée comme jamais(1), dorénavant porte-parole de sa famille au Sénégal et pour les proches de Babacar.   « Je vais me battre pour mon frère et pour toutes les autres familles dans le deuil, pour toutes les victimes des violences policières. Je ne demande qu’à rétablir la vérité et l’honneur de mon frère et que la justice soit faîte. »

Le dossier est désormais dans les mains d’une nouvelle avocate, Maître Ténier, qui a une solide expérience des affaires complexes et sensibles. Sa réputation n‘est plus à faire. Surtout à Rennes. « Pas de justice, pas de paix ! » lance pour conclure Awa, reprise plusieurs fois en chœur dans la salle. L’émotion est palpable. Awa remercie l’audience puis réconforte son fils chaleureusement. Et nous, nous nous éclipsons.

 

 

pourensavoirplus———

(1) : Awa Gueye a récemment participé au clip « Amal », chanson écrite par Kery James qui raconte l’histoire d’Amal Bentounsi, une militante qui lutte contre les violences policières. C’est à la suite de la mort de son frère Amine, abattu d’une balle dans le dos à Noisy-le-Sec en 2012 qu’elle décide de créer le Collectif « Urgence notre police assassine ».

► Le site du collectif

Babacar, tué de 5 balles par la police de Rennes

Tous nos articles sur BABACAR GUEYE :

[01 Décembre 2018] – Conférence de presse : « Justice et Vérité pour Babacar, tué par la police de Rennes »
[03 Décembre 2016] – Un jour, une photo… Marche en hommage à Babacar Guèye
Un an après la mort de Babacar, vérité et justice se font toujours attendre…
[02 Décembre 2017] – Un jour, une photo : «  Pas de justice, pas de paix… »

Tous nos articles sur les violences policières :

[11 Mars 2017] – Un jour, une photo… Nouvelle manifestation contre les violences policières
[18 Février 2017] – Un jour, une photo… Nouvelle manifestation contre les violences policières
[08 Février 2017] – Un jour, une photo… Rassemblement en soutien à Théo et contre les violences policières
Procès de l’ex-patron de la BAC de Rennes – « Cela faisait longtemps que j’attendais ce moment… » (Gwendoline Tenier, Pénaliste)

 

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