Absolute Directors – Franck Buioni

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Absolute Directors (Rock Cinéma, Contre-Culture) – Franck Buioni

Les mois d’hiver sont généralement plus propices à l’invitation d’un canapé confortable qu’à un trek à l’autre bout de la Bretagne pour combler son manque de décibels. Cela tombe bien car le livre du dernier mois d’hiver va nous transporter au pays du 7ème art. Franck Buioni signe ici son 2ème ouvrage qui mêle adroitement le cinéma et le rock. Ce livre n’est pas un caprice ni une commande. On sent le travail de l’aficionado qui prend plaisir à nous parler de ses films préférés où tout est prétexte à digression afin de saupoudrer le récit d’anecdotes croustillantes.

Le livre est composé de 4 parties qui reviennent sur les réalisateurs fétiches de Franck Buioni. La première partie est donc consacrée à Dennis Hopper et surtout à « Easy Rider ». Ce film comme on peut s’en douter, n’aurait jamais du voir le jour. L’idée serait venu à Peter Fonda un soir d’oisiveté, défoncé au Hash. Il la propose à Dennis Hopper, le paria des studios. Dennis accepte et la machine se met en branle. Il prend les choses en main, enfin à sa manière. Il règne en despote sur le tournage, accepte la consommation peu raisonnable de drogue par l’équipe technique et surtout le film est une longue et totale improvisation. A la fin du tournage, Columbia découvre effaré des kilomètres de bobines qui sont inexploitables. Le film est finalement monté par une équipe imposée par le studio qui sauve le tout du naufrage. Hopper hurle au scandale, mais se calme vite, conscient du sauvetage qui vient de s’opérer.

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Contre tout attente, le film sort et remporte le prix de la meilleure 1ère œuvre à Cannes. C’est un succès inespéré dont s’accapare totalement Dennis Hopper. Gonflé à bloc il va se lancer dans « The Last Movie ». Malheureusement, ce sera le bide total. Le film est encore plus improvisé et déstructuré qu’« Easy Rider », et rien ne pourra être sauvé. Dennis Hopper est ruiné et devient tricard des studios. L’alcool, la drogue font qu’il est incontrôlable. Sa carrière est potentiellement terminée. Mais heureusement surviendra le messie, Francis F. Coppola qui avec « Apocalypse Now » ressuscitera sa carrière.

« Easy Rider » marquera un tournant dans l’histoire du cinéma américain. Il symbolise le moment où les réalisateurs ont commencé à prendre le pouvoir sur les studios. Ils ont pu choisir eux même, leurs acteurs et surtout avoir plus d’indépendance artistique. Dans ce domaine là c’est surtout l’imposant Coppola qui est le ténor. Avec George Lucas il crée American Zoetrope une maison de production dont le but, est de s’affranchir le plus possible des studios tout puissants d’Hollywood. Malheureusement, le premier film de George Lucas, « THX 1138 » plonge American Zoetrope dans le rouge et Coppola se retrouve à faire l’adaptation du Parrain, une commande imposée par les studios. Coppola est sur la sellette, mais malgré son jeune âge, il va réussi à imposer ses acteurs, dont Marlon Brando, un autre paria des studios. Coppola accouche une nouvelle fois d’un chef d’oeuvre. Le film et Brando remportent un Oscar. Dans la foulée, Coppola réalise le second opus de la saga et rafle une nouvelle fois tous les prix. Zoetrope est sauvé et Coppola a de nouveau le vent en poupe. Il va pouvoir s’atteler à un projet qui lui tient à cœur, l’adaptation du chef d’oeuvre de Joseph Conrad, « Au cœur des ténèbres ».

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Quand il se lance dans ce nouveau projet, cela fait déjà plusieurs années qu’il travaille avec John Milius sur le scénario. Le film transpose le roman de Conrad pour l’adapter à la guerre du Vietnam – On demande au capitaine Willard de remonter le Mekong pour trouver le Colonel Kurtz et le tuer. Celui ci est devenu malsain et ses méthodes embarrassent l’état major – Voila le fil directeur qui va mener l’équipe de tournage jusqu’aux Philippines qui présentent certaines similitudes avec le Vietnam. Coppola engouffre la totalité de sa fortune dans le film, et construit sur place l’ensemble des décors dont le fameux temple Khmer qui abrite Kurtz.

Rapidement de nombreux problèmes vont survenir et vont faire du tournage un bourbier qui va mener Coppola aux portes de la folie. Cela commence avec Harvey Keitel qui joue le rôle de Willard et qui est remplacé au pied levé par Martin Sheen. Ensuite, le projet prend sans cesse de l’ampleur, ce qui fait exploser le budget initial. Je passe sur le typhon qui ravage les décors et de Marlon Brando obèse qui rentre mal dans le corps d’un colonel de l’armée américaine. Le pompon est atteint quand Martin Sheen fait une crise cardiaque dans la jungle et échappe de justesse à la mort. Tous les éléments sont là pour que le projet ne puisse aboutir. En plus Coppola ne sait toujours pas comment finir le film. John Milius à son habitude veut ancrer plus profondément le film dans la guerre tandis que Coppola voudrait coller à l’esprit du roman.

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Le mot est lancé. Le fleuve permet de remonter au cœur des ténèbres, c’est à dire dans le temps. On passe de la guerre du Vietnam à l’Indochine (le passage de la plantation française coupé dans la version courte), puis aux peuples primitifs, pour finir sur Kurtz qui symbolise l’homme redevenu bête cruelle. L’armée doit donc liquider cet avatar, pur produit de sa création. Kurtz représente toute l’ignominie de la guerre. De l’autre coté, Willard, doit lui aussi, au fur et à mesure que le bateau remonte le fleuve, puiser au plus profond de son être pour être capable d’assassiner Kurtz. Le final se conclut comme une transe sur le seul morceau écoutable des Doors, « The End ». C’est aussi le morceau qui débute le film, dans une autre transe, celle de Willard soul qui revient du front. La boucle est bouclée. Coppola mettra encore une paire d’années à monter le film et en sortira une version temporaire pour le festival de Cannes de 1979. Logiquement le film fait un triomphe et met fin à 4 années d’un travail gigantesque sur le fil du rasoir.

L’histoire d’ Apocalyse Now ne se termine pas là. Coppola sortira enfin la version définitive du film en 2001 sous le titre « Apocalypse Now Redux ». Cette version allongée est beaucoup plus cohérente et permet de mieux comprendre certains passages restés obscurs. En 1991 sortira le documentaire « Au cœur des ténèbres, l’apocalypse d’un réalisateur » d’Eleanor Coppola, sa femme. Elle revient sur ce presque naufrage qui est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands films de tous les temps.

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Vous l’avez compris, ce livre est dense. « Easy Rider » et « Apocalyspe Now » ne sont que 2 pans des colossales filmographies de Dennis Hopper et de Francis F. Coppola. Les 2 autres parties du livre reviendront sur Roman Polanski et notamment sur le meurtre de sa femme Sharon Tate par la secte de Charles Manson ainsi que sur les déboires judiciaires dans lequel il est empêtré depuis quelques temps. La dernière partie se consacrant à Martin Scorsese et à son concert filmé des Rolling Stones « Shine A Light ». Ce sera l’occasion pour Franck Buioni de faire une comparaison entre les Stones de 2006 et ceux moins lisses de l’époque d’Altamont où le service d’ordre tenu par les Hell’s Angels avaient tué un spectateur à quelques mètres de la scène où se produisait le groupe.

Beaucoup de bonnes choses dans ce livre qui réussit la prouesse d’être synthétique tout en se permettant des parenthèses bienvenues qui permettent toujours d’éclairer le propos de l’auteur. Un nouvel opus est prévu pour le début d’année. On l’attend donc avec impatience.

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Absolute Directors (Rock Cinéma, Contre-Culture) – Franck Buioni – Edition Camion Noir – ISBN : 9782357791350
Absolute Directors – Le temps de la décadence – Franck Buioni – Edition Camion Noir (à venir)

2 commentaires sur “Absolute Directors – Franck Buioni

  1. Thomas Courtial

    Bravo pour la chronique. Maintenant je sais quels sont les prochains livres sur lesquels je vais me jeter. Si mon banquier est d’accord…..

  2. jerry ox

    Un livre que j’ai dévoré dès sa sortie et qui nous plonge dans les coulisses des grands films des années 60 et 70 . Mention spéciale au chapitre (angoissant ) consacré à l’assassinat de Sharon Tate .

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