40mcube: Plan de coupe

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Le 22 avril dernier, 40mcube célébrait son dixième anniversaire et inaugurait une nouvelle exposition produite pour l’occasion, « We can never go back to Manderley » de Sarah Fauguet et David Cousinard. Elle est visible jusqu’au 16 juillet. Visite guidée pour découvrir l’envers du décor.

Sarah Fauguet et David Cousinard, nés respectivement en 1977 et 1976, travaillent ensemble depuis leur sortie de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris dont ils ont tous deux été diplômés en 2001. Œuvrant à quatre mains pour réaliser chacune de leurs installations et sculptures, ils constituent une véritable entité bicéphale. Il suffit de les voir réaliser leurs pièces pour constater la complicité qui les unit : les gestes, précis, efficaces et complémentaires, sont ceux de personnes qui travaillent côte à côte depuis longtemps. À 40mcube, durant les quatre semaines de résidence qui leur furent nécessaires pour créer les œuvres de l’exposition, le travail fut acharné et parfaitement maîtrisé, les deux artistes sachant parfaitement où ils voulaient aller. Et en voyant le résultant, il ne fait aucun doute qu’ils ont dominé leur sujet avec une justesse et un équilibre qui forcent le respect.

On retrouve donc dans l’exposition les thèmes de prédilection de Sarah Fauguet et David Cousinard : l’architecture et la construction, la narration et la fiction, le décor cinématographique et le trompe-l’œil.

Gros œuvre

En pénétrant dans l’espace d’exposition, une sculpture monumentale accroche immédiatement le regard. Intitulé Carlingue, elle montre une charpente somme toute classique, sorte de squelette en bois supportant une lourde forme grise dont on peine à identifier la matière et la forme exacte. On pense d’autant plus facilement aux combles d’une habitation que les artistes ont revêtu certaines parties d’un parement en OSB (panneau à lamelles orientées qui sert notamment à isoler les combles), évoquant clairement les constructions pavillonnaires.

Loin de tout réalisme mimétique, c’est une impression d’étrangeté qui est saisissante. Sarah Fauguet et David Cousinard ne cherchent pas à imiter une architecture, mais plutôt à en suggérer la présence et l’atmosphère. Ainsi, ils n’hésitent pas à déformer la structure qui se rapproche alors d’une sorte d’abri matriciel.

Découverte, œuvre qui consiste en une volée de marches menant à une porte adossée à un mur de l’espace d’exposition, relève également de la construction : présentant un aspect inachevé, cette sculpture s’appréhende comme un chantier en cours de réalisation.

Sarah Fauguet et David Cousinard, Carlingue, 2011. Production 40mcube. Photo : Cyrille Guitard.
Sarah Fauguet et David Cousinard, Carlingue, 2011. Production 40mcube. Photo : Cyrille Guitard.

Décor = fiction

Au-delà de ce simple formalisme, Découverte nous mène vers un autre aspect du travail des artistes : le décor et la narration qui en découle. Si l’œuvre ressemble beaucoup à ce qu’elle paraît être, elle ne trompe pas longtemps un regard attentif. Des marches en placoplâtre au seuil constitué de dalles de plâtre en passant par la déformation de l’escalier dont la perspective va en se rétrécissant, nombreux sont les éléments qui nous montrent que nous sommes face à un trompe-l’œil. Le titre de cette œuvre en est une autre preuve : dans le monde du théâtre, une découverte désigne une partie des coulisses rendue volontairement ou non visible par le public. Nous sommes donc bel et bien dans un décor. Il revient alors au visiteur d’accepter cette évidence : l’espace dans lequel il se trouve est un espace fictionnel, ce que suggère fortement le titre même de l’exposition. « We can never go back to Manderley » est en effet emprunté au monologue prononcé par une voix off au début du film Rebecca d’Alfred Hitchcock, adaptation du roman éponyme de Daphné du Maurier. Découverte nous confronte donc à un espace autre, celui que l’on peut imaginer au-delà de cette porte qui, démunie de poignée, reste définitivement infranchissable.

Sarah Fauguet et David Cousinard, Découverte, 2011. Production 40mcube. Photo : Patrice Goasduff.
Sarah Fauguet et David Cousinard, Découverte, 2011. Production 40mcube. Photo : Patrice Goasduff.

Blow up

Qui dit décor dit narration. À partir du moment où ce que nous voyons joue sur les apparences, la machine fictionnelle peut s’emballer. Revenons un instant à Carlingue. Nous avons déjà évoqué cette masse grise supportée par la charpente, forme indistincte depuis le point de vue qui s’offre au visiteur lorsqu’il entre dans la salle d’exposition. Cette forme ne se révèle pleinement que lorsqu’on fait le tour de la sculpture. On découvre alors une structure que le premier coup d’œil ne laissait pas supposer : entre l’assemblage de dalles de béton, le blindage high tech et la carlingue d’un aéronef futuriste, cette drôle de carapace est un contrepoint à la charpente qui évoquait plutôt le savoir-faire artisanal. Pour se saisir complètement de l’œuvre, la réconciliation des points de vue est alors indispensable. Et c’est justement là l’un de ses enjeux. De la même manière que la compréhension d’un film nécessite de se souvenir constamment de ce que l’on a vu depuis son commencement, il faut ici faire un montage mental des différents aspects de l’œuvre pour la recomposer et finalement l’appréhender.

Sarah Fauguet et David Cousinard, Carlingue, 2011. Production 40mcube. Photo : Cyrille Guitard.
Sarah Fauguet et David Cousinard, Carlingue, 2011. Production 40mcube. Photo : Cyrille Guitard.

Insert

Sans titre, dessin à la mine de plomb d’une corneille empaillée, joue sur le même registre. Le motif de l’animal naturalisé, chargé d’un fort potentiel fantasmatique et fictionnel, se rapproche aussi du décor puisque l’animal paraît être ce qu’il n’est pas. Mort, il semble pourtant vivant. Le choix iconographique de ce dessin n’est pas anodin. La forme ramassée de l’oiseau qui menace de déployer ses ailes et le traitement du plumage par l’imbrication de facettes presque minérales rappellent évidemment Carlingue, œuvre située tout à côté. Mais ce dessin agit aussi comme un plan d’insert. Obligeant le visiteur à se focaliser sur cette figure angoissante (l’animal, bec ouvert, paraît pousser un cri qui jamais ne sera audible), Sans titre teinte fortement la perception de l’ensemble de l’exposition d’une couleur sombre. La menace est sourde ; elle colle néanmoins à la peau.

« We can never go back to Manderley » impressionne par son équilibre et la capacité de chacune des œuvres à mettre en marche la machine fictionnelle. La dextérité technique des artistes qui manipulent le bois avec virtuosité trouve son contrepoint dans leur capacité à aller au-delà de la forme et de la matière, sans pour autant passer sous silence leur importance. Sans elles, il n’y aurait pas d’œuvres. C’est sur cette base qu’ils peuvent déployer, avec une justesse confondante, leur propos et immerger le visiteur dans un espace propice aux vagabondages de l’imagination. Du fuselage futuriste de Carlingue à l’espace autre au-delà de Découverte en passant par l’oiseau de mauvais augure de Sans titre, tout est ici suggéré avec finesse. À l’instar de Mia Farrow dans La rose pourpre du Caire de Woddy Allen, il ne reste plus au visiteur qu’à rentrer dans le décor.

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