399 secondes : c’est beau une création…

Alors on voudrait bien tout bousculer, tout remettre comme on l’entendait, tester la solidité du fil là, d’aspect plus fin, pour sentir si ça tient encore, pas pour casser, juste pour le plaisir d’être surpris par une résistance cachée.

Puis comme une ritournelle qui s’installe en douce, l’objet fait oublier les idées préconçues, on commence à lui trouver des qualités, des trucs inattendus surgissent ; on est pas entièrement satisfait mais on trouve ça quand même pas mal ; surtout, on se dit qu’avec le temps, en prenant de la patine, il sera joli ce mobile.

C’est beau une création, c’est beau et fragile, ça tremble aussi un peu, sous les robes de crêpe blanc des quinze comédiens et comédiennes, au milieu des pelotes de guirlandes lumineuses posées sur le plateau blanc. Fond, cotés, dessus de scène : blanchis aussi ; le contour des panneaux rehaussé par une bande plus blanche, de sorte que le fond n’est pas uniforme mais la juxtaposition d’éléments, de multiples cadres pour de multiples portraits. Jouxtés au début de la pièce, ces portraits se croisent ensuite, s’unissent, se cherchent, se heurtent comme les rectangles de lumière se chevauchent en fond de scène.

La langue est belle, drôle parfois, frontale, il y est question d’un voyage en mer, rencontre d’un dauphin ou d’un narval, comment distinguer en pleine nuit, de deux corps au royaume des morts qui cherchent la saveur du plaisir : insipide, d’un différend à propos d’un mob volé, d’un Lucius qui cherche une Patricia, de Pandora enquêtrice d’opinion qui met à nu son amant, d’un certain Edward Munch, de son « Cri » volé par deux frères, c’est l’unique tableau qu’ils reconnaissent pendant leur forfait, de leur sœur, superbement interprétée, qui semble errer dans un mutisme… narratif ! et 399 secondes d’éclipse qui les rassemblent enfin.

Alors oui le mobile est beau et fragile ; l’engagement des comédiens est admirable de générosité, voir quinze corps, jeunes, beaux, à l’élégance simple est toujours une expérience théâtrale enivrante ; « les comédiens de demain » ainsi les enflamme-t-on, un vœux, oui, sans doute ont-ils le talent, la présence, l’énergie, quant au futur !?

Et puis il y a ce découpage en scène, scénettes, répliques (heureusement pas jusqu’au mot), à coup de notes de piano, de black out, de chœurs, de vrombissements, surlignage hacheur ; ces chutes régulières meurtrissent le spectacle, affaiblissent sa lisibilité, chacune m’apparaît comme un point d’interrogation, artifice massif dans une réalisation épurée.

Je ne sais pas si c’est l’attente d’avant spectacle : un peu longue, ma position au premier rang toujours en contre plongée dans une frontalité que j’aurais souhaitée plus paritaire, l’endormissement de ma voisine, ses grognements hypnodrasiques, ces ruptures assommantes, le spectacle est passé, reste un collectif investi et généreux.

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