[2021] Des bouqu’1 sous le sap1 #10 : une petite dose de polar trash danois ?

Marre des statistiques covidées ? Marre du masque ? Marre du gel hydro-pas-alcoolique ? Marre des infos ? ça tombe bien, nous aussi ! Pour oublier cet environnement toxique, on vous propose une plongée sans filet dans notre sélection bigarrée de culture en papier sous forme de calendrier de l’avent bibliophile : Des bouqu’1 sous le sapin 4è édition ! Direction le Danemark et la Suède où les jeunes femmes peuvent subir les pires atrocités. Noir polar ? oui, noir dark, very dark polar. 

Attention, histoire sordide en perspective ! Ames sensibles, passez votre chemin. La Peau des anges de Michael Katz Krefeld n’est en effet pas un polar de tout repos pour l’estomac…

Ce premier roman de la série Thomas « Ravn » Ravnsholdt met en scène ce flic, dit Ravn, qui vient de perdre sa femme Eva, assassinée par un meurtrier dont on n’a pas retrouvé la piste. Entre colère et tristesse, Thomas est tombé dans les limbes de l’alcool et de la dépression. Il vit sur une péniche délabrée sur un canal de Copenhague et laisse filer les heures au café Havodderen où Johnson, le barman veille sur lui et sa consommation. Il est en arrêt de travail et ne compte pas revenir au commissariat avant longtemps. On est en 2013 et sa route va bientôt croiser celle de Masja, jeune lituanienne installée à Copenhague avec sa mère.

La rencontre avec Masja est violente pour le lecteur. Deuxième chapitre : on est en 2010 et la jeune femme vient d’être vendue à cause d’une dette de jeu par son fiancé/mac Igor à des crapules infinies : « Masja fixait des yeux écarquillés les néons de la lampe devant elle. Elle haletait. Elle sentait l’adrénaline et la peur tourner en rond dans son corps. Chacun de ses muscles était tendu et elle avait la gorge nouée par la soif. Lentement, elle essaya de se lever, mais ses affreuses douleurs dans le bas-ventre l’en empêchèrent. Elle n’avait aucun souvenir de la façon dont elle avait atterri au fond de ce trou puant. Elle avait trop mal partout pour pouvoir penser de façon lucide. Elle fit une nouvelle tentative pour se lever en s’appuyant contre la paroi en béton humide et glaciale. Dans le garage, la température devait frôler le zéro degré et elle grelottait. Plus loin dans la fosse, il y avait un petit tas de vêtements. Une robe rouge en soie, un string et des bottes en cuir couleur café. Elle les reconnut. C’étaient les siens. » (p.13)

En 350 pages, elle passe de la call girl de luxe à la prostitution sordide et à la toxicomanie forcée. Revendue par Igor, qui a cru pouvoir se mesurer à une partie de poker avec des crapules serbo-baltes, Masja se retrouve prisonnière de Slavros qui la prostitue au Key Club, un club de strip-tease jusqu’à ce qu’elle rembourse sa dette de 20 000 euros héritée d’Igor… Vendue mais avec dettes ou comment passer du statut d’être humain à celui d’esclave ! Ceux qu’elle appelait ses nounours et qu’elle fréquentait dans des hôtels de luxe deviennent des taureaux pervers, violents et sans limites. Droguée au valium pour « être domptée » au départ, Masja devient accro à l’héroïne et à l’écriture : « Le lendemain matin, tandis que le dernier taureau était parti et qu’elle entendait le barman faire le ménage, à l’étage du dessous, elle sortit son cahier et mit tout noir sur blanc. C’était le seul moyen de se calmer et de réussir à dormir un peu. Le seul moyen de ne pas sombrer dans la folie. Sa gorge était toujours douloureuse depuis que l’homme avait tenté de l’étrangler. Dans quatre cent onze jours, elle serait libre. A condition que, d’ici là, elle n’ait pas succombé entre les mains d’un de ces psychopathes. Je suis Masja. Je ne suis rien. » (p. 80)

Catharsis de l’écriture, qui va la maintenir en vie alors qu’il ne reste plus rien d’elle : squelettique, dents déchaussées à cause de l’héroïne… Elle croupit d’abord en Suède dans un salon de bronzage tenu par Arkan, un nouveau proxénète de la pire espèce, homme de main de Slavros qui s’est fait emprisonné momentanément. Puis elle est déplacée dans un bordel clandestin, l’Arizona. Slavros est sorti de prison et lui fait vivre le pire du pire, finissant par la céder, squelettique et droguée jusqu’à la moëlle à la Hyène, un tueur qui tente par tous les moyens de momifier des prostituées et les abandonne dans une décharge.
Une catharsis qui évolue parallèlement à la rédemption de Ravn : à défaut de mettre la main sur l’assassin de sa femme, il se laisse convaincre par la mère de Maja pour retrouver cette dernière. Après une petite enquête et quelques coups de fils passés à un flic danois qu’il a connu auparavant, Ravn déniche des preuves de l’existence de Masja et se lance dans une course-poursuite effrénée pour mettre fin aux agissements de ces proxénètes de l’est et tenter de retrouver la jeune femme, morte ou vivante.

Ce roman est violent et très noir. On reprend parfois la lecture à reculons, en se doutant que Masja va subir de plus en plus d’atrocités. Et c’est bien le cas. Il faut avoir le cœur bien accroché pour supporter la litanie des passes sordides et des viols subis par Masja, supporter sa toxicomanie forcée, sa pugnacité face à ces hommes et ces proxénètes sans foi ni loi, anciens combattants des Balkans pour qui la vie d’une femme n’a que peu de valeur.
En face, le chemin de croix de Thomas, flic tourmenté, pour retrouver la force de vivre et de se battre plutôt que d’enchaîner les beuveries et les gueules de bois monumentales. Oublier sa souffrance et se concentrer sur celles des autres, quitte à prendre des coups pour y parvenir. Mais c’est finalement ce qui lui permettra de rester en vie.

Une série à compléter par la lecture de Disparu (sorti en 2020 en France – 2014 au Danemark). On attendra la traduction française pour La secte (Sekten) déjà publié au Danemark. A raison d’un volume par an, Michael Katz Krefeld devrait publier le 4ème opus, Dybet (Les Profondeurs) en 2021 et le 5ème volume, Pagten (Le Pacte), en 2022. De quoi frémir plus d’une fois !

Résumé sur le site de l’éditeur :
Dans la lumière naissante de l’aube, des mouettes survolent les monticules de ferraille d’une casse automobile de Stockholm. Au milieu des débris, le cadavre d’une jeune femme enfoncé jusqu’aux genoux. Le corps décharné a la blancheur de l’albâtre, et ses globes oculaires bouchés de plâtre fixent le néant à la manière des statues antiques. Encore un ange blanc. Le cinquième.
Dans un bateau de l’autre côté du détroit qui sépare la Suède du Danemark, l’ex-inspecteur Thomas “Ravn” Ravnsholdt n’est pas encore sorti de sa torpeur éthylique habituelle. Il ne se doute pas que la disparition d’une jeune prostituée va bientôt interrompre son lent suicide.
Avec un don inquiétant pour saisir la perversité humaine, Michael Katz Krefeld s’insinue dans le monde impitoyable des laissés-pour-compte des sociétés scandinaves. Cette première enquête de Ravn lance une série aussi palpitante qu’addictive.

La peau des anges / Michael Katz Krefeld (traduit du danois par Frédéric FOURREAU)
Editions Actes Sud – Littérature, collection Actes noirs
Paru en Janvier 2017
400 pages
ISBN : 978-2-330-07258-2
Prix indicatif : 23.00€

 

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