[2019] Des bouqu’1 sous le sap1 #7 : Sonic Youths

Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso qui va dans le mur ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. On continue avec une double sélection de récit d’adolescence ayant en commun de laisser une grande place à l’importance de la musique sur cette délicate période.

Il y a de grandes chances que vous ne connaissiez Michael Imperioli que par sa remarquable interprétation de Christopher Moltisanti, neveu du parrain et poulain largué dans l’inoubliable bande de mafiosi du New Jersey de la série Les Soprano (six saisons sur HBO à avoir vu impérativement dans sa vie). Il se trouve qu’en plus d’être un acteur de talent, le monsieur a également commis un excellent premier roman Wild Side paru l’an dernier chez Autrement.
Roman pas si autobiographique que ça, le livre est un roman d’initiation dans lequel on suit le passage chaotique et semé d’embuches de Matthews de l’adolescence vers l’âge adulte. Nous sommes dans les années 70 et notre héros passe de façon rocambolesque d’un des quartiers les plus pauvres de New York à un immeuble huppé de Manhattan. Il va se retrouver bringuebalé entre une copine fantasque et un mystérieux voisin aux exigences tout aussi étranges dont on vous laisse découvrir l’illustre identité. Roman légèrement bancal dans sa narration, le livre a pourtant un charme assez irrésistible. Entre les péripéties de plus en plus délirantes dans lesquelles s’embarque le jeune homme et un portrait à la fois acide et subtil de la Grande Pomme et des milieux artistiques de l’époque, l’ouvrage se savoure avec un plaisir constant jusqu’à sa très touchante conclusion.
Dans la série Les Soprano, le personnage de Michael Imperioli tente douloureusement d’écrire un roman ou un scénario inspiré de sa vie de criminel. Soyons heureux que la réalité ait été plus généreuse que la fiction.

Quand nous avons acheté La crête des damnés de Joe Meno, nous pensions avoir affaire à un nouveau polar de l’auteur de Le blues de la harpie. Nous avons attendu vainement une intrigue policière et, à la place, nous avons eu la merveilleuse surprise de découvrir un des plus beaux romans d’adolescence que nous ayons lus depuis longtemps.
Le livre raconte, à la première personne, l’adolescence de Brian Oswald dans les quartiers sud de Chicago des années 90. Dans une merveilleuse langue âpre et formidablement vive, notre narrateur évoque ses premières amours (très) contrariées, sa vie de famille au bord du gouffre et sa quête d’identité entre rébellion et désir d’appartenir à une communauté dans un lycée catholique plus qu’oppressant. Le tout est narré avec une finesse et une acuité remarquable. Nous sommes dans la tête, le cœur (et les couilles) de notre héros et c’est aussi douloureux que merveilleux. Il y a aussi dans le livre un portrait acéré et impitoyable de la vie des quartiers de classe moyenne du midwest minés par la terreur de ce qui peut sortir de la norme et par le poids écrasant de la religion.
Pourtant le cœur vibrant qui rend ce livre si singulier et attachant, c’est la musique et plus particulièrement le punk. La description aussi affutée que sensible de la découverte, grâce à de multiples rencontres et à des échanges de compilations sur cassette, de cette musique, de son énergie, de son esthétique, de ses valeurs mais aussi de ses impasses et de ses faillites est un pur bonheur de littérature. De récits de concerts plus ou moins épiques en digressions mélomanes plus ou moins balbutiantes, du mode d’emploi détaillé de la confection d’une crête rose aux détails minutieux de la réalisation d’une compilation de morceaux en fonction du message à envoyer à la destinataire, Joe Meno évoque avec autant de passion que de cruelle lucidité l’impact et l’effervescence de ce mouvement musical. Le livre est littéralement truffé de références et de clins d’œil aux groupes de l’époque. Rassurez-vous, même si vous n’avez jamais été vibré à l’écoute de The Clash, Ramones, The Misfits ou Black Flag… le livre est aussi un guide roublard mais bienveillant pour les néophytes.
On vous offre pour finir les deux premières phrases de l’ouvrage en espérant qu’elles achèvent de vous convaincre de vous ruer sur cette merveille : « Mon autre problème, c’était que j’étais en train de tomber amoureux de ma meilleure amie, Gretchen, que le reste du monde considérait comme grosse, en tout cas c’est ce que je pensais. On était dans sa caisse pourrie, on chantait, et à la fin de la chanson « White Riot », celle des Clash, je me rendis compte, à la façon dont je l’observais faire la moue et sourire, cligner des yeux et ciller, que nous étions bien plus que des amis, au moins pour moi. »

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Wild Side de Michael Imperioli
304 pages
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié
chez Autrement (août 2018), 20€90

La crête des damnés de Joe Meno
336 pages
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Estelle Flory
chez Agullo Fiction (septembre 2019), 22€

Retrouvez notre sélection 2018 par là.

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