Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso qui va dans le mur ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. Par un hasard pas tout à fait fortuit, notre sélection du 5 décembre chante avec ferveur et nuance des airs révolutionnaires.
Dès le mois de janvier 2019, l’affaire était entendue. Parmi les plus belles Bandes Dessinées de l’année figurerait en bonne place le premier tome de la trilogie RÉVOLUTION de Florent GROUAZEL et Younn LOCARD. C’est pourtant peu dire que nous ne sommes guère friands de BD dites « historiques ». L’immense majorité d’entre elles reste encore trop souvent engoncée dans une forme atrocement désuète où l’indigence narrative ne rivalise qu’avec des clichés éculés : du clin d’œil appuyé à l’actualité en passant par l’inévitable scène de fesse. Fort heureusement, il y a des exceptions et le tome évoqué ici en est une des plus brillantes.
Après des premières parutions autobiographiques chez l’Employé du Moi et le Huis clos maritime Eloi, Florent GROUAZEL et Younn LOCARD décident de s’atteler à une fresque monumentale traitant d’un thème étonnamment peu évoqué en Bande Dessinée : la Révolution Française. Le projet est très ambitieux pour ces deux jeunes auteurs. Les trois tomes : Liberté, égalité, Ou la mort devraient ainsi totaliser plus de 1000 pages et couvrir la période de 1789 à 1794. Le tout sera réalisé à quatre, à l’écriture comme au dessin. Alternant au fil des pages, les deux auteurs mêlent leur trait avec une fluidité étonnante. Loin de nuire à la narration, ce mélange apporte une touche chaotique et collective qui donne encore plus de force au récit.
Il faut dire que la narration est particulièrement brillante. Loin du sentiment de subir une conférence aussi docte que pesante, nous avons plus eu l’impression à la lecture de ces pages de nous immerger, voire de participer pleinement, à ces éventements. Le récit s’ouvre sur un massacre. Réveillon, patron d’une manufacture de papiers peints du faubourg Saint-Antoine, a la riche idée de proposer de baisser le salaire des ouvriers alors que la famine ravage le pays. Ses employés décident donc d’envahir la fabrique et cassent tout. La répression des troupes royales sera terrible. Ces événements, souvent considérés comme un des débuts de la Révolution sont traités au plus près. On suit cette scène, narrée sans parole, à la hauteur des yeux de Marie, maigrichonne Gavroche éborgnée, fuyant les balles au milieu du chaos. A l’exception de somptueux plans larges ultra détaillés, resituant finement les événements dans leur contexte géographique, tout le récit est ainsi bâti à la hauteur de ces personnages, à hauteur de femme, d’homme et d’enfant. A la manière des séries du grand David Simon (The Wire, Treme, The Deuce…) le récit est éclaté en une multitude de points de vue éclairant les événements chacun de leur manière, sans hiérarchie de valeur entre chaque personnage. On suit donc la petite Marie tentant de survivre au milieu du chaos, sa plus grande sœur Louise prise sous l’aile de la Reine Audu (cheffe des poissardes, c’est-à-dire des poissonnières des Halles), deux aristocrates jumeaux bretons au point de vue initial bien divergent sur la Révolution, un pamphlétaire royaliste complotiste, un noble anglais… le tout avec une grande finesse et une minutie de reconstitution remarquables. On croise bien sûr des figures historiques : Marat, Lafayette, Robespierre, mais ce sont surtout tous ces seconds rôles, transformés ici en premiers, qui apportent une profonde touche d’humanité à l’œuvre.
Ce récit haletant, complexe et foisonnant d’un peuple ne supportant plus l’injustice d’un monde et en train de bâtir sa propre liberté et les moyens de la garder et de la faire vivre, est évidemment d’une actualité brûlante et cela sans avoir besoin que les auteurs ne nous assènent de pénibles coups de coude narratifs comme c’est trop souvent le cas. On attend désormais la suite de cette fresque passionnante avec une impatience immense et nous vous invitons donc ardemment à vous y plonger sans retenue le plus rapidement possible.
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RÉVOLUTION : tome 1. Liberté de Florent Grouazel et Younn Locard
336 pages
chez Actes Sud – l’An 2 (janvier 2019), 26€