[2019] Des bouq’1 sous le sap1 #17 Spray Paint The Walls – Black Flag par Stevie Chick

Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso qui va dans le mur ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. La sélection du jour revient sur l’histoire incroyable des pionniers du Hardcore Américain, Black Flag.

Ce petit groupe de blancs-becs, issu de la classe moyenne de la banlieue de Los Angeles va révolutionner le punk rock, poser les bases du Hardcore et faire éclore une scène encore étonnamment dynamique aujourd’hui. Mais Black Flag est bien plus qu’un groupe de Punk-Rock, c’est aussi le catalyseur de toute une scène indépendante qui n’existait pas avant eux. Ironiquement, ce groupe ayant pour symbole le drapeau noir des anarchistes est aussi la dictature de son créateur qui procédera au limogeage en règle de la totalité de ses membres.

Black Flag est donc, la pure création d’un génie asocial, Greg Ginn. Ginn est un genre de surdoué, ainé d’une famille d’artistes qui passe le plus clair de son temps à bricoler des radios amateurs. Il est même tellement demandé, qu’il finit par créer à 16 ans, sa propre entreprise SST (Solid State Turner). C’est à cette époque qu’il se met à la guitare et qu’il crée avec un copain, Panic, son premier groupe Punk. Panic va poser les bases sur lesquelles va naitre 2 ans plus tard Black Flag. En attendant, elle permet de celer l’amitié entre Greg Ginn et son chanteur Keith Morris, une petite teigne hédoniste, l’exact opposé de l’immense ascétique Ginn. Au cours des rares concerts que le groupe donne, c’est immédiatement, le chaos dans la salle. Des objets les plus divers sont lancés sur scène pour arrêter le groupe et les bagarres sont monnaie courante. Ce n’est pas si grave. Jouer en banlieue est une mission quasi impossible. La scène punk de l’époque est basée en ville (Germs, X, etc.) et ne veut rien avoir à faire avec les ploucs d’Hermosa Beach.

En 78, le groupe mute et se stabilise avec l’arrivée de Chuck Dukowski à la basse. Black Flag est né. Le nom du groupe et son fameux logo sont trouvés par le frère cadet de Greg, Raymond, futur Pettibon, artiste peintre qui fera la quasi totalité des pochettes et des visuels. Le groupe n’arrive pas à trouver de concert ni aucun label pour enregistrer leur musique. Greg Ginn décide donc de fonder leur propre label, SST Records (Solid State Transmitters) pour sortir leur premier 45T, « Nervous Breakdown ». En 4 chansons, le disque résume tout l’esprit de Black Flag.  L’angoisse et l’humour de Greg Ginn sont crachés avec arrogance par le fêtard Keith Morris. La tension entre les riffs de guitare et les hurlements de Keith porte ce premier classique du groupe. Pour Greg Ginn, c’est une réussite complète qui prouve que le travail paie et qu’il faut continuer dans cette voie. Ginn impose donc un rythme de travail qui ne va pas convenir à l’hyperactif Morris. Celui ci va être progressivement mis sur la touche.

Keith Morris quitte le groupe et part former les Circle Jerks une autre référence de la scène Punk/Hardcore de L.A. Le chanteur est remplacé au pied levé par un gamin portoricain qui traine dans l’entourage du groupe, Ron Reyes. La musique du groupe évolue et l’humour devient plus fin que ne peuvent le comprendre les hordes de fans composées de punks, skateurs et autres surfeurs qui suivent désormais le groupe. Le titre « White Minority » en est le parfait exemple, avec ce cri du cœur d’un bigot blanc vantant les mérites de la suprématie blanche. Le titre, chanté par un Reyes loin des canons de beauté chers aux WASP accentue l’ironie de la chanson.  Mais le groupe sera très critiqué par les tenants de la bonne morale punk. Greg Ginn dira à ce propos « On est antifasciste et notre musique l’exprime. On n’aime pas les règles. Il est hors de question de suivre les lois punks éditées par Dieu sait qui … ». 30 ans plus tard, on en est toujours au même point, pour Black Flag ou pour d’autres groupes d’ici où d’ailleurs. Sitôt le 2ème EP enregistré Reyes met les voiles pour rejoindre sa copine au Canada. En retour, Reyes sera crédité sur le disque par un  Greg Ginn vexé en « Chavo Pederast ».

La place du chanteur est laissée un moment flottante. 2/3 personnes s’y frottent mais sans succès. Keith Morris revient même et assure quelques dates. Finalement Greg Ginn choisit un copain de Reyes, un ado, fan de la première heure, Dez Cadena. Dez est aussi un bon guitariste et rapidement Ginn lui confie ses parties rythmiques pour se consacrer sur les solos. Le groupe trouve une nouvelle dynamique et Greg Ginn libéré de la guitare rythmique, va pouvoir se lancer dans l’exploration de son instrument.

Le groupe a l’habitude de se gérer de A à Z. Si on a pas de label, on en crée un. Pour les visuels et les pochettes, c’est Pettibon le frère de Greg qui s’y colle et il va falloir faire la même chose pour les concerts. En quelques années, le groupe va créer un réseau de concerts à travers tout le pays. Ce réseau est toujours celui qui est suivi par la scène indépendante américaine. Le groupe va donc écumer les scènes entre la côte ouest et la côte est. Dans leurs traces, c’est l’effet boule de neige. Des groupes se forment, jouent sur le nouveau circuit et sont signés par SST Records. La scène Punk/Hardcore américaine est sur le point d’exploser.

Le groupe suit néanmoins sa route et enregistre en 1981 son 3ème EP, « Six Pack » avec, si vous avez suivi, Dez Cadena au chant. Ces 3 EP’s ressortiront compilés en 83, sous le titre « The First Four Years » et sont à mon avis le meilleur et le plus accessible du groupe. C’est aussi en 1981 que va arriver une nouvelle révolution au sein du groupe. Un soir à New York, un gamin du public Henri Garfield, attrape le micro sur « Clock In » une chanson sur l’aliénation du travail. Le gamin en jean noir et aux muscles saillants fait une très forte impression sur le groupe. Greg Ginn demande alors à Dez de le convaincre de les rejoindre. Le gamin accepte, se fait tatouer les barres de Black Flag sur le bras puis adopte le nouveau nom d’Henri Rollins.

L’arrivée de Rollins va radicalement changer la donne. Ginn de son côté, s’éloigne de plus en plus du punk originel et louche dangereusement vers Black Sabbath son groupe fétiche et le jazz dans lequel il a baigné durant toute son enfance. Rollins lui doit gérer un public de plus en plus dur qu’il doit affronter physiquement. Son énergie et sa musculature en font une cible de choix de la part des premiers rangs souvent bas du front et excités par l’alcool. Rollins qui ne boit pas provoque volontairement l’affrontement et les concerts deviennent de plus en plus violents.

Musicalement le groupe sort enfin son premier album « Damage » mais rapidement des problèmes de distribution puis de droits bloquent l’album et le groupe se voit interdit d’enregistrements. Ils en sont même obligés de donner des concerts sauvages pour survivre. Emmêlé dans ces enchevêtrements juridiques, le groupe stagne et se laisse déborder par la scène qu’ils ont contribué à former.Trois ans plus tard, en 84 quand enfin, l’usage de leur nom est de nouveau autorisé, ils sont au bout du rouleau. Ils sortent en vitesse 3LP comme un trop plein : My War, Family Man et Slip It In. Mais le moment le plus dur est l’éviction de Chuck Dukowski, sûrement un peu trop présent sur My War. Greg Ginn ne veut pas d’ombre et Chuck est un peu trop dans la lumière. Musicalement, le groupe quitte de plus en plus le Punk Hardcore, pour intégrer le Free Jazz et du Heavy Funk. Bref les albums sont de moins en moins audibles même pour les plus ouverts. Greg Ginn scie lentement mais sûrement la branche sur laquelle Black Flag est assis.

1985 verra la sortie des 2 derniers albums du groupe. L’excellent « Loose Nut » et l’inaudible « In My Head ». Maintenant c’est Rollins qui est dans la ligne de mire de Greg Ginn, mais le chanteur est devenu la pièce centrale du groupe. Il ne reste plus qu’à son leader de saborder le bateau. En 6 ans la musique du groupe est passée d’un punk rock salutaire et nerveux à quelque chose au mieux de lent et lourd et au pire, de funk bruitiste et expérimental. On l’a vu, l’histoire de Black Flag n’est pas un long fleuve tranquille avec son leader naviguant entre autoritarisme et anarchisme libertaire. Souvent c’est de ces contradictions que naissent les plus grands groupes et c’est sans doute le cas ici, avec une musique que la plupart d’entre nous ne comprendront qu’après de longues années d’écoute (d’études ?). Pour exemple, mes parents m’avaient ramené des US of A, Loose Nut et Jalous Again. Un album et un maxi donc. Mais ils étaient tellement différents musicalement que je me suis vraiment demandé si c’était bien le même groupe, malgré le nom, logo et la pochette de Pettibon. Des musiciens, seul Ginn était commun mais il y avait clairement un problème de vitesse entre les 2 disques. En bon pragmatique, j’ai donc enregistré les 2 disques à la vitesse des 45 Tours. C’est des années plus tard, à l’heure du CD que j’ai compris que « Loose Nut » n’était pas à la bonne vitesse et j’ai eu beaucoup de mal à revenir à la vitesse originale.

Tous cela devient limpide dans le livre de Stevie Chick. Si celui ci, en bon historien du rock reste étonnamment exhaustif, le style est toujours clair et passionnant de bout en bout. La grande force du livre est de ponctuer le récit d’une multitude d’interviews, ce qui amène une dynamique incroyable à la lecture. Vous pouvez donc vous jeter dessus sans retenue, vous avez ma bénédiction. Ce « Spray Paint The Walls » est l’un des meilleurs livres musical qui m’ait été donné de lire.

—————————————————————————————————————————————————-
Spray Paint The Walls – Black Flag par Stevie Chick : éditions Camion Blanc : ISBN 9782357792432
—————————————————————————————————————————————————-

Retrouvez notre sélection 2018 par là.

1 commentaire sur “[2019] Des bouq’1 sous le sap1 #17 Spray Paint The Walls – Black Flag par Stevie Chick

  1. Angélique Merklen

    Très bon article, dont la traductrice vous remercie ! (petit regret : l’omission de Kira Roessler…) Merci à vous, bonne continuation
    Angélique

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires