Maintenant 2017 – La poésie musicale des ventilateurs d’Andreas Trobollowitsch

Des cordes de guitare tendues, des ventilateurs, des crins d’archet et un meuble en bois : le synthétiseur électroacoustique d’Andreas Trobollowitsch, Ventorgano, joué par l’artiste lors de deux Expériences au Festival Maintenant a su séduire oreilles alertes et yeux écarquillés (mais aussi l’inverse). Explications.

Expérience, le concept

Dans la foisonnante programmation du festival Maintenant, vient se nicher un sextet de propositions particulièrement singulières. La série Expérience consacrée «à la découverte de formes expérimentales et vitrine des avant-gardes» nous emmène ainsi dans de délicieuses explorations de territoires sonores atypiques, parfois déconcertants, mais toujours excitants pour les oreilles et le cerveau.

Andreas Trobollowitsch et les instruments inattendus

L’artiste autrichien Andreas Trobollowitsch, qui concentre principalement son travail sur des compositions conceptuelles, des installations sonores et la création d’instruments de musique artisanaux et inattendus, était ainsi présent à Rennes pour deux Expériences, l’une au Bon accueil le vendredi 13 octobre, l’autre le samedi 14 octobre à l’EESAB de Rennes (avec deux sessions à chaque fois). Il y présentait la même performance mais dans deux ambiances différentes.

Si on en croit nos informateurs (!), le cadre de l’atelier métal de l’EESAB, avec ses vitres, ses hauts plafonds et ses outils, notamment à la nuit tombée a permis de particulièrement mettre en valeur la performance de l’artiste autrichien. Nous ne l’aurons malheureusement pas vu, puisque nous avions choisi la première performance au Bon Accueil, mais la petite jauge de la chaleureuse galerie d’art avec ses fauteuils et ses tabourets, la possibilité d’être à un mètre à peine de l’instrument  d’Andreas Trobollowitsch et du souffle de ses ventilateurs n’ont pas été pour nous déplaire (sans compter l’apéro au soleil sur les bords du canal).

Vu la pléthore de projets du bonhomme (parfois gentiment siphonnés), on n’a en effet pas hésité à s’y précipiter. Car le garçon peut aussi bien écrire une partition pour trois musiciens-bûcherons armés de haches de différentes tailles qui l’exécutent face à des bûches de diverses longueurs et duretés (Hecker – le résultat est bluffant), qu’une pièce pour plante verte tournant sur une platine vinyle entre deux haut-parleurs, le son de sa rotation (notamment lorsque les feuilles viennent buter sur le micro) étant capté et diffusé par les enceintes. Sans compter un immense hangar dans lequel il suspend des guitares classiques qui se balancent à un immense fil au gré des interactions avec les performeurs, qui les désaccordent, les frottent avec un archet, les frappent légèrement avec une baguette ou les relancent dans les airs (Flamenco).

S’il s’est d’abord défini comme un artiste sonore, Andreas Trobollowitsch a toujours intégré une dimension visuelle à ses performances, jusqu’à reconnaître désormais l’importance de cet aspect dans son travail. De la même manière qu’il a commencé à jouer de guitares arrangées (« lorsque j’ai commencé à jouer mon premier instrument de musique (guitare), je l’ai modifié en mettant des objets entre des cordes. Peut-être parce qu’apprendre à jouer de manière conventionnelle m’aurait pris trop de temps. J’ai immédiatement voulu un son qui me satisfasse »), modifiant les instruments existants pour en faire de nouveaux objets sonores, il utilise les objets du quotidien et les détourne pour en faire des instruments de musique inattendus, mais aussi des instruments à pleinement regarder, tels ses ventilateurs dont les hélices sont remplacés par des crins d’archet. Sa Feedbackboxx, par exemple,  installation sonore composée de haut-parleurs, de microphones, de ventilateurs et de morceaux de papier propose un ballet à la fois visuel (les papiers qui dansent) et sonore.

Si certaines de ces pièces fonctionnent seules, telle la très récente chaise de Viravolta qui semble quasi poétiquement animée par cette visseuse retorse (une fin alternative existe : la chaise, vicieuse, finit par tomber), d’autres demandent la présence d’un performeur, d’un musicien qui agit également sur l’instrument au moment où on l’entend. Tel Extract 1 pour lequel les cordes d’une guitare suspendues se voient régulièrement frappées par les crins d’un archet montés sur un ventilateur rotatif. Pour cette installation, ce n’est pas la variation de la vitesse du ventilateur qui module le son, mais la position de l’artiste par rapport au ventilateur ou son action sur les chevilles d’accordages (l’interprète utilise sa main gauche pour changer le ton et la tonalité en tournant légèrement les chevilles d’accord, modulant ainsi les éléments micro-tonaux et micro-rythmiques).

Ventorgano, un synthétiseur électro-acoustique en bois fabriqué à la main

Pour Ventorgano, que nous découvrons ce vendredi soir, Andreas Trobollowitsch a créé un instrument totalement nouveau, une sorte de synthétiseur électro-acoustique composé de 5 cordes de guitare, de 5 caisses de résonances (faite en bois de violon, nous expliquera l’artiste) et de 10 de ces fameux ventilateurs préparés, en partie contrôlés par l’interprète musicien.

Assis devant l’instrument, Andreas Trobollowitsch commence par tourner une première manette qui a pour effet de lancer la rotation d’un moteur de ventilateur équipé de crins d’archet qui se mettent à tournoyer. Face au ventilateur, une corde de guitare est tendue (la plus aiguë nous semble-t-il) : les crins d’archet, en rotation constante, viennent donc la frapper à intervalles quasi réguliers et très rapides. L’artiste peut également faire varier la distance entre la corde de guitare et les crins qui viennent la frapper, en rapprochant ou en éloignant progressivement le moteur de la corde de l’instrument, là encore à l’aide d’une ronde manette rotative. Tout fait son : la collision avec la corde de guitare, le bruit de l’air dans les crins de l’archet tournoyants, l’air sifflant autour du tournoiement, le léger bruit du moteur, la résonance qui revient des caisses d’amplification…

En jouant simplement sur la vitesse de rotation du moteur, sur la distance des crins d’archet par rapport à la corde, l’artiste crée des variations infimes, quasi micro-rythmiques, qu’on perçoit de manière de plus en plus aiguë au fil de la performance. L’entrée progressive d’autres moteurs rotatifs, la combinaison de certains d’entre eux, l’arrêt ou le changement de vitesse de rotation deviennent des événements musicaux que nos oreilles, aidées par l’action visible du musicien sur l’instrument, perçoivent de plus en plus distinctement, tout comme les variations minimes des moteurs qui parfois grippent un peu ou tressautent quasi imperceptiblement.

En plus de ces actions, l’instrumentiste peut également faire varier la tension des cordes, comme sur une guitare ou un violon, en faisant tourner des clefs d’accordage, montées sur le bois de l’instrument, créant cette fois-ci de subtiles variations de ton et de tonalité, modulant des éléments micro-tonaux. La richesse des sons et leurs modulations semblent infinies et il se passe toujours mille choses dans nos oreilles pour peu qu’on se laisse porter par ces micro-variations (l’artiste nous dira d’ailleurs être très sensible à l’attention autour de lui, à la qualité d’écoute et percevoir -à la manière dont fonctionne son instrument- les variations dans l’attention des spectateurs-auditeurs). Ce qui est complétement notre cas, tant on se retrouve happé par les délicates modulations sonores toujours changeantes. Tout comme hypnotisé par le mouvement rotatif des moteurs.

En plus de la subtilité du travail qu’il nous donne à entendre, on applaudit également pour notre part le parti pris de l’artiste de proposer une performance très lisible. Si l’installation et la performance appartiennent à ce que d’aucuns qualifient d’expérimental, elles restent pour le moins tout à fait déchiffrables. Alors que la veille on a pu voir une performance audio-visuelle dont on ne peut dire à aucun moment comment elle est faite, l’artiste étant plongé sur son clavier d’ordinateur et ses machines (même si intéressante), Andreas Trobollowitsch prend au contraire le parti de montrer de la manière la plus explicite qui soit les interventions qui font varier le son. Et dans un double mouvement, en donnant à voir son action sur le son, en rend plus facilement perceptibles, audibles, les variations.

La construction de l’instrument, à la fois extrêmement simple dans l’appréhension qu’on peut en avoir de l’extérieur, et essentiellement minimaliste, voire dépouillé dans sa forme (tous les éléments qui le composent sont fonctionnels, le bois est brut et non verni -ce qui modifie également le son produit) et dont l’intérêt réside autant dans le son qu’il produit que dans l’objet qu’il donne à voir, met également en exergue la densité de la proposition d’Andreas Trobollowitsch, puisque l’instrument se trouve quasi à la croisée de la sculpture et de l’art conceptuel, des arts sonores et visuels. Au final, une bien chouette performance qui nous donne envie de continuer à suivre les réalisations du garçon.

Photos : Mr B.

 


Maintenant 2017 a eu lieu du 10 au 15 octobre 2017.


 

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